Le tumulte, au loin, les clameurs... Le calme avant la tempête, l’impression de vide dans la tête, d’absence... Ce fut la bourrade du geôlier qui la fit sortir de ses songes.
« Avance ! »
Il ne fallait pas que le public s’impatiente, après tout. Elle rouvrit lentement les yeux, considérant les individus qui l’accompagnaient dans ce couloir sombre, sentant dans son dos la présence réconfortante de l’Heavenly Sword. L’épée était calme, et était sa seule arme. Une arme amplement suffisante contre les différentes épreuves qui allaient l’attendre dans cette ville de malades.
« Vous entendez les clameurs ? Le peuple vous désire et vous appelle. Pensez-y, vous êtes leur salut et leur espoir en ces temps sombres. »
Nariko ne se donna même pas la peine de lui répondre. Tout ce que le peuple souhaitait était de voir le sang couler, les morts s’empiler, le massacre... Et elle, elle cherchait juste à s’enfuir. Tout était de la faute de Kaï, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir. C’était aussi son erreur, car c’était elle qui avait amené Kaï dans cette ville, dans ce temple, à la recherche d’un énigmatique artefact qui lui aurait permis, d’après ses informations, d’en savoir plus sur l’Heavenly Sword. Nariko avait néanmoins sous-estimé les mesures de protection du temple, et s’était retrouvée face à une vingtaine de gardes. Elle aurait pu les massacrer, et avait d’ailleurs commencé à le faire, mais des prêtresses étaient apparues, et Kaï avait refusé qu’elle tue des femmes innocentes. Nariko avait du se résoudre à se laisser capturer. Maintenant qu’elle y repensait, c’était stupide, mais, de toute manière, elle n’aurait pas pu affronter à elle toute seule toute la garde de la ville. Ses exploits ne lui avaient laissé que deux alternatives : l’arène, ou la mort. A défaut, elle avait choisi l’arène, la conjoncture lui était favorable. Le gouverneur local organisait en effet des jeux en faveur de Mars, sollicitant ses faveurs. Sans doute préparait-il une guerre, nécessitant d’établir de nouvelles taxes, et voulait-il faire plaisir au peuple en leur offrant un carnage gratuit... Nariko, quant à elle, y voyait l’opportunité de s’enfuir... Et de s’exercer avec l’Heavenly Sword, au passage. Ce petit massacre dans le temple avait été particulièrement jouissif, à son grand désespoir. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle adorait ça, tout simplement.
La guerrière monta un escalier en pierre, suivant plusieurs hommes et femmes au visage fermé. En tête, il y avait une énigmatique femme à la peau argentée, et elle avait entendu plusieurs conversations à voix basse, émanant d’autres gladiateurs.
« J’ai été envoyé ici spécialement pour te tuer, Domitius, mrumurait quelqu’un. Je mettrais fin à ta légende... »
La femme semblait totalement sourde à ce qui se passait. Les grilles finirent par s’ouvrir, et la clameur devint plus forte. Au milieu des cris et des vivats, Nariko se sentait revenir quelques temps en arrière... Ce n’était pas sa première arène, mais elle espérait que ça se passerait mieux qu’à l’époque où elle avait fini dans celle du Roi Bohan. Cette arène-ci était bien plus grande, à ciel ouvert, et les gladiateurs avançaient dans le sabre. Esclaves, prisonniers, rares étaient ceux qui, volontairement, choisissaient d’être gladiateurs.
« DOMITIUS ! DOMITIUS !
- VAE VICTIS !!
- DOMITIUS !
- MARS ! MARS ! »
Il faisait beau. Un grand ciel bleu. Nariko regardait silencieusement le ciel, quasiment insensible à la clameur des pécores. Il y avait de nombreux spectateurs, et, dans une loge spéciale, l’organisateur de ce spectacle morbide observait la scène, amusé, probablement fou de joie de voir l’argent couler à flots. Il leva alors une main, et plusieurs assistants à côté de lui tapèrent sur le sol avec des bâtons de cérémonie, réclamant le silence. L’individu parla, mais Nariko n’écouta pas, ses yeux cherchant d’ores et déjà un moyen de lui permettre de s’évader. Il y avait plusieurs couloirs grillagées menant à l’arène, et de nombreux gardes.
*Il va me falloir combattre...*
L’individu promit aux gagnants la bénédiction des Dieux. Généralement, remporter une compétition de ce genre permettait de racheter ses erreurs passées. La justice, après tout, était rendue pour le peuple. Alors, si un criminel gagnait l’affection du public, il semblait logique qu’il puisse se faire racheter par ce dernier. Mais encore fallait-il réussir à gagner ladite affection. Nariko, toutefois, ne s’en faisait pas trop pour ça.
La première épreuve commença donc par la venue de crocodiles énormes. Une épreuve assez ridicule, selon Nariko. Ce genre de prédateurs n’était réellement dangereux que dans l’eau, invisible. A l’air libre, sur le sable, un crocodile était totalement inoffensif. Elle laissa les autres gladiateurs s’amuser, ne sortant même pas Heavenly Sword de son fourreau. Certains commençaient déjà à la huer, mais, fort heureusement, la plupart des spectateurs n’avaient de yeux que pour la star de la séance : Domitius. Les plus échauffés regardaient son tour de poitrine, admirant la beauté de cette femme, les plus expérimentés étudiaient son jeu de jambes, la manière dont elle se battait, dont elle esquivait, attaquait. Elle bluffait tout le monde, et faisait la fierté de son propriétaire. La moitié des gens étaient venus pour voir la championne invaincue se battre, espérant que sa légende se briserait. On aimait bien voir des légendes s’élever au-dessus de la masse, devenir des modèles et des icônes, mais on adorait les voir chuter, se briser, et s’écraser. Ainsi, tout en encourageant Domitius, on espérait aussi que quelqu’un la mettrait en difficulté.
Nariko attendit donc patiemment, et, quand tous les crocodiles furent tués, plusieurs minutes passèrent. Elle s’ennuyait ferme, et les grilles se rouvrirent, livrant passage à des lions. Elle considéra avec un peu plus d’attention cette menace supplémentaire, mais déchanta rapidement. Dans les yeux de ces bêtes, elle ne lisait pas de la haine et de la cruauté, mais simplement de la faim. Ils étaient affamés, ce qui les rendait plus agressifs, mais aussi, paradoxalement, plus faibles. On les laissait volontairement s’affamer pour qu’ils soient bien plus voraces, mais ceci les amenait aussi à être plus faibles. Nariko sentait Heavenly Sword s’impatienter, désirant trancher des gorges, se repaître du sang des ennemis.
*Non, pas encore... Détends-toi, tu mérites mieux qu’eux...*
Un lion ne tarda pas à la prendre pour cible, et Nariko banda les muscles. Utilisant ses pattes avant, la créature bondit en l’air, crocs ouverts, griffes sorties. Prévisible. La guerrière avait fléchi en même temps les genoux, et bondit par terre, roulant sur le sol, évitant le lion, qui frôla ses cheveux. Atterrissant dans la poussière, la bête se retourna en poussant un grondement de colère, puis courut vers Nariko, alors couchée sur le sol. Cette dernière ne se laissa pas impressionner, et utilisa l’un de ses pieds pour frapper la gueule du fauve. Le coup fut suffisant pour le ralentir, et lui permettre de rouler sur le sol, se redresser, et d’attaquer. A mains nues, parfaitement. Heavenly Sword continuait à trembler, et Nariko comprit qu’elle allait enfin devoir s’en servir. Le lion rugit, et attaqua à nouveau sa proie. Nariko fut plus rapide, choisissant cette fois-ci de sauter en l’air. Elle leva la jambe, la posa sur le museau de la bête, et s’en servit pour sauter en l’air, sentant les griffes de ses pattes avant frôler ses jambes. Dans les airs, elle tendit la main vers son dos, et sortit l’imposante épée, et s’en servit pour trancher la queue du lion. Un coup sec et rapide, alors qu’elle retombait sur le sol. Immédiatement, elle sentit le plaisir naître, et, avec lui, l’impatience. Elle en voulait déjà plus, et le lion se tordit de douleur, le sang jaillissant de sa plaie. Nariko mit un terme aux souffrances de l’animal, plantant son épée dans son dos. L’épée magique le traversa comme dans du beurre, et elle la retira. Ce fut beaucoup plus rapide que pour Domitius.
Les autres lions n’opposèrent pas plus de résistance, et les gladiateurs retournèrent dans leurs cellules.
« Classe, ton épée ! commenta l’un des gladiateurs qui avaient survécu, en éclatant son lion avec un fléau. Je la prendrais comme butin de guerre sur ton cadavre quand je... »
A la seule pensée de lui retirer Heavenly Sword, Nariko vit rouge. Elle se retourna, et leva son pied, frappant l’homme au ventre, le surprenant, avant d’attraper sa tête entre ses deux mains, et de l’envoyer se fracasser sur son genou. Le sang de l’homme jaillit de son nez alors qu’il s’affalait sur les marches, mais, au moment où Nariko allait continuer à le rosser, un coup de fouet claqua sur son dos, la forçant à s’arrêter en lui arrachant un cri de douleur et de surprise.
« Allons, allons, vous règlerez ça sur la piste, mes braves ! » lâcha le bourreau dans un éclat de rire.
Nariko grogna, montrant ses dents, puis suivit le groupe, et s’assit dans une sorte de pièce commune, où des médecins offraient des soins rapides, et où on pouvait également changer d’équipements. Deux gardes surveillaient le couloir de sortie, et un grand feu brûlait dans un coin. En soupirant, Nariko alla s’asseoir dans un coin. Le gars avec le nez cassé avait un bouclier rond et un fléau, et grinça des dents en regardant brièvement Nariko. Un autre gladiateur, plus massif, alla de son côté se poster devant la femme grise.
« Je suis Cassïus, se présenta-t-il, et mon maître m’a envoyé pour te briser, Domitius, pour t’humilier en public. J’ai vaincu un ours à moi tout seul. »
Il portait sur son épaule une énorme hache à double tranchant, un imposant labrys dont les parties tranchantes semblaient en or massif. Il planta sur le sol, ayant également, comme le gladiateur au fléau, un imposant pavois. Il portait également des épaulettes, un casque, une grosse culotte noire, et avait tout le reste du corps nu, à l’exception de gants en fer protégeant ses avant-bras, et de bottes. Un corps craquant. Dommage qu’il appartienne à un type idiot. Ce dernier s’écarta rapidement après sa petite bravade, et Nariko soupira. Elle s’était assise, fait du hasard, à quelques mètres à peine de Domitius. A l’exception d’une troisième femme, qui était relativement laide (elle était plate, avec une chevelure carrée sévère, et une cicatrice sur le visage), elles étaient les seules femmes du lot, et ceci amena Nariko à se permettre une réflexion à voix haute :
« Mon père dit toujours que celui qui prétend le plus fort est le couard. »
Elle sortit son épée, et la contempla.
« Tu te gorgeras encore du sang de faibles, ma belle... Mais c’est sans doute mieux ainsi. »