«
Vraiment je ne manquerais de rien ? J’aurais tout ce que je veux sans rien donner en retour ? »
Mélinda avait choisi de ne pas répondre à cette question, afin de se concentrer sur l’immédiat : savoir qui était cette Terranide, et si elle pouvait l’avoir. Le reste était accessoire, mais elle commençait déjà à analyser le comportement de la Terranide. Le profil-type du Terranide était une créature venant de la forêt, qui ne parlait pas la langue, et qui était complètement désemparée. Ça, ou le Terranide méfiant, qui avait été exploité et abusé par d’autres, et qui, ce faisant, évitait de s’approcher des humains. Bref, de manière générale, la
peur était ce qui dominait chez eux. La peur d’être exploité, d’être maltraité, d’être abusé, violé, torturé, etc… Il fallait donc les rassurer, ce que Mélinda faisait fréquemment, généralement à l’aide ses sourires étincelants, de ses caresses, et de sa voix mélodieuse. Si elle sentait bien dans les questions de Deepali une certaine forme de crainte à l’idée de se faire abuser, la vampire était aussi suffisamment adroite et instruite pour percevoir
autre chose. Un autre sentiment, plus ténu, plus diffus…
Différent. Elle voyait dans les yeux de la femme, dans son regard, une sorte… Une sorte de
résidus bourgeois, comme si elle était une petite précieuse, et qu’elle aimait bien qu’on lui fasse sentir qu’elle était importante. C’était l’intuition que Mélinda avait, ce qui, selon elle, expliquait pourquoi la Terranide désirait savoir si elle pouvait
vraiment obtenir tout ce qu’elle voudrait, sans contrepartie.
Terminant de manger, elle sauta sur l’occasion d’aller chez elle. Faussement, elle indiqua à la vampire qu’elle pouvait aussi aller dans la forêt, mais la vampire n’était pas aveugle. Maintenant qu’elle avait sa piste, elle la suivait. Cette Terranide était polie, elle savait se servir d’ustensiles de cuisine, et parlait très bien. Autrement dit, elle avait déjà été
éduquée, et elle savait que les Terranides-paons étaient rarissimes. Or, l’une des lois les plus basiques du commerce était la suivante : ce qui est rare est cher. Aucun doute là-dessus : la créature se sentait importante, et la vampire sentit que, avec elle, elle allait rapidement devoir fixer les limites. Elle était face à une créature capricieuse, une créature qui était pour l’heure en train de tâter le terrain, voulant s’assurer si Mélinda ne serait pas une hôtesse cruelle, qui abuserait d’elle.
«
Mais tu dois me promettre de ne rien me faire une fois que je serais chez toi ! » insista la femme.
La vampire sortit de la terrasse, et se chargea de régler l’addition, puis hocha lentement la tête devant la femme, un petit sourire sur le coin des lèvres.
«
Il ne t’arrivera rien que tu ne souhaites pas, jeune femme… »
Une phrase libre à interprétation, car on souhaitait souvent des choses auxquelles on ne pensait pas forcément. Le talent de Mélinda, c’était précisément d’amener les gens autour d’elle à éprouver de nouveaux souhaits.
«
On y va ? Ce n’est pas loin, mais je pense que le mieux est de prendre un carrosse… »
Nexus était une grande ville, si grande que se déplacer à pied pour de grandes distances n’était pas très optimale. Elles se trouvaient le long d’une grande rue, et il ne fut pas difficile d’héler un cocher, qui les laissa grimper dans sa calèche. Les deux femmes grimpèrent donc, et allèrent vers le manoir de Lenn. Sans être dans les quartiers les plus cossus de Nexus, qu’on trouvait généralement dans les falaises, il avait une bien belle demeure. Face à Deepali, Mélinda l’observait silencieusement. Elle avait un magnifique plumage, et elle finit par deviner quelque chose…
«
Tu n’as pas envie de te laver ? Je pense que tu vas prendre un bon bain chaud dès que tu seras chez moi… Enfin, techniquement, ce n’est pas chez moi, c’est chez un ami. Je viens de loin, tu comprends… »
Est-ce qu’elle pouvait lui dire qu’elle venait d’Ashnard ? La Terranide-paon pouvait le prendre comme une confidence, une marque de confiance, mais elle pouvait aussi paniquer. La propagande n’était pas l’apanage de l’Empire, et Nexus se plaisait à décrire l’Empire d’Ashnard comme le Mal absolu, en faisant l’ennemi suprême. Il ne se passait pas une journée sans que des crieurs publics ne vilipendent leur haine contre Ashnard. Les touristes ashnardiens l’affichaient rarement, car, soit ils étaient suspectés d’espionnage par les autorités publiques, soit ils étaient alpagués par la foule, et battus dans la rue. Les tares et les conséquences d’une guerre qui s’enlisait depuis des années…
Le manoir de Lenn se trouvait le long d’une avenue belle et dégagée, avec vue sur la mer. C’était un manoir en forme de U, entourée par un mur, avec un toit en tuiles orangées, et des murs blancs. Un jardin luxuriant s’étalait devant et derrière le manoir. Au centre du U, il y avait la terrasse centrale, avec des transats. Dans le jardin à l’arrière, il y avait, au centre,
une énorme piscine avec un bar au centre, et des transats tout autour, ainsi que des palmiers, des cerisiers, et quantité d’autres arbres. Indéniablement, c’était une autre Nexus qui se dressait ici. La Nexus des riches et des super-riches, à l’opposé des bas-fonds. Lenn avait une armée de majordomes, de servantes en bikini, de prostituées, et de gardes du corps bien baraqués. Mélinda savait que Lenn faisait partie d’une guilde, et se doutait bien que les frais de sa maison avaient été financées par la guilde. Au sein de cette puissante guilde, il était un Maître, le plus haut titre au sein d’une guilde. Un titre qu’il avait hérité grâce à son père.
La vampire se demandait sincèrement ce que Deepali penserait de cet endroit, et l’étudier à ce moment permettrait à la vampire d’infirmer ou de confirmer sa théorie sur ce que la Terranide-paon attendait vraiment d’elle.