Un hurlement de terreur absolu, quelque part part entre le gémissement d'un torturé et le beuglement d'un guerrier qui joue sa vie sur une passe d'arme sauvage, retentit dans ce décors terre de Sienne. Il est apparu tellement soudainement, il fut tellement bref, que vous pourriez penser que vos oreilles vous ont joué un tour ; peut être qu'il ne s'agit que du vent, qui rugit en serpentant dans les reliefs surnaturels et sans vie de cette planète.
Une chaîne de rochers effilés, que ni les hommes ni la nature ne serait en mesure de façonner, traverse l'interminable plaine désertique, comme une rangée de dents titanesques, un rempart bâtis par l'entassement de donjons instables et torturés.
Au pieds de ces colosses de pierre noire, dans la chaleur étouffante des enfers, Sir Daundelyon, nu comme au jour de sa naissance, se redresse péniblement. Il cache son sexe avec ses mains, dans un réflexe de pudeur, et pivote sur lui-même. Nulle trace d'une quelconque âme aux alentours ; un vide minéral. De la roche, du sable, un sol dur et sec, tout éclairé par une lumière rougeâtre et terne. Il lève les yeux et ne voit nul ciel, ni même aucun plafond. Un brouillard lourd et ocre semble couver l'endroit D'une main, il frotte la poussière brune qui colle à son bras et son flan. Le mâle envisage son environnement d'un air hébété : De toute évidence, si le désert était une mer, Daundelyon se trouverait à cet instant dans une crique.
Soudain, deux nouveaux cris percent le bruit constant des bourrasques : le chevalier se retourne dans une sursaut, pour apercevoir : Pélaguet, et la jeune femme aux cheveux noirs de jais. Comme si sa vie en dépendant, le noble s'élance jusqu'au pan de falaise le plus proche, et se cache derrière une proéminence de la roche. C'est au tour des deux jeunes gens de jeter des regards surpris autour d'eux, de pousser quelques cris effarouchés, de masquer de leur mieux leurs intimités respectives.
« Oh mon dieu... mais qu'est-ce... j'ai cru...le... le dragon... »
A genoux, recroquevillée sur elle même et les bras masquant partiellement ses seins, la demoiselle semble ne pas pouvoir en raconter plus. L'expression de son visage est proche de la panique.
« Où sommes-nous ?... » demande le garçon à voix basse, se parlant à lui-même. Malheureusement la réponse, si elle donne le vertige, n'en est pas moins évidente. Il se souvient clairement avoir vu le corps de son maître séparé en deux, il y a un instant. Il se souvient avoir éprouvé la pire douleur de sa vie et senti des parties de son corps qu'il pensait indissociables se séparer sous la pression irrésistible de la mâchoire de la bête. Donc...
L'enfer.
Aucun d'entre eux ne l'exprime, mais ils l'ont tous compris. Le silence s'installe entre eux plusieurs secondes, agrémenté par les sanglots discrets de la brune. L'écuyer commence à se sentir réellement mal à l'aise et, malgré toute l'ampleur dramatique de la situation, finit par n'être plus obnubilé que par une seule chose : la réaction de son corps. Il ne peut s'empêcher de lancer des regards furtifs à la pleureuse au corps si doux, et, malgré lui...
Il se relève brusquement, les mains en coupe sur son sexe à demi turgescent et s'éloigne d'un pas vif pour rejoindre son maître ; ça ne serait pas la première fois qu'il le voit nu. Les choses sont bien plus simple, entre homme. Et puis, il est de son devoir d'ecuyer de se tenir auprès de son chevalier. Il s'approche jusque devant le relief qui abrite le guerrier, laissant ce dernier faire paravent entre eux :
« Sir ! Tout va bien ? »
Aucune réponse.
« Sir ?...
- ...
- Sir répondez moi !
- J'ai glissé, répond simplement le bretteur avec son zézaiement habituel.
- Je... j'ai vu...
- … désolé... »
Le jeune homme ne répond rien, se contentant de déglutir. Cette défaite lui reste en travers de la gorge. La gloire était à un cheveux. Et au lieu de ça... le blond se laisse tomber, assis, le dos contre la paroi et les jambes repliées sur le torse.
« Qu...qu'est-ce qu'on fait maintenant ?... »
Encore une fois, pas de réponse de la part de Sir Daundelyon. Il faut dire que la question n'était pas très pertinente. C'est l'enfer. On ne fait rien, donc. On attend. Et tout nu, en plus.