Se sentir obligée de préciser à Daundelyon comment utiliser une arme blanche correctement, voilà qui était une idée bien saugrenue. Un barman vous regarderait certainement de travers si, le voyant s'apprêter à vous servir votre binouze, vous vous sentiez obliger de lui préciser "attention, 'faut incliner le verre, sinon la bière mousse !". Daundelyon manquait de temps pour se formaliser des enfonçages de portes ouvertes de Mjoll : aussi Pélaguet se chargea pour lui de hausser un sourcil circonspect à l'intention de la mercenaire.
Trois traînées de flammes traversèrent encore la petite plaine où le chevalier cavalait pieds nus, le manquant chaque fois d'un rien, éclatant derrière lui en bouquets ardents et éblouissants. Le guerrier chargeait en ligne droite, inébranlable, déviant à peine de sa trajectoire pour esquiver ces projectiles enflammés. Le malfrat devait sentir que le vent tournait, et dans la mauvaise direction. A vrai dire, Pélaguet aurait certainement été pétrifié, à sa place. Peut était-ce simplement parce qu'il avait trop souvent vu son maître à l'action pour croire que la confrontation puisse tourner autrement que -
Ouh.
Le travaille fut bien fait : fendu de la clavicule à la hanche, la bandit venait de s'écrouler comme un sac. Deux sacs ? Difficile de voir, à cette distance, si les deux parties s'étaient séparées en heurtant le sol. L'exécution, en tout cas, avait été plus efficace que soignée.
Un silence relatif était retombé sur ce décors infernal et le chevalier, immobile, contemplait sa boucherie, l'épée pendouillant à sa main droite. Sa longue crinière noire, que Pélaguet n'avait pas le souvenir d'avoir vue autrement que nouée en catogan, se déployait maintenant sous l'effet des tourbillons d'air chaud, symptômes d'une atmosphère torturée au climat chaotique, et masquait son visage, fouettaient ses épaules, et au dessus de sa tête ondulaient par fines mèches, comme autant de serpents excités par le sang. Quelques secondes s'écoulèrent, avant que le guerrier ne se retourne lentement, et ne traîne les pieds en direction de ses camarades. Alors qu'il était sur le chemin du retour, Prospérine, jusque là invisible et dissimulée derrière son abris rocheux, pointa le nez hors de sa cachette pour évaluer la dangerosité du monde alentour. Comme un coup d'œil rapide la rassurait, elle reparut d'un pas hésitant et s'approcha timidement du reste de la troupe.
Tout ce beau monde enfin réuni, chacun lança des regards fuyants aux autres... Daundelyon, qui avait la tête baissée et les épaules voûtes semblait quelque peu incommodé ; son écuyer le scruta quelques secondes ; ah oui, bien sûr.
"Dame Miaule, auriez vous... euh, pourriez vous prêter un quelconque tissu à Sir Daundelyon ? Il semble que le sang de ce malfrat l'ait salement souillé." releva poliment le jeune homme, faisant allusion au liquide rouge sombre qui recouvrait la lame et la main du bretteur, ainsi qu'aux éclaboussures qui parsemaient son torse martial.