People = Shit. [Ishtar]

"Papa ?"
"Mmmh."
"Y a un truc qui bouge dans la poubelle, là."
"Hein ?"
"Là, j'te dis !"

Le vieil ivrogne cessa de fouiller dans ses poubelles pour s'approcher de celle de son fils. Il souleva le couvercle. A l'intérieur, un corps minuscule traînait. C'était une gamine. Sa peau était verdâtre, ses habits déchirés. Elle était morte, et ce n'était pas leurs affaires. Ce n'était l'affaire de personne.

"Ça va, c'est juste une macchabée, t'en as jamais vu depuis que tu traînes ici ?"
"Mais Papa, tu-"
"T'as pas à t'en occuper. Tu sais même pas t'occuper de toi, alors si tu commences à t'occuper des cadavres qui traînent... crétin."

Il reposa le couvercle avant de s'éloigner un peu, le dos tourné. Mais le couvercle sauta soudain, dévoilant la soi-disante macchabée, qui s'empressa de sauter sur les épaules du père et de lui arracher le cuir chevelu avec les dents. Le fils hurla plus fort que son père, l'abandonna en courant. Celui-ci tomba à terre, le visage en sang, les bras essayant d'attraper l'espèce de monstre qui lui dévorait le crâne en poussant des cris d'égorgée.
Finalement, il attrapa une bouteille de verre qui traînait non loin, avant de l'abattre sur la tête de la zombie. Sonnée, elle lâcha. Il attrapa le petit corps et le balança contre les poubelles, enragé, avant de s'enfuir dans la direction de son fils, voué à une mort certaine.

Dirty se frotta le crâne, avant de rabattre sa capuche sur sa tête, ne prenant nullement garde aux morceaux de verre restés incrustés dans sa chair morte, puisqu'elle ne les sentait pas. Elle ne ressentait qu'un grand vide au plus profond d'elle-même. Elle avait entendu le père parler, parler d'elle. Il avait tout dit, ce que tout le monde pensait. Personne ne s'était jamais soucié d'elle. Les gens ne s'occupaient que d'eux.
Ils ne valaient pas mieux que les ordures entassés autour de sa silhouette pâle, ou que la merde qu'un chien était venu pondre quelques heures plus tôt près des poubelles.

Prise dans une nouvelle constatation de la noirceur humaine, la petite fille décomposée n'entendit pas les pas d'une nouvelle venue s'approcher doucement. Elle se contenta de serrer un sac d'ordures en guise de peluche contre elle. Si elle avait pu pleurer, elle l'aurait fait, et pas qu'un peu.

S'il y a bien un endroit où on trouve toutes sortes d'objets et de personnes utiles pour connaître les bas-fonds, c'était ici. Ishtar aimait traîner dans les ruelles sombres. Le premier qui l'emmerdait recevait un coup de couteau en plein coeur ou pire, elle estropiait leur virilité pour ne plus être ennuyée. Avec de la chance, elle tombait sur des petites filles égarées qui lui servait d'amuse-bouche sexuel. C'était arrivé quelques fois et c'était toujours un plaisir. Cette fois, elle s'intéressa aux cris qu'elle venait tout juste d'entendre plus loin. Interpellée, la dragonne s'approcha pour voir passer devant elle un gars à la tronche bien déchirée par ce qui semblait être l'attaque d'une créature.

La dragonne lui fit un croche-pieds au passage de la ruelle, calmant ses cris qui lui avait vrillé le cerveau l'espace d'un instant... On parle des mosqittos dans les lieux publics, mais le plus bruyant... c'est justement le public. Ishtar s'enfonça dans la ruelle, trouvant alors une jeune fille qui était là, visiblement triste et aussi, visiblement morte ! Une morte vivante juste sous ses yeux ! Une nécromancienne comme elle ne pouvait pas laisser passer ça. Elle aimait les petites filles, mais aussi les zombies. Ishtar s'approche, sentant qu'elle ne craignait rien de toutes façons.

"Ca ne va pas ma petite ? Ce type a été méchant avec toi... Aller soi pas malheureuse, je suis venue t'aider. Tu verras, tout est terminé, il ne viendra plus t'embêter."

Elle s'agenouilla à sa hauteur, lui souriant. Ishtar ne voyait pas un monstre, ni une curiosité.. En fait, c'était la fillette idéale et parfaite.

"Je m'appelle Ishtar Sakipat Tebisha. Et toi, tu as un petit nom ?"

La petite zombie leva son œil vers la silhouette qui se découpait dans l'ombre comme du papier. Les cris de l'ivrogne avaient disparus, et même une enfant un peu attardée comme elle pouvait comprendre qu'il y avait un lien avec la nouvelle venue. Elle supposa qu'il avait dû mourir de peur, car la dragonne avait quelque chose de terrifiant. Pas pour une créature revenue d'outre-tombe comme elle, mais pour un homme normal... elle représentait ce qu'il ne connaissait pas, et donc ce qui était dangereux pour lui. Dirty symbolisait un peu cette idée, aussi. Elles avaient des choses en commun dés le départ.
La zombie connaissait la souffrance, ainsi que la mort. Elle n'avait donc à avoir peur ni de l'une ni de l'autre. En fait, il y avait très peu de choses qui pouvaient lui faire peur, voire pas du tout. La principale était quand même de voir son propre reflet, si laid et rapiécé par la nature...

Quand Ishtar s'agenouilla, et lui parla, elle fut par contre franchement étonnée. Les créatures avaient beau lui ressembler, il n'en restait pas moins qu'elles agissaient comme les humains, d'habitude. Elle avait déjà manqué de se faire découper en morceaux par un diablotin. En lui murmurant de gentilles paroles comme le faisait la dragonne, le cœur de la morte-vivante sembla se réchauffer un peu. Elle eut même l'œil humide de reconnaissance, ce qui le fit tomber hors de son orbite. Elle le replaça comme elle pouvait au fond du trou, cligna un peu pour le remettre parfaitement en place, et regarda à nouveau Ishtar.

C'était une belle femme, comme elle en avait déjà vu. Généralement, elles étaient les premières à hurler de frayeur en voyant Dirty. Pas celle-là. Il sembla à la gamine que les vers qui avaient envahi son estomac s'étaient fait pousser des ailes pour frémir contre sa cage thoracique. Elle était toute émue et ne savait pas quoi dire.

Son lapin qui traînait non loin atterrit vite entre ses petites mains bleutées et se posta devant son visage tuméfie.

"Moi... A fait... quelque chose... mal ?.."

Elle faisait bien sûr allusion à sa dernière victime, mais aussi à toutes les autres, et à ceux et celles qui avaient fait d'elle leurs victimes. Puisqu'elle avait enfin quelqu'un sous la main pour en parler, elle ne laissait pas passer l'occasion, même si Ishtar ne comprendrait peut-être pas. Avec sa voix éraillé et fluette à la fois, et sa syntaxe minable, il fallait bien écouter.
Derrière le tissu du lapin rose, ses joues habituellement glacées étaient devenus brûlantes.