«
- C'est... C'est lui le... P-patriarche ? » demanda Sakura.
Est-ce de la peur qu’Alice ressentait dans sa voix ? Elle était paradoxalement heureuse de voir enfin une réaction normale ! Quand un dragon rugissait, son Père se contentait de dire qu’il avait «
le feu qui jaillissait pas au bon endroit de sa foutue anatomie », Ciri’ se contentait de dire qu’il faudrait l’égorger sur place, et la plupart des Commandeurs s’en souciaient. Inversement, Alice, la première fois qu’elle avait entendu un dragon rugir, avait défailli. Il lui avait fallu de nombreuses années pour s’y habituer. Quand on vivait au milieu des dragons, on n’avait, de toute façon, pas spécialement le choix. Alice regarda à nouveau le dragon doré, et sut instinctivement que ce n’était pas le Patriarche. Il était bien trop jeune pour cela, même s’il avait une taille impressionnante.
«
Non, ma beauté, je crois que c’était une forme d’humour propre aux dragons, et une invitation, finit-elle par dire.
Le Patriarche souhaite bien te voir. Le dragon doré ne t’aurait pas laissé pénétrer dans ce cercle sacré, autrement. »
Alice s’avança sur la berge du lac qui se dressait devant elle. C’était un lieu empreint de magie et de féérie. Juché au milieu des montagnes, le Sanctuaire des Dragons était un havre de paix, un jardin merveilleux, et, une fois n’est pas coutume, la Princesse se sentit infiniment petite devant un tel spectacle. Lentement, elle s’avança près de la surface du lac, face à l’île centrale, où la structure en pierre, composée de quatre espèces de griffes recourbées, se dressait silencieusement. Alice s’approcha du lac, et fléchit les genoux, presque en position de prière.
«
Il faut que tu ailles au centre du lac, Sakura... Mais je t’encourage à reprendre ta forme normale. Le Patriarche t’attend au centre, dans l’Autel. »
Elle attendit que Sakura reprenne sa forme normale pour lui délivrer un gros baiser sur les lèvres, la serrant contre elle, afin de se mordiller les lèvres. Elle savait aussi ce que ce grondement signifiait : un
avertissement. Alice savait qu’elle ne pouvait aller plus loin.
«
Je ne peux pas venir avec toi, ma belle. C’est une épreuve que tu dois faire seule, mais tu n’as pas à t’inquiéter. Le Patriarche… J’ignore ce qu’il veut te faire, mais ce ne sera que bon pour toi, mon petit sucre. Vas-y… »
La Princesse attrapa un petit caillou, et le jeta sur l’eau. Au lieu de disparaître dans l’eau, le caillou rebondit à la surface, ne s’enfonçant que très légèrement, avant de flotter en surface. La Princesse regarda ensuite Sakura.
«
Marche sur l’eau, et va à l’intérieur… Le Patriarche viendra ensuite. Courage, et ne t’en fais pas. Je resterais là, bien sagement. »
Elle l’embrassa une dernière fois, et la poussa légèrement en posant une main sur ses fesses, pour l’amener sur le lac. Alors que Sakura marchait, Alice vit de nombreux dragons jaillir des horizons, se posant sur les piques et les rochers, se mettant à gronder en chœur, provoquant un tumulte qui fit frémir Alice. Les dragons remuaient des ailes, et crachèrent des langues de feu, sans que rien ne puisse atteindre Sakura. Alice fit signe à Sakura de poursuivre, jusqu’à ce qu’elle atteigne l’Autel.
Le tintamarre des dragons continua pendant plusieurs minutes, et un immense dragon doré jaillit alors, ses immenses ailes s’étalant sur plusieurs mètres. Les dragons se turent instantanément, formant deux rangées compactes, et l’énorme dragon alla se poser sur l’Autel, ses longues ailes la recouvrant intérieurement, tandis qu’il abaissait sa tête pour fixer Sakura, ses immenses yeux la fixant. Alice ne voyait toutefois pas ce qui se passait, et entendit des bruits de pas derrière elle.
En se retournant, elle vit la silhouette massive du Roi de Sylvandell, Tywill Korvander, s’avancer sur un cheval, accompagné par plusieurs mestres, gardes, et même le Limier, le Commandeur qui restait généralement à Sylvandell pour surveiller le royaume.
«
Père ?! Mais que… ? -
Petite fleur, crois-tu donc pouvoir me mentir impunément ? » répliqua vertement son Père, en descendant de cheval.
Pour avoir pris un cheval, il avait du prendre un autre chemin que le sien. Voulant éviter de croiser des éclaireurs, Alice avait marché au sein du Territoire des Dragons.
«
Je sais très bien ce que tu as fait avec ta belle dans la baignoire, tout comme je sais qu’elle peut modifier son apparence, et même plus que ça. -
Mais… Pourquoi ce simulacre, alors ? -
Les putains de mestres qui m’accompagnaient au banquet sont pas du genre à accepter qu’une esclave puisse librement aller au Sanctuaire. -
Vous… Vouliez que je vous… Que je vous désobéisse, Père ? » rougit-elle.
Il se contenta de sourire, et lui tapota la tête, ce qui la fit rougir encore plus.
«
’Pas besoin de chier entre deux culs le savoir ; tu es une Korvander, ma fille. Néanmoins, ma belle, si jamais il ne se passe rien… -
Vous parlez dans le vide, Père. »
A l’intérieur de l’Autel, le Patriarche continuait à fixer Sakura, et cracha sur elle un feu vert. Le feu se répandit dans tout l’Autel, éblouissant Sakura, et, lorsque cette dernière dut rouvrir les yeux, sa surprise devrait être grande, en constatant qu’elle ne se trouvait manifestement plus dans l’Autel, mais dans une espèce de plaine orangée. Une licorne trônait à côté d’elle, et, devant elle, on pouvait voir un dragon colossal, une immense masse qui semblait même défier les Dieux, tant il était majestueux, grand, et immense. Même les plus dragons de Sylvandell ressemblaient à des gringalets face à cette montagne immense :
On l’appelait le
Patriarche, mais il avait connu bien des noms, et son regard argenté se posa sur Sakura. Une forme noirâtre, parcourue de flammes, apparut alors devant Sakura. Une forme d’homme, même s’il n’avait pas de visage, pas de sexe, ni de cheveux. Il ouvrit l’une de ses mains, et des flammes en jaillirent, diffusant dans le ciel des images représentatives de la vie de Sakura : son existence sur Terre, sa sœur, sa capture par les esclavagistes, sa rencontre avec l’elfe rouge, et sa rencontre avec Alice… Les flammes d’images tournoyèrent dans le ciel, entourant Sakura, avant que le Patriarche ne se mette enfin à parler.
«
Sakura Konoe… La femme aux multiples formes… Celle qui a voyagé entre les mondes et entre les espèces… Je vous remercie d’avoir accepté mon invitation. Votre mémoire indique que vous me connaissez sous le terme dont les descendants du Maudit m’affublent : le Patriarche. »