"Je sens son regard rivé sur moi, et pourtant je ne comprends pas ce que je lui ai fait. Je ne sais même pas ce que je fais là, pourquoi je suis ainsi vêtue, et où je suis. Mais elle me regarde. On dirait qu’elle sait que je ne suis pas la femme qu’elle connaissait, car effectivement, je ne reconnais pas mon reflet dans la glace. Je m’avance vers elle, et elle me saute dessus. Tout le monde crie, mais je ne m’y attendais pas, et la surprise me rend muette. Je la vois sortir deux sortes de seringues, de très grosses seringues, à l’aiguille épaisse et meurtrière. La femme en robe violette et blanche semble éclater de rage, et me pousse vers le vide. Nous sommes au douzième étage, et la chute est mortelle. Subitement, je sens les deux aiguilles, si longues lorsque destinées à cet usage, s’enfoncer dans ma poitrine, l’une au dessus du sein droit, et l’autre en dessous du gauche. Ça me fait si mal que j’en ai le souffle coupé. Je lâche un soupir rauque, qui me sort du plus profond de la gorge. J’hoquette, tandis que la violence de l’impact me fait reculer jusqu’à la rambarde de l’escalier. Je sais que si je tombe, rien ne me sauvera. C’est alors qu’elle approche son visage du mien, tout près… Et c’est avec délectation qu’elle assène : « Maintenant, tu sauras ce que ça fait, de mourir. », puis elle retire les longues seringues qui me donnent l’impression d’être clouée sur place, à mon propre corps, et me pousse dans le vide. Lors de ma chute, alors que je vois son visage s’éloigner, le temps semble se ralentir, et je sens mon sang chaud et poisseux s’échapper des trous perforés dans ma poitrine. J’ai l’impression de me vider petit à petit, et même ma tête commence à se vider. Je ne pense plus à rien, et mon esprit semble s’échapper de mon corps par ma tête. Je me laisse faire, me détendant. Je ne vois même plus le liquide rouge carmin qui laisse la trace de mon passage, et ferme les yeux. Je sais que je vais mourir…“
C’est alors qu’elle se réveilla, en criant et pleurant, prise de tremblements et de violentes convulsions. Curiosity mit du temps à se rendre compte que tout n’avait été qu’un rêve, et resta là, avec un air hébété, sans même être capable de se souvenir où elle était. Au bout de quelques minutes, néanmoins, elle se reprit, et souleva lentement son haut blanc, qui collait à sa peau recouverte d’une fine pellicule de sueur. Sous ses yeux ébahis, deux marques rouges et rondes contrastaient nettement avec la blancheur de sa peau, pile aux endroits où elle avait crû sentir les aiguilles s’enfoncer quelques temps plus tôt. Lâchant un cri rageur, elle se donna une claque. C’est alors qu’un rire retentit, tout d’abord uniquement dans sa tête, puis finalement tout autour d’elle. Quelques secondes plus tard, une jeune femme aux cheveux couleur corbeau se tenait devant elle. Ses yeux rouges brillaient d’une lueur sadique et amusée.
- Tu as encore fait un mauvais rêve, et tu en pleures ? Tu n’as plus dix ans, gamine, faut que tu grandisses un peu.
- Mais c’était si réel…
- C’est TOUJOURS « si réel »…
La jeune femme ne répondit pas, et constata que ses cheveux étaient devenus blonds et ondulés. Kimera sourit légèrement, gardant toujours son air perdu.
- Où est Amaya ?
- Ici…
La voix rêveuse qui lui répondit semblait trop basse, et vu le ton employé, Kimera ne douta pas qu’elle était en pleine réflexion. Soupirant légèrement, elle se redressa, puis retira son haut.
- Je ne devrais même pas poser la question… Hm… Je me sens très faible…
- Ça ne doit pas beaucoup changer de d’habitude, dans ce cas.
La blonde sourit face aux éternels reproches de sa consoeur brune, puis s’avança. Elles avaient établi leur campement de fortune devant une cascade, à l’origine d’un petit cours d’eau. Le tout était bien caché, et personne ne les avait encore dérangées jusqu’à présent. Se dévêtissant avec une certaine gêne, dûe à sa pudeur accoutumée, elle se hâta d’entrer dans l’eau claire et frotta sa peau durement, comme pour se débarrasser des restes du cauchemar de la veille. Tandis qu’elle s’exécutait, les autres devenaient des ombres, se fondant dans l’environnement. Leurs pouvoirs récents avaient permis de développer cette faculté. Elles étaient donc parties chercher à manger, et Kimera restait assise dans l’eau, le regard vide, réfléchissant aux derniers évènements. Elle s’était retrouvée dans ce monde bizarre, puis s’était découvert des pouvoirs sans cesse croissants, et enfin, commençait à rêver de mort. Quelque chose clochait vraisemblablement chez elle, et ce n’était pas que son trouble de la personnalité. Au moins, elle avait trouvé un cours d’eau étrange, qui la relaxait, car une légère brume bleutée flottait au-dessus de l’eau, cachant son corps nu. Ramenant ses jambes contre elle, la jeune femme posa son visage sur ses genoux, et marmonna, perdue :
- Qui suis-je… ?