Comme il s’y était attendu, les compliments laissèrent Shylee toute chose, celle-ci ne trouvant que répondre du haut de sa si adorable timidité, conservant un moment un silence embarrassé avant de ne pouvoir répondre que d’une voix bégayante, remerciant Saïl pour sa gentillesse, flattée qu’elle se disait être par celle-ci. Croyait-elle donc qu’il n’avait dit cela que pour lui faire plaisir, que parce qu’il était généralement d’usage de dire du bien d’une demoiselle ?
Il en fut presque indigné, ne pouvant accepter que quelqu’un avec de telles qualités qu’elle en fût inconscient, pis, qu’elle s’avérât ne pas s’en sentir digne. Oui, évidemment qu’elle était belle, et d’une beauté d’autant plus louable, d’autant plus appréciable qu’elle ne faisait pas partie de celles qui s’acquièrent à force de coûteux vêtements et d’ingénieux maquillages ; non, elle était dépourvue d’artifices, s’affichant aussi fraîchement et sincèrement qu’une magnifique plante sauvage.
Désireux, donc, de lui assurer que ses propos n’étaient pas des politesses mais bel et bien la vérité, il ouvrir la bouche pour le dire, mais il n’eut pas l’occasion de commencer qu’involontairement, elle le court-circuita, lui renvoyant aimablement ses mots passés. Pris de court, il en resta interdit, contrarié de découvrir que malgré ses efforts, il ne put dans un premier temps laisser aucun son sortir de sa gorge tellement celle-ci s’était serrée sous la surprise et la réserve que les paroles de cette jeune femme avaient fait ressurgir dans son cœur.
Lui, pas mal ? A d’autres ! En se regardant dans le miroir, il voyait un gaillard qui ne portait certes pas mal, mais qui n’avait rien de particulièrement séduisant, que ce fût dans son physique ou dans son attitude d’ailleurs. Partant de cette idée, il avait du mal à croire que la douce institutrice lui eût dit ces choses autrement que par candeur, ce qui n’empêchait que le compliment le touchait profondément.
Ces appréciations mutuelles, de même que la timidité qui les unissait une fois de plus, renforçaient encore la complicité qui existait entre eux, proximité morale qui n’était hélas pas au diapason de leur proximité matérielle. En effet, cette table qui les séparait, elle donnait l’impression d’être présent à un rendez-vous d’affaires, instaurant irrésistiblement entre eux un on-ne-savait-quoi de rigide, de professionnel ! Certes, ils étaient collègues, mais en l’occurrence, ce n’était pas avec sa consoeur de travail qu’il voulait s’entretenir, mais avec Shylee, de manière à lui montrer clairement qu’elle pouvait définitivement tenir ce qu’il lui avait dit pour vrai.
Ainsi, il se leva de sa chaise avec détermination malgré l’incertitude qui le taraudait, et, faisant le tour du meuble de bois, il alla la rejoindre en quelques simples pas pourtant décisifs, prenant place sur un siège à côté d’elle. La manœuvre manquait peut-être de tact, mais en l’occurrence, il écoutait non pas son sens des convenances mais ses sentiments, et ceux-ci lui intimaient de lui dire la vérité, de s’adresser à elle en toute honnêteté.
Une fois assis, il prit un moment pour l’observer, droit dans ces beaux yeux bleus si denses et si expressivement suaves à la fois, remuant dans sa tête ce qu’il allait lui dire, et cela non sans émotion. Ainsi à contre-jour, avec sa longue chevelure de couleur océane, elle paraissait une splendide naïade, et cela l’intimida presque, si bien qu’il dut faire appel à toute sa tendre franchise pour puiser en lui le courage de parler sans trembler :
« Je suis sérieux, tu es vraiment très belle. »
Le passage au tutoiement s’était fait de lui-même, sans que Saïl pût même s’en rendre compte sur le coup, semblant aller directement de pair avec ce rapprochement qu’il avait opéré, mettant devant elle son âme à nu pour la glorifier ainsi qu’il lui était dû. Dans le même temps, instinctivement presque, en une façon de plus de lui assurer sa sincérité, ses grandes mains allèrent doucement se poser contre celles, petites, délicates et fraîches, de la demoiselle, face à laquelle il poursuivit :
« Et c’est pas tout… » Il craignit un moment que la fermeté de sa voix lui manquât, mais il s’enhardit, et acheva « … tu es douce, gentille, aimable, intelligente, généreuse. Tu es vraiment quelqu’un de… de formidable. »
Il n’avait pas l’habitude de faire preuve ou de devoir faire preuve de loquacité, aussi fut-ce l’hésitation qui l’accueillit lorsqu’il termina sur ce dernier mot qui résumait ce qu’il pensait d’elle. Tout ce qu’il avait prononcé, il l’avait bien évidemment fait en toute conscience, et ne le regrettait pas, mais pour autant, il n’en restait pas moins peu apte à de telles démonstrations envers une personne qu’il connaissait depuis ce soir à peine, et il était fort probable que si la personne en question n’avait pas été la charmant Shylee, il n’aurait pas eu le courage de parler ainsi.
Ses deux paluches attentionnées exercèrent une affectueuse pression sur les menottes graciles de la jeune femme, autre reflet de l’admiration qu’il avait pour elle, puis elles commencèrent à se retirer. Non pas que Saïl n’aurait pas désiré prolonger ce contact si agréable, mais il ne voulait pas s’imposer à elle, et entendait donc ainsi la laisser respirer, assimiler ce qu’il venait de lui dire.