Ca sera...? ( pv )

Marine suivit sans mot dire l’homme qui lui indiqua le chemin à suivre. Il la conduisit jusqu’à une restaurant italien. Elle entra et il la suivit. Il semblait être un habitué du lieu car il échangea quelques phrases avec le patron qui, au vu de la langue utilisée, était un italien de pure souche.

Sous l’invitation du patron, ils s’installèrent à une petite table après que l’homme se soit absenté quelques minutes. Une fois de retour, il voulut savoir si elle aimait bien la nourriture italienne et quel était son prénom. Il ponctua tout ça d’une blague sur le personnage de Von Ormstein. Elle rit en le voyant faire une grimace caricaturale.

« Non vous ne ressemblez en rien à ce personnage, rassurez-vous. J’aime beaucoup la nourriture italienne même si j’ai peu souvent l’occasion d’en manger hormis les spaghettis bolognaise que je peux me préparer »

Elle prit la carte qui se trouvait sur la table et se mit à compulser le menu. Tout avait l’air excellent. Difficile de faire un choix. Sans compter qu’elle avait une légère tendance à avoir un appétit d’ogre. Cela lui venait des ses années d’entrainement. L’idée des régimes étaient assez loin d’elle et pour tous les exercices physiques qu’elle fournissait, il lui fallait un apport calorique conséquent. C’était toujours le cas même si elle mangeait un peu moins maintenant, son corps demandait quand même une bonne quantité d’aliments.

« Enchantée de vous rencontrer monsieur Carter. Je me nomme Marine »

Impossible pour elle de choisir. La jeune femme reposa donc la carte et se mit à détailler un peu plus celui qui allait l’accompagner pour son repas. Il était bel homme et possédait un certain charisme. Il était riche, cela se sentait et se voyait à travers ses beaux vêtements ou sa montre hors de prix. Même s’il se donnait un aspect cool, elle devinait qu’il devait énormément bosser. C’était le genre d’homme à qui tout réussi et qui fait tout pour réussir d’ailleurs.

« Je ne sais pas quoi prendre, alors je vous laisse choisir pour moi vu que vous semblez bien connaître les lieux. A titre informatif, je suis du genre… grosse mangeuse. Ne vous étonnez pas si je ne me contente pas d’une feuille de salade et d’une demi tranche de jambon, monsieur Carter »

Marine préférait le prévenir. Cela pouvait choquer de voir une femme manger une côte de bœuf de plus de 500gr à elle toute seule.

Et bien, pour quelqu'un qui le détestait quelques heures encore auparavant, Eric semblait avoir fait un pas de géant dans l'estime de la jeune femme. Elle riait à sa blague, vaseuse tout de même il faut l’avouer, lui souriait et son visage semblait bien plus détendu que dans le café. La clé serait donc de faire un tantinet étalage de sa culture ? Si Marine savait seulement, le dixième de choses qu’on lui avait inculqué… Le nombre de trucs bourrés dans sa tête, qui ne lui servaient qu’à embobiner les filles sans un sou de profondeur d’esprit… A noter qu’Eric ne considérait pas Marine comme superficielle, ou dénuée de profondeur d’esprit comme dit précédemment. Sinon, c’est dans un grecque qu’il l’aurait emmenée et pas dans ce petit restaurant sympa, il faut l’avouer. Ca n’était pas le must, un resto onéreux de grand standing, mais il jugeait l’ambiance appropriée pour un déjeuner prit au pied levé avec une inconnue, que seul un certain goût commun pour l’œuvre de Conan Doyle rapprochait de lui. Enfin, elle avait tout de même admis qu’il ne ressemblait au Von Ormstein, quand même… Il avait une plus belle gueule, non ?

Des spaghetti bolognaise. Le plat de base. Pourtant, il y avait tellement de plats italiens à manger ! La polenta par exemple. Mais les gens ne connaissaient que les pâtes et les pizzas. C’était aussi réducteur que de dire que les anglais ne mangeaient que de la gelée, ou les français des cuisses de grenouilles, des escargots ou du camembert. La vérité, c’était qu’on ne pouvait dire aimer la cuisine d’un pays qu’une fois qu’on avait mangé plusieurs fois local, qu’on en avait fait le tour en somme. D’ailleurs à l’heure actuelle, Eric lui avait un faible pour la Grèce et son huile d’Olive… les feuilles de vigne… La moussaka… Non, ça n’était pas l’heure de penser à ça.

Enchanté de même, Miss Marine.

Aussi désinvolte que paraissait le trentenaire dans la posture décontractée qu’il affichait, il était parfaitement conscient du regard de Marine glissant sur lui, et faisait mine exprès d’être inspiré par le menu. Lui l’avait pris pour la forme, il savait déjà ce qu’il allait manger avant même d’être entré dans le restaurant. Mais il aimait bien se la jouer un peu comme ça, mine de rien. Le plus magnifique, c’est que comme Marine avait assisté à son petit numéro, elle ne pouvait pas se douter qu’il faisait exprès de lui présenter une pause avantageuse de lui, qui mettait en avant ses épaules carrées, ses bras puissants ou encore la coiffure soignée de ses cheveux diaphanes. Il délaissa cependant le menu, le refermant et le posant avec douceur sur le côté, lorsque Marine lui avoua ne pas savoir quoi manger. Une fois encore elle eut droit à un sourire amusé de la part d’Eric.

Les femmes avec de l’appétit se font rares, je suis ravi d’être tombé sur vous. J’aurai peut-être moins l’air d’un goinffre si vous vous joignez à moi.

Il se redressa légèrement sur sa chaise et reprit son menu, l’ouvrant à une page précise et le tendant à Marine. Son doigt désigna sous ses yeux l’un des plats.

Je vous suggère les Lasagnes au saumon, qui sont un véritable délice. C’est un plat copieux, qui parvient à me caler moi donc je pense qu’il pourrait en être facilement de même pour vous. Le plat est baigné de crème fraîche, c’est un vrai régal.

Et pour le dessert, moelleux au chocolat, fondant à l’intérieur et croquant à l’extérieur, avec une petite surprise tout au cœur du gâteau, accompagné de sa boule de glace à la vanille. Rien que d’y penser, il en bavait déjà.

Si vous n’aimez guère le poisson cependant, ce que je peux concevoir, je vous conseillerai dans ce cas l’escalope de dinde. Elle est préparée d’une façon qui la rend tout à fait délicieuse, et accompagnée de pâtes ou de frites, à votre convenance.

Il ôta ensuite son doigt et joignit l’ensemble en ayant posé ses coudes sur sa la table, l’observant en attendant qu’elle fasse son choix. Au cou, une chaîne discrète. Celle qu’il portait à l’armée mais trop lâche pour que Marine puisse la voir sous sa chemise. Sur son torse, entre la peau et le tissus, ses plaques. Il les portait par automatisme. A des doigts, pas de bijoux. A ses oreilles, pas de bijoux. A ses poignets, pas de bijoux. Il était pimpant mais pas blingbling. Ca montrait qu’il savait être raisonnable. Il avait des goûts de luxe, le revendiquait, aimait s’habiller chiquement et être élégant. Mais il était loin des nouveaux riches qui s’empressaient d’acheter une chevalière avec leurs initiales, une grosse chaîne et autres attributs vulgaires du genre. Il était bien plus soft.

Alors ? Allez-vous opter pour le poisson ou la viande ?

Petit sourire en coin pour souligner la question. Intérêt poli.

Eric se mit à lui indiquer quel plat pourrait lui convenir et surtout convenir à son appétit. La jeune femme était contente que le fait d’avoir un gros appétit ne le choc pas.

Viande ou poisson, les deux lui convenaient. Elle n’avait pas vraiment de préférence mais elle découvrait un peu les plats depuis son arrivé à Seikusu. Dans son camp, la cuisine était plus que limitée au niveau de la diversité et de la qualité. Les aliments n’avaient qu’un seul but, celui de nourrir. Le plaisir des sens n’entrait pas en ligne de compte.

« Je vais opter pour les lasagnes au saumon, merci »

Son regard se perdit sur le décor du restaurant C’était un endroit agréable et il y avait assez peu de monde ce qui convenait parfaitement à la jeune femme. Ses yeux océan revinrent se poser sur Eric.

« Vous faites quoi dans la vie monsieur Carter ? Vous êtes dans les affaires je suppose »

Elle se ravisa. Elle ne devrait peut-être pas poser une telle question. Elle n’était pas particulièrement curieuse, elle essayait juste d’engager la conversation ce qui lui demandait un grand effort.

« Si la question vous gêne, vous n’êtes pas obligé de répondre »

Une fois que Marine eut fait son choix, ils n’eurent pas longtemps à attendre pour qu’un serveur vienne prendre leurs commandes. Eric se chargea de demander les deux plats de lasagnes qu’ils allaient manger, avant d’en revenir à Marine qui avait saisi ce moment pour jauger de la décoration. Elle ne semblait pas s’offusquer de la simplicité du lieu, c’était appréciable. Il n’y avait rien qu’Eric supportait moins que les godiches capricieuses. En général ces femelles là, il se contentait de coucher avec. Et encore, quand il avait la dent et rien d’autre à se mettre dessous.

Bien, les commandes étaient envoyées, le décor apprécié à sa juste valeur. La discussion pouvait être entamée. Orientée sur lui pour commencer, normal puisque c’était Marine qui prenait les devant. Dans le cas où ça aurait été Eric, la discussion se serait orientée sur elle, échange de bons procédés. Un sourire étira les lèvres du jeune homme et fit pétiller ses yeux verts transparents.

Dire que je suis dans les affaires est assez réducteur… Disons que j’ai beaucoup de cordes à mon arc, que je touche à beaucoup de domaines.

C’était la façon la plus simple d’expliquer ses activités selon lui. Sinon, il aurait dû enchaîner en disant qu’il était pilote, de réserve, et financier d’une grande firme internationale, blablabla… Ils en auraient pour des heures. Et il y avait plus amusant comme sujets à aborder, non ?

Et vous ? Vous ne bossez pas un plein jour de semaine. Vous êtes prof ?

Petite pique lancée au corps enseignant, qui l’amusa lui-même alors qu’il leur servait un verre d’eau claire à chacun. Il était trop tôt pour le vin. Nul doute qu’il se sentirait très idiot si Marine lui révélait qu’elle était effectivement professeur. C’était encore un coup à susciter son antipathie mais bon, il était comme ça. Sa mère avait coutume de répéter que le seul endroit où l’on peut changer un homme, c’est au berceau. Inutile de préciser que pour lui, cette époque était depuis bien longtemps derrière lui. Et heureusement d’ailleurs.

Eric resta assez évasif concernant son travail. C’était son droit. Il n’allait certainement pas lui déballer tout son CV comme ça. Et puis, c’était plus pour dire quelque chose que de savoir ce qu’il en était.

Marine sourit quand il lui demanda si elle était prof. Elle se doutait bien qu’il avait dit ça comme étant une boutade. Il ne se doutait pas qu’il avait vu juste.

« Vous avez raison, je suis prof. Et c’est bien connu les profs ne travaillent pas ! »

Elle souriait toujours. Volontairement, elle en rajoutait. C’était une idée reçue comme quoi les profs ne faisaient pas grand-chose alors qu’ils étaient bien payés. La jeune femme faisait avec cette idée, au combien fausse, et ne cherchait pas à argumenter quand elle entendait ce commentaire. Les gens changeaient rarement d’opinion concernant cet état de chose.

« Je suis même prof de philosophie. Une matière qui demande encore moins de travail que pour les autres ! Une matière qui, en général, ne passionne pas grand monde ! »

Marine n’était pas idiote. La plupart de ses élèves voyaient comme un calvaire le fait devoir venir assister à ses cours. Les notions de philosophie leur paraissaient souvent bien abstraites et pas du tout en relation avec leur quotidien et leurs centres d’intérêts. D’ailleurs ils ne comprenaient pas que quelqu’un de normalement constitué puisse trouver un intérêt quelconque à ce domaine très particulier. Ce qui sous-entendait la question de savoir si Marine était normale ce dont la jeune femme n’était pas certaine.

Comme prévu, Eric se sentit très con quand Marine lui avoua qu’elle était prof. Heureusement que son self control était sans faille, autrement la gorgée d’eau qu’il était en train de boire au même avec son petit sourire narquois serait bien moins passée. Mais il en avait vu d’autres, pour ne pas dire qu’il était un habitué des gaffes du genre. Il aimait bien mettre les deux pieds dans le plat même, ça permettait de voir tout de suite à quel type de personne on avait affaire.
Un prof con n’aurait pas réagi de façon aussi zen que Marine. Un prof con se serait d’emblée braqué, aurait tiré la tronche voire l’aurait insulté. Donc deux conclusions. Marine était intelligente et elle savait faire preuve d’autodérision. Ce qu’elle prouva d’ailleurs en enfonçant seule le clou, lui confessant être professeur de philo.

Concernant sa matière d’ailleurs, Eric n’avait pas d’avis prédéfini. Il en gardait juste un horrible souvenir. C’était un homme intelligent, donc qui concevait qu’on ait des goûts différents aux siens, mais chaque fois qu’il en avait l’occasion, il pourrissait carrément cette matière et l’enseignant qu’il avait eu le malheur d’avoir à l’école. Lui qui se disait que ça allait être génial d’avoir de grands débats idéologiques etc n’avait été que de déception en déception. Il avait fini l’année à jouer aux cartes avec ses potes dans le fond de la classe. Loin d’être une référence en la matière donc. Très loin.

Enfin, les apparences étaient sauves, Eric reposa son verre sur la table après avoir bu, l’air toujours aussi cool. Ses yeux suivirent un moment son index longer lentement le pied du verre avant qu’il ne reporte son attention sur Marine.

Tous les goûts sont dans la nature m’a-t-on toujours répété. Si enseigner les maths est quelque chose de compliqué, je ne doute pas que ça soit le cas de la philosophie. Les maths peuvent intéresser une minorité d’élèves, voire une majorité quand on a de la chance, mais quand vous suivez un cursus de sciences, pardonnez-moi mais la philosophie… On s’en tape, tout simplement. Ca ne sera pas Eisenhower qui viendra vous tirer d’affaire pour résoudre votre équation différentielle, quoiqu’on en dise. M’est avis que la philosophie devrait être une matière optionnelle, ne vous en déplaise. Comme ça, vous les profs n’auriez que des élèves qui s’y intéressent et les élèves eux pourront s’en badigeonner avec le pinceau de l’indifférence sans que ça ne gène personne.

Cela dit, il joignit calmement ses doigts sur la table. Il ne fallait pas perdre de vue qu’Eric était un requin, aussi agréable puisse-t-il paraître. Il avait tout de même abordé Marine en la gratifiant d’un commentaire déplacé. Ca n’était pas pour rien. Chaque geste, chaque parole était minutieux et servait un but précis que lui seul connaissait. La plupart du temps, ces buts étaient les communs, ceux qu’a tout un chacun. Parfois, c’était beaucoup plus subtile…

Imitant son compagnon, elle porta le verre d’eau à ses lèvres et en avala deux gorgées alors qu’Eric rebondissait sur le fait qu’elle soit prof de philo. Elle comprit sans trop de difficultés que ce n’était pas vraiment sa tasse de thé mais ce n’était pas la tasse de thé de grand monde et elle l’acceptait tout à fait.

A l’inverse de certains de ses collègues ou de philosophes, elle ne considérait pas cette matière comme élitiste mais comme un goût personnel. En gros, on aime ou on n’aime pas. Chacun était libre de ses choix sauf ses élèves, bien sûr.

« Oui, il est vrai que j’aurai des élèves plus attentifs et plus intéressés en cours si la philosophie était une option et non une obligation. Néanmoins, si c’était une option, je crois que je serais au chômage car je ne pense pas qu’il y est grand monde à vouloir suivre mes cours ! »

Marine rit tout doucement. Un rire léger et cristallin. Elle se moquait à nouveau d’elle-même. Elle aurait du choisir une autre matière que la philosophie pour enseigner. Malheureusement c’était la seule qu’elle pensait être apte à inculquer aux élèves.

« Pour qu’un élève puisse comprendre la philosophie, il faut qu’il est une certaine maturité, un certain vécu derrière lui qui lui permette de réfléchir autrement et de voir plus loin. Or à 17 ou 18 ans, la majorité d’entre eux ont eu une vie assez simple et facile. Difficile donc d’en faire de grands penseurs »

La jeune femme excellait dans ce domaine car même à 18 ans, elle avait certainement bien plus vécue que de nombreuses personnes bien plus âgées qu’elle. Ses yeux se voilèrent l’espace d’un instant car elle ne se rappelait que trop bien les évènements qui l’avaient amenés à comprendre cette matière si particulière.

« Par contre, les maths ont leur place en philosophie. Je ne dis pas bien sûr qu’un philosophe saura faire des calculs complexes mais Platon et Aristote s’y sont intéressés. Ainsi, sur le fronton de l’académie créée par Platon était inscrit les mots suivants : que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. Mais je vais arrêter là, sinon je vais finir par vous couper l’appétit ! »

Par chance leurs plats arrivaient clôturant la discussion dans ce domaine, au moins pour un moment. Le fumé était des plus engageants. Cela lui mettait l’eau à la bouche. Son muffin du matin ne l’avait pas calée mais sa lecture l’avait empêchée de ressentir la faim. Là avec l’arrivé du plat, son estomac se réveillait et attendait d’être sustenté.

« Hummmm… ça sent délicieusement bon ! Bon appétit monsieur Carter ! »

Doucement, en prenant soin de ne pas se brûler, elle commença son déjeuner.

Oui évidemment Marine serait au chômage, le cas échéant. Eric le savait pertinemment. Mais peut-être que si le système avait été mis en place ainsi quelques années auparavant, Marine n’aurait-elle pas choisi d’enseigner la philosophie, mais une autre matière, voire de faire quelque chose de complètement différent. C’était possible. Après tout, avec des « si » il était aisé de mettre des grandes villes en bouteille, n’est-ce pas ? Elle semblait également avoir une vision très lucide des capacités de ses élèves. Lui-même était issus d’une jeunesse dorée, aussi n’avait-il jamais eu la prétention de se déclarer humble, modeste ou encore de se poser en victime. Il était très conscient de sa chance, mais une grande partie des bonnes choses qui lui étaient arrivées n’étaient que de son fait à lui. Aussi était-il capable de relativiser. Certains ont toutes les qualités, d’autres n’en ont que l’apparence. Et certains n’ont aucun des deux. Où classer Eric ? Dans la troisième catégorie évidemment. Il était blindé de défauts, tous plus agaçants les uns que les autres. Mais curieusement, ils ne lui avaient jamais porté préjudice. Preuve en est là où il en était aujourd’hui.

De fil en aiguille, la discussion allait bon train. Les yeux d’Eric se plissèrent légèrement au changement d’expression subtil des yeux de sa compagne de déjeuner. Manque de chance pour elle, il était observateur et perspicace. Si Marine parlait en ces termes de ses élèves, et que ses yeux avaient exprimé une émotion ombrageuse, c’était que quelque chose l’avait marquée bien avant ses dix huit ans. Quelque chose d’important, qui devait être terrible. Certainement pas un souvenir heureux, sinon elle aurait été nostalgique. Mais le jeune homme était loin d’être indiscret, et qui plus est, ils se connaissaient à peine ! Il n’allait tout de même pas se mettre à la cuisiner sur ses traumatismes passés alors qu’il connaissait tout juste son prénom et son métier ! Autant laisser couler donc, bien qu’il releva et conserva cette information.

Elle dériva ensuite sur les philosophes anciens, et fut interrompue par leurs plats qui arrivaient. Le concert des gargouillements du ventre de la rouquine se virent rejoints par ceux d’Eric. Il mourrait de faim également. C’était très chaud évidemment, les lasagnes étaient servies dans de petits plats individuels, préparés à même le plat et mis directement au four avant d’être servis. Il y avait bien assez à manger pour une personne, voire trop. Mais Eric finirait tout jusqu’à la dernière miette, évidemment.

Bon appétit Miss Marine. Faîtes attention, c’est extrêmement chaud.

Pour sa part, il préféra couper ses lasagnes en divers endroits et en sortir un morceau conséquent, pour le poser sur le plat qu’il n’avait pas entamé. Ainsi à l’air libre, il refroidirait bien plus vite que dans le plat, et en attendant, Eric pouvait continuer à discuter.

Pour reprendre vos paroles précédentes, vous faîtes un lien que vous ne devriez pas entre les savants de jadis et ceux actuels. Jusqu’à il y a encore un siècles, nos hommes de sciences étaient polyvalents, je le reconnais. Ainsi, les grands noms des sciences n’étaient pas seulement soit physicien, soit mathématicien, soit philosophe. Non. Pour mériter le nom de savant, ils étaient tout cela et bien plus encore. Chose dont nous sommes incapables aujourd’hui, et sans vouloir nous trouver des excuses, c’est normal. Le champ des connaissances s’est tellement élargi comparé à l’époque que nous ne pourrions plus, même en une vie, toucher à autant de domaines que les savants de l’époque. Aussi, c’est un peu beaucoup que de demander à vos élèves ou d’autres de savoir faire des maths et de la philo.

Il lui sourit avec amabilité, but une nouvelle gorgée d’eau et pu enfin prendre ses couverts pour entamer son repas. Ni trop chaud ni trop froid, il avait la technique. Et évidemment, les lasagnes, baignés de sauce béchamel et de crème fraîche, étaient succulentes. Entre deux bouchées, il osa demander.

Alors ? Est-ce à votre goût ?

Lui en tous cas se régalait.

Marine ne disposait pas de la technique de l’homme en face d’elle pour faire refroidir les lasagnes. Elle se contenta de couper un morceau et de souffler dessus pour le faire refroidir. C’était une technique comme une autre et qui fonctionnait assez bien. Le seul inconvénient était qu’il fallait attendre un moment entre chaque bouchée pour éviter de se brûler.

La première bouchée fut un vrai plaisir pour la jeune femme. Les pâtes étaient justes moelleuses, le saumon était cuit à point ce qui en laissait tout le goût en bouche. Ni la béchamel, ni la crème fraîche ne venaient supplanter le goût délicat du poisson. Au contraire ils le sublimaient. Marine appréciait vraiment ce plat qui était absolument succulent.

Eric en profita pour repartir sur la question de la philosophie alors que Marine dégustait le plat. Une fois sa tirade achevée c’est lui qui entama son plat et interrogea la jeune femme pour savoir si elle l’appréciait. C’est elle alors qui fit une pause. Elle posa ses couverts en équilibre sur le plat pour éviter de tâcher la nappe avec les parties qui étaient entrées en contact avec la nourriture.

« Et bien ce plat est excellent. Vous êtes de très bon conseil, au moins en ce qui concerne la nourriture. Pour revenir à la philosophie, c’est vrai que l’on demande beaucoup aux élèves mais on ne leur demande pas d’être capables de discourir comme Platon mais simplement de savoir prendre position sur un sujet et de pouvoir étayer leur point de vue. Malheureusement ils ont beaucoup de mal à penser par eux-mêmes. Ils suivent les modes ou les copains sans vraiment réfléchir tel des moutons de Panurge – elle sourit en s’emparant à nouveau de ses couverts et de découper un nouveau morceau de lasagne – Pardonnez-moi, vous allez penser que j’ai une bien piètre opinion de mes élèves mais c’est un constat que je fais. La plupart de ces jeunes gens sont gentils et bien loin d’être bête. C’est juste qu’ils ont encore du mal à… comment dire… à se définir en tant qu’individu propre  - elle souffla sur son morceau avant de le manger – Et bien pour quelqu’un qui ne semblait que moyennement apprécier la philosophie, vous semblez être assez à l’aise sur la question, monsieur Carter ! »

Un nouveau sourire vint ponctuer ses propos, alors qu’abandonnant une nouvelle fois ses couverts, elle attrapa son verre d’eau pour en boire une gorgée.

Cet homme, qui l’horripilait quelques heures plus tôt, l’intriguait profondément à présent. Une petite partie d’elle se doutait bien qu’il la draguait, pour parler un peu vulgairement, mais elle se laissait faire. Il avait réussi à toucher son point faible, la connaissance, la philosophie. Tout ce qu’elle aimait. Eric semblait quelqu’un de très cultivé et cela trouvait toujours grâce à ses yeux quelqu’en soit les raisons, bonnes ou mauvaises. Elle éprouvait un certain plaisir avec cet homme. Elle n’avait pas envie plus que ça de se poser trop de questions sur le pourquoi ou le comment. Elle appréciait le moment et n’en demandait pas davantage.

Nombre de personnes trouveraient cela idiot mais elle avait appris à vivre au jour, le jour et à profiter du moment. Quand on vit s’en savoir si dans une heure, on sera toujours de ce monde, on apprend à jouir des petits plaisirs qu’offre la vie. La jeune femme, en s’ouvrant un peu plus aux autres, pouvait donc apprécier les moments agréables passés en leur compagnie quand quelqu’un d’intéressant venait à elle. Et aujourd’hui il s’agissait d’Eric Carter. 

Il n’y avait aucun mal à être épicurien, Eric serait le premier à le reconnaître, mais pour les perpétuels angoissés, c’était quelque chose de difficile à faire. Certains pensent qu’il faut être passé à deux doigts de la mort pour profiter de la vie. Mais parfois, même quand on manque de se faire tuer, ça ne suffit pas. Regardez Eric par exemple. Il avait été envoyé en mission à divers endroits du globe, son équipe et lui étaient tombés dans des embuscades, on lui avait tiré dessus. Pas de marques sur son corps non, parce qu’il avait eu de la chance et que les balles ne l’avaient pas touché. Idem pour ses compagnons du reste, mais c’était pas passé loin. Croyez-vous que ça lui ait donné envie de délaisser son métier pour fonder une famille, se reproduire ou s’attacher durablement à quelqu’un ? Non, bien sûr que non. Il y a des hommes qui ne vivent que pour ça, et d’autres qui vivent pour autre chose. Eric lui, vivait pour lui. Il se faisait plaisir à lui, avant de faire plaisir aux autres. C’était égoïste, peut-être. Mais il s’arrangeait pour que chacun y trouve son compte. Les filles par exemple. Il n’avait jamais l’indélicatesse d’attendre qu’elles soient amoureuses pour se comporter comme un parfait connard. Il l’était d’emblée, Marine l’avait constaté. Si elles avaient la faiblesse de se laisser aller à avoir des sentiments pour lui, c’était leur problème. Lui-même n’y était pour rien. Il ne faisait pas de rentre-dedans, elles prenaient donc elles-mêmes leurs décisions. Et ayant trente ans, Eric ne touchait pas aux midinettes ni autres jeunes femmes tout juste sorties de l’école. Lui fréquentait uniquement des femmes avérées. Donc rien à se reprocher, no culpabilité.

Pour en revenir à Marine et au déjeuner qu’il partageait avec elle, ses remarques la firent sourire. Mieux, la dernière l’amusa. Ce fut à son tour de poser ses couverts. Il essuya sa bouche et se laissa aller contre le dossier de son siège, faisant mine de réfléchir alors qu’il s’avait déjà très précisément ce qu’il allait dire.

Ne vous laissez pas berner par des esquives. Nous ne parlons pas philosophie, nous parlons contexte et éducation. Si vous me demandiez d’argumenter sur quelque chose comme « La culture est-elle une solution contre la violence ? », il est fort possible que je vous démontre en images que ma réponse serait tout sauf philosophique.

Par là, il entendait coller son poing dans quelque chose. Du quelque chose, on pouvait exclure Marine évidemment. Eric ne frappait les femmes que si ces dernières menaçaient sérieusement son intégrité physique.

Quant à vos élèves, vous ne pouvez leur reprocher de suivre et de ne pas savoir argumenter, je regrette. Les enseignements généraux sont responsables de cet état de fait. Vous voyez, le cerveau des adolescents… C’est comme de la pâte à modeler. Quand ils vont en maths ou en physique, qui sont juste des maths appliqués en fin de compte, on essaie de leur inculquer un mode de raisonnement, de modeler leur cervelle d’une façon précise. Le même pour tous. Certains y parviennent, d’autres non. Pourquoi ? Parce que les notions enseignées dans les écoles n’ont rien, mais absolument rien, de pragmatique et que certains élèves ont besoin de concret pour comprendre et avancer. Enfermés dans une salle de classe, sans lien avec le monde extérieur. Comment voulez-vous qu’ils comprennent ce dont on leur parle ? Et quand ils posent la question du pourquoi, on leur répond qu’ils verront ça quand ils auront terminé leur cursus, soit dix ans plus tard. C’est encourageant non ? On leur demande d’admettre les choses, en clair. Et une heure plus tard, quand ils vont en philo, vous voudriez qu’ils réfléchissent ?

Eric secoua négativement la tête.

Je suis d’accord que ce sont des moutons, donc si vous leur dites d’aller à droite, ne vous étonnez pas qu’ils y aillent et ne cherchez pas à les faire se dédoubler, pour aller à gauche en même temps. Soit vous êtes entiers dans vos démarches et vous uniformisez vos façons d’enseigner et le niveau des matières, soit vous vous contentez de ce que vous avez. En l’occurrence, je crois que vous n’avez pas vraiment le choix.

Il haussa rapidement les épaules, avec un petit sourire en coin, puis prit son verre et le vida. Ca donnait soif mine de rien. Il le reremplit ensuite, fit de même avec celui de Marine -au moins avec de l’eau elle ne pourrait pas supposer qu’il essayait de la saouler-, avant de reprendre ses couverts et de se couper un nouveau morceau de lasagnes.

Enfin moi ce que j’en dis, je vous parle de mon vécu en tant qu’élève. N’hésitez pas à me corriger si je me trompe.

Et hop, fourchette en bouche, morceau de lasagnes qui fond sur la langue, un pur délice.

Marine appréciait la valeur des arguments de son compagnon. Bien que n’étant pas dans le système scolaire, il avait une vision assez juste de l’éducation. Il parlait en tant qu’ancien élève, bien sûr, mais sa vision était loin d’être mauvaise. Elle poursuivit son déjeuner tout en pesant les arguments d’Eric.

« Non, vous avez raison. Le corps enseignant est loin d’être unifié ce qui se traduit par des demandes très différentes et même opposées vis-à-vis des élèves. C’est un problème qui devrait se régler en amont. Malheureusement chacun campe sur ses positions et au final c’est les élèves qui en pâtissent. Personnellement, j’essaie de prendre des sujets et des thèmes qui peuvent leur parler mais ce n’est pas évident. J’avoue que je connais très mal les préoccupations des jeunes gens du lycée »

Elle sourit un peu gênée. Malgré qu’elle ait le même âge que certains de ses élèves, sa vie était très éloignée de celle des lycéens. Elle avait d’ailleurs souvent du mal à les comprendre.

La jeune femme continua son repas, appréciant chaque bouchée. Maintenant, elle comprenait un peu mieux pourquoi ses élèves appréciaient de déjeuner à plusieurs. C’était agréable de discuter avec quelqu’un qui pouvait avoir des sujets de conversation qui l’intéressaient.  Peut-être devrait-elle déjeuner plus souvent avec des gens. Elle devait bien reconnaître que son sandwich habituel avait une conversation plus que limitée.

Quelques bouchées plus loin, Marine acheva son plat. Elle s’était régalée. Elle s’essuya la bouche et reposa ses couverts. Le plat copieux l’avait bien calée.

Le jeune n’était pas peu fier de lui. Parvenir à obtenir la concession d’un professeur de philosophie et sa défaite face aux arguments qu’il lui opposait. Une petite victoire personnelle obtenue des années plus tard contre une matière qui l’avait profondément agacé. La vengeance se savourait froide. Encore qu’elle ne brillait pas de l’éclat de mesquinerie et de triomphe qui caractérisait souvent ce genre de revanche. Eric était plus posé. Il triomphait, ses yeux pétillaient, mais intérieurement, sans devenir désagréable.
Il décida d’enfoncer un peu plus le clou, quoique restant toujours poli.

Si je peux me permettre, vos arguments sonnent plutôt comme un manque de volonté, sans vouloir vous vexer. Je comprends que vous soyez tenue de respecter beaucoup de contraintes, mais rien ne vous empêche d’être tout simplement franche avec vos élèves. Je ne suis pas professeur, loin de moi l’envie de vous dire comment enseigner. Je peux simplement vous faire part de ce que j’aurai aimé recevoir personnellement à l’époque de mes études comme informations de la part de mon professeur. Ca clarifierait les choses je pense.

Avant de développer, il termina son plat, s’essuya les lèvres à l’aide de sa serviette et posa ses couverts.

Je crois que vous pourriez essayer d’être honnête avec les élèves, et leur dire d’emblée, cash, qu’ils ne sont pas en cours de maths ou en cours de langue. Vous, en tant que prof de philo, votre boulot ne sera pas de leur bourrer le crane mais de développer leur esprit critique. Vous l’avez dit vous-même, ils ne sont pas idiots, ils comprendront. Et s’ils ne comprennent pas, montrez-leur vous-même. Commencez par ne faire que des débats simples, par exemple prenez les deux premières heures pour… Je ne sais pas moi, pour ou contre la télé-réalité ? Ca vous permettra d’aborder des notions comme la vie privée et autres, de dériver vers des sujets comme jusqu’où peut aller l’être humain et son manque de discrétion ou des conneries du genre et vous pourrez élargir le sujet avec des sujets très concrets. S’ils n’arrivent pas à débattre, relancez-le en jouant les balles de ping-pong. Mettez-vous d’un côté, puis de l’autre. Personnellement, ça m’aurait beaucoup plus que la philo ça se passe comme ça.

Nonchalant, il haussa les épaules et bu un verre d’eau. Pendant qu’il avait déblatéré, quelqu’un était passé pour prendre leurs plats vides, et maintenant qu’il avait fermé son caquet, cette même personne revenait pour leur proposer la carte des desserts. Eric la refusa, il savait déjà ce qu’il voulait. Mais peut-être Marine prendrait-elle autre chose, voire rien du tout. Il avait remarqué qu’elle avait terminé l’intégralité du plat, et vu sa taille, c’était forcément qu’elle avait apprécié. Satisfait, il se cala un peu mieux au fond de sa chaise.

Vous voulez un dessert et un café ? Ils sont aussi bons que le plat que vous venez de terminer.

Un petit sourire complice, ça ne faisait pas de mal.

Marine devait bien convenir qu’une fois de plus Eric n’avait pas tort mais elle ne l’avait pas attendu pour faire cela. Même si effectivement, elle essayait de partir de débats, dès l’instant où elle essayait d’enchaîner sur quelques choses de plus abstrait, en relation avec la philosophie au sens strict, un certain nombre d’élèves finissaient par décrocher. Et puis, il n’y avait pas que ça. Elle était tenue de respecter un programme bien particulier. Elle n’était pas libre de faire ce qu’elle voulait.

De plus, elle n’était pas titulaire. Elle n’était même pas prof à la base. Si elle s’amusait à faire des cours un peu trop hors-norme, cela finirait par arriver aux oreilles de la direction ou du rectorat. Or, elle ne possédait ni papiers, ni qualifications. Au mieux elle se ferait virée, au pire, elle finissait derrière des barreaux. Et aucune des ces deux options ne lui convenaient vraiment. Elle n’avait pas non plus envie de fuir à nouveau. La jeune femme se plaisait bien à Seikusu même si elle avait eu de mauvaises expériences avec certains hommes, elle appréciait quand même la ville. Elle y avait pris ses habitudes et elle n’avait pas encore envie de déménager dans un endroit inconnu où elle devrait tout recommencer à zéro.

Leur repas achevé, un serveur vint débarrasser avant de leur demander quel dessert ils souhaitaient. Marine devait bien reconnaître que le plat était plus que copieux et le dessert serait en trop.

« Juste un café pour moi merci – le serveur prit leur commande et les laissa – J’organise déjà des débats en cours et j’essaie de les glisser ensuite vers des notions plus globales de philosophie. Par contre, désolé de vous demandez ça mais, qu’est-ce que c’est que la télé-réalité ? »

La jeune femme ne regardait pas la télé et n’ayant pas eu une vie normale, elle ne connaissait pas les émissions qui pouvaient être diffusées. Son regard était interrogateur mais aussi curieux de découvrir une nouvelle chose.

 Eric n’avait jamais du être raisonnable. En matière d’excès alimentaires, évidemment. Il était beaucoup trop gourmand, aimait beaucoup trop manger. Les années qu’il avait passées à l’armée, à manger des trucs infectes avaient été les pires pour ses pupilles de toute sa vie. Même la cantine scolaire avait meilleur goût. Quoique dans sa ville natale, les selfs étaient bien pourvus. Ils avaient des tickets et choisissaient ce qu’ils voulaient manger.
Cela dit attention. Le fait qu’Eric aime manger ne veut pas dire qu’il aime manger gras et dégoulinant de sauce, et tous ces autres plats qui font grossir les ventres et gâtent la beauté des hommes, non. Certes, il aimait manger des frites. Mais comme il venait de le démontrer, il appréciait tout autant la saveur délicate d’un bon poisson qu’une belle tranche de viande bien rouge. Dans la nourriture japonaise par exemple, ce qu’il préférait c’était la soupe et les makis. Comme quoi, il n’y avait pas que pour s’habiller qu’il avait du goût.

En l’occurrence, pour lui le plat avait un goût de trop peu. Hors de question qu’il ne prenne pas de dessert donc. Il opta pour son idée première, un moelleux au chocolat qui le faisait saliver d’avance. En plus, il pouvait compter sur le cuisinier pour accompagner son gâteau d’une boule de glace à la vanille caramélisée, le contraste chaud/froid et vanille/chocolat qui l’attendait manquait déjà de faire baver Eric d’envie. Nul doute que, question sept pêchers capitaux, il était fourni. Il devait tous les avoir, ou presque. Le seul sur lequel on pouvait mettre aisément une croix était la jalousie. Eric n’aimait pas du tout se prendre la tête, autant pour les femmes que pour le reste. Il n’irait donc certainement jamais jouer les preux chevaliers pour conquérir le cœur d’une dame. Trop chiant.

Quoiqu’il en soit, il fut surpris que Marine n’ait jamais entendu parler de télé réalité. Il trouva même ça louche. Où avait-elle vécu les dix dernières années ? Dans une grotte ? Avait-elle loupé tous ces shows importés d’Amérique et d’ailleurs qui mettaient en scène des gens de tous les jours ? L’un des sourcils d’Eric se haussa. Bizarre, vraiment.

La télé-réalité, ce sont des gens comme vous et moi qui se retrouvent devant les caméras. On les enferme dans un but précis, que ça soit en faire des danseurs, des chanteurs ou simplement pour exposer la débilité humaine devant les yeux de leurs contemporains qui sont encore plus demeurés pour regarder un tel étalage de connerie.

Il n’était pas objectif non, et alors ? Il y avait des lois contre ça ? Pas à sa connaissance.

Eric sembla surprit par sa question et Marine rougit légèrement. Cependant, son visage reprit bien vite ses couleurs. Elle n’avait pas honte de sa question. Bien au contraire, elle préférait poser une question sur quelque chose qu’elle ne connaissait pas plutôt que de rester dans l’ignorance.

La jeune femme écouta le descriptif que faisait son compagnon sur la télé-réalité et elle trouva cela particulièrement étrange comme procédé. A son tour, elle haussa les sourcils devant cette description.

« Y’a… y’a vraiment des gens qui veulent faire ça ? Qui veulent être observés toute la journée ? Et… Y’a d’autres gens qui regardent ça ? »

Pour elle ça s’apparentait tout simplement à du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, rien de plus. Marine trouvait ça particulièrement malsain. Le serveur arriva alors avec le dessert de l’homme et le café de la rouquine qui était agrémenté de biscuits et d’un chocolat.

« Se sont des mœurs bien étrange que vous me décrivez là, monsieur Carter. Mais maintenant, je comprends un peu mieux les propos de certains de mes élèves et parfois leur comportement. Plusieurs d’entre eux ont parlé de ça comme d’un moyen d’être célèbre et connu. J’avoue que je trouve ça dommage qu’ils préfèrent être connu que reconnu… »

Elle comprenait mal cette volonté de vouloir être une star à tout prix. Mais peut-être qu’elle ne le comprenait parce qu’elle n’avait pas grandit dans ce monde. Elle se sentait si différente, si à part de tout le monde.

Elle tourna plusieurs fois la cuillère dans sa tasse d’un air un peu absent. Marine essayait de se connecter à une réalité qu’elle avait bien du mal à comprendre.