"Vos désirs sont des ordres Mon Seigneur."
Tendancieuse jusqu'au bout des ongles, la prêtresse se retint de peu de glisser un clin d'oeil à ce nouveau client alors qu'elle s'en détournait pour retourner au comptoir. Au passage, elle se penchait légèrement sur le côté pour prendre tel ou tel chopine vide sur une table, passait un coup de chiffon, une main rencontrait ses fesses rebondies sous le rire gras d'un mâle qui n'osait pourtant pas aller plus loin avec cette fidèle de la déesse Aphrodite, et la voix tintinnabulante de la jeune femme qui riait en arrivant à destination. Elle posa son plateau, plein de contenants vides, et les déposa dans un seau derrière le comptoir en se penchant par dessus. Elle laisas ensuite son plat au barman, et, attendant qu'il le remplisse, croisa les bras. Ses yeux balayèrent la salle jusqu'à se poser de nouveau sur ce client qui dégageait quelque chose de particulier. Quelque chose qui la faisait frémir, sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle croisa les bras et se perdit dans ses pensées.
Elle se voyait, petite, courir. Elle courait, encore et encore, les cheveux balayant son dos comme une poursuite de flamme à la course. Elle revenait du potager et portait des légumes frais à celle qui lui enseignait les rudiments de la cuisine dans les cuisines du temple de la déesse.
"C'est bien ma chérie, pose tout ça là."
Elle s'était exécutée, avec un sourire béat. Elle réalisa soudain que sa passion pour la cuisine l'avait prise très jeune... Elle s'en souvenait vaguement, il lui semblait qu'à elles deux, elles avaient fait plusieurs gâteaux et pâtés. Et la cuisine embaumait des multiples parfums d'aromates, d'épices, ou de fruits... Une véritable symphonie d'odeurs... Et puis, comme le voulait l'usage, elles avaient pris leurs mets et s'étaient mise en route vers la grande salle du temple pour les déposer en offrandes. Mais quelque chose clochait. Il n'y avait personne dans les couloirs. D'habitude, ils étaient très fréquentés, et là, rien. Alana, peu inquiète de nature et bien trop jeune pour psychoter n'avait fait attention à rien, jusqu'à ce que l'une des prêtresse l'arrête dans sa marche en interposant son bras. Elle venait d'entendre le bruit de chute d'une écuelle d'encens sur le carrelage du temple. Sans s'expliquer, elle poussa la petite fille d'une dizaine d'années qu'était Alana dans la pièce la plus proche et ferma la porte derrière elle. Peu après, Don arrivait.
Alana avait entrebâillé la porte, pour voir ce qui se passait... Elle tomba, un peu comme un enfant tombe sur ses parents, sur la prêtresse et Don faisant l'amour. Mais d'une façon sauvage, presque bestiale. Elle se demanda si ce n'était pas de là qu'elle aimait les rapports de force...
La tête de la jeune femme s'inclina, alors qu'elle dévisageait le faciès de ce client. Il lui ressemblait énormément... Mais ce ne pouvait être lui, il était mort avait-on dit. Elle l'avait pleuré, elle se souvenait avoir espéré être initiée aux plaisirs de la chair par lui. De rêveuse, son expression devint attendrie. Jusqu'à ce qu'elle soit secouée. L'heure des songeries était terminée, il fallait reprendre le travail.
Avec habileté, Alana zigzaga entre les tables, déposant pintes et autres verres et pichets d'alcool remplis, pour en venir à la table de Don, devant lequel elle déposa une bière blonde à la mousse légère, et surtout bien fraîche. Elle s'arrêta à côté de lui et sortit un petit calepin de son tablier ainsi qu'un crayon de bois.
"Prendrez-vous quelque chose d'autre? A manger peut-être? Nous avons des patates douces ainsi que du petit salé à votre disposition. Si vous désiriez autre chose, vous pouvez toujours demander et si les ingrédients sont disponibles, nous nous arrangerons pour satisfaire votre demande."
Trop de sous-entendus tuaient les sous-entendus. Mais Alana était comme ça, c'était devenu un réflexe, elle ne se contrôlait pas. Cela dit, peut-être l'esclavagiste ne se rendrait-il compte de rien. Probablement d'ailleurs.