Ville de Seikusu, Kyoto, Japon, Terre > La zone industrielle

Appelles-Moi {PV} (We're back)

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Mona Duval:
Il y a une pratique que j’ai toujours trouvé étrange. Je ne sais pas d’où elle vient. Quelqu’un le sait-il seulement ? Bizarre. Plus ça l’est, plus ça me plaît. Plus ça m’intéresse. Celle-ci est dérangeante. Elle laisse beaucoup trop de place au questionnement.

Il y a quelque temps, j’étais assise dans des toilettes publiques. J’étais ivre. Je puais l’alcool et la sueur. Le sperme aussi. Je ne me souvenais pas avoir coucher avec qui que ce soit. La robe noire que je portais, l’avais-je enfilé moi-même ? Est-ce qu’on me l’avait remise après m’avoir enfilée…Dans les vapeur d’alcool, j’avais peu de souvenir de la soirée. Quelque chose de mémorable, dont je n’aurai écho que dans les journaux. Un nouveau scandale à mon actif. La maison d’édition qui fait mine de grincer des dents. Je fais trop de bruit. Pourtant ils m'encouragent. Je me fais de la publicité. Le personnage est à la hauteur de ses écrits. Je suis un personnage. J'étais un pantin sur ces toilettes. Je crois que j’ai pleuré un peu. Je me sentais seule et sale. Je ne savais même pas où j’étais exactement. Je veux dire. Dans quelles toilettes. Les chiottes se ressemblent toutes. La crasse, l’odeur. Tout le monde pue pareil quand il fait ses besoins.

Jusqu’aux tags sur les murs. Le trou aussi. Est-ce que c’est par là que j’ai été arrosée ? Je puais et mon odeur commençait à m’insupporter. Dans ce petit cabinet. La claustrophobie me gagnait, mais il y avait des voix de l’autre côté. Depuis quand ? Je n’aurais pas su le dire à ce moment-là. Une partie de moi se demandait si ce n’était pas des amis, qui me cherchaient. Une autre me disait de la boucler. Il fallait que je rentre me doucher et me changer avant de croiser qui que ce soit. Et ma fierté a pris le pas. Je suis restée assise dans ces chiottes.

« Pour une pipe, appelle moi au…. » « Pour une bonne chatte humide, joins-moi au… » Ces phrases m’ont hantées plusieurs nuits durant après ça. Je ne sais pas pourquoi, dans ces toilettes qui puaient l’humanité, j’ai eu une révélation en les voyant. J’avais envie d’explorer le sujet. Pourquoi ne pas écrire une histoire qui démarrerait sur une rencontre. Un téléphone sur une porte de toilette. J’avais un sujet, mais il fallait que j’explore tous ces recoins avant de décider si oui ou non, c’était présentable. Ma maison d’édition avait besoin de quelque chose de nouveau de ma part. J’étais jeune, mais pas à l’abri d’être remplacée par quelqu’un d’autre. Même plus âgé. Je suis retourné faire la fête.

J’ai à nouveau bu, mais un peu moins. J’ai besoin d’avoir l’esprit clair pour ce que je vais faire. Pour ma petite expérience du moment, j’ai acheté un téléphone jetable et un feutre blanc. Quelque chose qui sera visible où que je l’écrive. Je l’écrirai partout afin de faire mouche. C’est risqué, mais j’aime le danger. L’âge m’a peut-être un peu assagie, mais je ne me suis pas endormie pour autant. J’ai besoin d’adrénaline et c’est le cœur battant que je m’enferme dans les toilettes.

La boîte résonne. Les murs crient. Les basses sont si profondes que je sens mon ventre vibrer avec les vitres. Assise sur les toilettes, plus propres que celles où j’ai eu ma révélation, je regarde la porte. Je me sens coupable. Elle est si propre. Si nue. Tout juste un chat dessiné dans un coin. Une bite grossièrement exécutée et une paire de seins difformes. Les gens qui dessinent dans les chiottes ne semblent pas doués en anatomie.

Je dé-bouchonne le feutre et je regarde la porte. Si elle avait des yeux, elle me fixerait probablement avec la même intensité. Mon prochain livre ce joue ici. Dans des toilettes un peu plus propre que la moyenne. Je me penche, les fesses vissées à la cuvette. Je ne veux pas risquer de me faire griller bêtement. Ils ne verront que des pieds. Mon feutre crisse contre la porte. Les numéros défilent entre le chat et les seins. La bite pointe vers la fin de ma phrase. Une invitation.

« Si tu cherches le plaisir, appelle-moi. Apprends-moi l’amour. Je veux la petite mort. »

C’est long et je déborde légèrement sur le mur à côté. Quand je sors, presque précipitamment, je percute quelqu’un et je marmonne. J’étais chez les hommes. Qu’il me dit. De sa voix d’ivrogne. Je suis une gonzesse et en tant que tel…il me jauge. Longtemps. Je sais exactement ce que ça fait d’être une vache à un concours bovin. Mais ça n’est jamais agréable. Et puis je veux m’en aller après mon forfait. Il se détourne et entre dans les toilettes que je viens de quitter. Le premier appel, je n’y répondrai pas.

Ça fait quelques jours maintenant que j’attends. Ma maison d’édition trouve l’idée brillante, mais ils ont peur que cela n’aboutisse à rien. Personne n’est assez bête pour appeler. On se dispute dans les locaux. Certains disent que ce n’est pas stupide. Des désespérés appellent parfois. Ou des personnes assez curieuses de savoir. Puis les autres disent que c’est n’importe quoi. Tout le monde sait qu’on met rarement son propre numéro. La preuve. Mona a utilisé un jetable. Mona. C’est moi.

« Ouais. Un choix de ma part. Je ne veux pas que mon numéro se retrouve sur des portes de chiottes. C’est vulgaire. »

Quand je dis ça, j’observe mon publique et je les vois rire, avec soulagement. Ils me connaissent depuis le temps. Je joue les saintes parfois, surtout devant le publique, mais à côté, je n’ai jamais eu peur du vulgaire. Jamais eu peur d’embrasser les préceptes de l’église de Satan. L’indulgence plutôt que l’abstinence.

En quittant le bureau ce soir, je suis crevée. Je me dis que ça ne marchera peut-être pas et que je n’ai pas d’autres idées. D’avoir attendu en me reposant sur mes lauriers, je n’ai rien mis d’autre en place. Pas de plan B, alors que j’en fais toujours d’habitude. Et j’ai perdu trop de temps à attendre un coup de téléphone. D’un pervers. Que vais-je faire si on appelle ? Je vais devoir m’offrir…c’est la règle. Laquelle ? Probablement celle des toilettes publiques. Est-ce que quelqu’un s’est déjà fait sucer après avoir passer un simple coup de téléphone ?

Je prends un verre de vin et m’installe dans mon salon. Spacieux. Je regarde un film sans avoir mis le son. J’essaie de deviner sur les lèvres. J’ai besoin de silence. Dans ma tête, ça fourmille. J’essaie d’attraper une idée, mais elles s’envolent à mon approche. Je bois un second verre. Le film a changé. Je n’aime pas l’actrice, pourtant je laisse. Le téléphone sonne et je décroche, ma voix se faisant machinalement sensuelle. Je me sens comme une de ces femmes dans les téléphones roses.

« Bonsoir, je suis Ruby. Que puis-je pour votre plaisir ? »

Ruby. Je préfère prendre un pseudonyme. Quelque chose de plus joli que Mona. Quelque chose qui donne envie. Pourtant, est-ce que moi j’en ai réellement envie ? Peut-être que je devrais raccrocher. Tout simplement. Et trouver une autre idée. Je porte le troisième verre à mes lèvres.

Helel:
Au milieu des enfers, entre plaisir et souffrance, il y a une fenêtre. Un minuscule carreau de verre, à travers lequel la curiosité peut trouver satiété. Dans les quartiers du Grand-Duc, il y a un démon avide. De tout. De pouvoir et de plaisir ? Mais le pouvoir et le plaisir sont des drogues qui ne durent qu’un temps. Un temps qu’on ne saurait mesurer à l’éternité.

Helel était son nom. Nonchalamment assis sur un fauteuil richement décoré, il observait. Une sorcière de conte aurait rougi d’envie en contemplant ce petit carreau de verre. Plus qu’un miroir capable de trouver la plus belle femme, cette fenêtre donnait sur les fils de la destinés, entremêlés.

De cette assise, à travers le carreau, le Grand-Duc voyait un endroit sordide comme il en avait tant vu. L’odeur du malaise et de la décadence. L’odeur de la chambre d’un roi parmi les rois, comme celle de chiottes d’une quelconque boite de nuit parmi des milliers. Des toilettes, vraiment ?

Un numéro apparaissait à ses yeux, et la fenêtre ne mentait jamais. Helel devait appeler cette personne, dont il ne savait rien. Insistante, la fenêtre refusait de changer de sujet, arrêtée sur l’image d’un numéro inscrit au milieu de graffitis scabreux. Certains auraient dit que cette vitre menait au destin de celui qui essayait de voir à travers. Pour le Grand-Duc, maître parmi les maîtres, ce n’était qu’un moyen de passer le temps, d’observer des choses insolites du monde des humains.

Le divertissement pour les démons millénaires, que les plaisirs infinis du Palais Infernal avaient lassés. Le beau diable caressait sa barbe, affalé sur son siège, seul témoin de cet étrange rituel. D’aucuns l’invoquaient en inscrivant des runes et en allumant des bougies, scandant son nom en sachant qu’ils y laisseraient leur âme.

« Jamais encore on ne m’avait convoqué en écrivant un numéro de téléphone au marqueur sur une porte de toilettes. » Soupira le colosse en décroisant les jambes, se penchant sur la petite vitre. « Qu’il en soit ainsi. »

Nul démon ne refuserait une invitation, aussi vulgaire puisse-t ’elle être. Helel tendit sa paume vers le plafond, alors que des nuages de fumée grisâtre entouraient sa main, l’engloutissaient dans un voile opaque. Un téléphone tout bête, passé de mode et tout juste bon à passer quelques coups de fil.

Le Grand-Duc, s’il ne méprisait pas ardemment les humains, n’accordait cependant qu’un maigre intérêt à leur technologie, à leur vie. Quelque chose le titillait pourtant. Le goût du neuf, l’envie de voir l’audacieuse personne qui attirait ainsi l’intérêt de la fenêtre, parmi tant de milliards de mortels.

Les lourds doigts du monstre s’abattirent avec méthode sur le clavier. Il sentait l’impatience des touches, comme si l’étrange création entre ses mains essayait de le presser. Helel ressentait presque la lassitude de Mona, le besoin de trouver l’inspiration en faisant une folie, en brisant un interdit.

Pas de réseau.

« Evidemment. » Le Grand-Duc souffla longuement, avant de se redresser. Ses vêtements déchirés et presque médiévaux bien vite remplacés par un simple costume noir, typique du dress code terrien. Restait juste à trouver un endroit. « Japon. » Dit-il de sa voix grave.

La fumée engloutit le démon tout entier, n’en laissant plus rien qu’un parfum boisé, ôtant sa forme à la créature. Se rematérialiser dans un autre monde était un jeu d’enfant pour un infernal comme Helel. Il avait atterri dans une petite cabine, près des côtes, loin de la civilisation. Juste assez près d’une ligne téléphonique, évidemment.

N’importe quel mortel du coin aurait affirmé que la confortable petite cabine avait toujours été là, alors même que le démon venait de la matérialiser pour ses besoins. Voilà bien l’une des rares fois où le doute pesait sur la personne qu’il aurait au bout de la ligne. C’était si intéressant pour un démon comme lui. Presque excitant, sans rapport avec le plaisir charnel sous-entendu par l’annonce.

« Ruby. » Répéta la voix rauque d’un ton légèrement amusé. « Je pense que c’est moi qui dois faire quelque chose pour toi. »

De l’autre bout du fil, la jeune femme à la voix sensuelle pouvait entendre le bruit des vagues non loin, du bois grinçant d’une chaise dans laquelle s’enfonçait son interlocuteur, serein. Les sens du diable, affolés, ne manquaient aucun son, même infime. Il aurait pu aisément s’imaginer la pièce dans laquelle elle « travaillait », s’il l’avait voulu.

« J’aimerais connaître les raisons qui poussent une jeune femme à donner son numéro de cette façon. » Il rit doucement, brièvement. « Mais tu vas me mentir, n’est-ce pas ? » Oserait-il lui dire qu’il le sentait à sa voix, à la façon dont il pouvait entendre qu’elle jouait un personnage ? C’eut été impoli.  Ne jouaient-ils pas tous deux un rôle ? Improvisant pour le plaisir de l’autre jusqu’à la petite mort ?

« Mon plaisir… Mon plaisir… » Le souffle grave du monstre semblait se répandre à travers le combiné, s’écrasant avec douceur contre le cou de Mona, malgré qu’ils fussent à plusieurs kilomètres de distance. Elle aurait pu avoir l’impression qu’il susurrait à même son oreille. Pire encore, elle aurait pu croire que cet homme dont elle ne connaissait l’apparence la prenait dans ses lourds bras musculeux, alors même qu’il réfléchissait à sa récompense. « Je ne saurais me contenter de te violenter avec amour. Il me faudrait ta dévotion entière, que tu m’appartiennes. » Il marqua une pause, tirant sur un cigare sorti de nulle part, de fumée grise, comme tout ce qu’il désirait. « Était-ce un peu trop direct, Ruby ? »

Mona Duval:
Je m’installe plus confortablement dans mon canapé. « Je suis Ruby ». Le film se déroule toujours, muet. Il y a un souffle au téléphone. Un souffle chaud. Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sens. Je frissonne, comme si j’ai froid. De deux doigt, je tire un plaid turquoise sur mes cuisses et j’attends, légèrement angoissée. Nerveuse comme une jeune mariée lors de la Lune de Miel.

« Ruby. »

Sa voix est rauque. Basse. Si profonde que j’ai le sentiment de l’avoir dans les tripes. Je vibre. Je ne connais même pas la personne de l’autre côté. C’est excitant. Je vide mon verre, buvant mon vin que je mêle aux paroles étranges de mon inconnu.

« Je pense que c’est moi qui dois faire quelque chose pour toi. »

J’avais à faire à un petit rigolo. Ou quelqu’un qui connaissait les règles du jeu mieux que moi. J’aimerais lui demander ce qu’il entend par là, mais bien trop nerveuse. Ma main tremble et elle tremble toujours lorsque je me sers un quatrième verre. J’écoute, je ne parle plus. C’est mon plan, mais celui à l’autre bout du fil, en une phrase, me l’a volé. Je me sens idiote et j’ai envie de raccrocher.

« J’aimerais connaître les raisons qui poussent une jeune femme à donner son numéro de cette façon. »

Son rire est comme une onde électrique dans mon échine. Je m’agite sur le canapé, pliant et dépliant les jambes. Je porte le verre à mes lèvres, je commence à avoir chaud. Les joues roses. Je me sens idiote en plus de commencer à être soûl.

« Mais tu vas me mentir n’est-ce pas ? »

Pendant qu’il parle, j’écoute. Je ne sais même pas pourquoi. Ce doit être parce-que si je ne tiens pas, je n’aurai pas de livre à offrir à ma maison d’édition. Ils attendent sur moi. Je ne vais pas les décevoir.

« Je ne sais pas. »

Idiote. Bien que toujours suave, il va remarquer le tressaillement dans ma voix. Cette réponse brève. Qui est-il ? Si je lui demande, il va sûrement me demander qui je suis vraiment moi. Cette expérience est déplaisante. Hors de contrôle.

« Je l’ai fait pour d’étranges raisons. Vous ne comprendriez pas. Que désirez-vous ? »

Je ne peux empêcher mon ton de durcir. Légèrement. Je ne veux pas perdre mon temps avec quelqu’un qui s’amuse. J’ai besoin de matière à travailler. Pourtant je ne raccroche pas. Ma main garde contre mon oreille le téléphone, Comme si au fond, j’avais envie…c’est plus que ça. Besoin de l’entendre encore. Savoir ce qu’il va dire. Je maudis plus que jamais ma curiosité en cet instant.

« Mon plaisir…mon plaisir… »

Ce doit être l’alcool. J’ai si chaud tout à coup. Je laisse le plaid glisser contre mes jambes. Le simple contact du tissu contre ma peau me ferait presque gémir. Je dépose le verre sur la table base, la manquant presque. Un peu plus et je me retrouvais avec du vin rouge sur ma moquette en peluche crème. Le téléphone, pourtant, ne quitte pas mon oreille. A aucun moment durant notre échange. J’ai besoin de savoir. Que va-t-il se passer après ?

« Je ne saurais me contenter de te violenter avec amour. Il me faudrait ta dévotion entière, que tu m’appartiennes »

Une pause. Pendant qu’il parlait et même lorsqu’il se taisait, je sentais une présence. Quelque chose de chaud, réconfortant. Mais. Mais un sentiment de malaise m’envahit de plus en plus. Ce n’est pas normal et l’alcool ne m’a jamais fait ressentir de telle chose. Un mélange d’émotion particulier, entre l’angoisse, la peur et quelque chose qui ressemble à de l’excitation. Elle monte d’entre mes cuisses et envahit mon ventre.

« Était-ce un peu trop direct, Ruby ? »
« Moi c’est Mona. »

Ma voix est restée celle de la femme du téléphone, proche ma voix naturelle, mais je suis sincère cette fois. Je n’avais plus envie de jouer. Ou de mentir. Sa voix a d’autorité ce qu’il faut pour me faire me recroqueviller sur le canapé. Le visage entre les genoux, j’écoute son souffle rauque avant de me mettre à réfléchir. Je ne sais pas dans quoi je m’engage et pourtant, je m’entends parler. Les mots sortent comme mécaniquement. Pourtant, rien n’indique que ce sont des mensonges.

« C’est un pacte…que vous voulez n’est-ce pas ? »

Je suis Faust face au Diable.

« Si j’accepte…que va-t-il se passer ensuite ? Dites-moi ? Soyez direct. Je n’ai pas peur. »

Je suis morte de trouille. Enfoncée dans mon canapé, le combiné accroché à mon oreille. Il fait partie de moi maintenant. Il y a des publicités à la télévision. Des rasoirs, des gâteaux. Tout défile depuis tout à l’heure sans que je n’y prête attention. Le souffle rauque. Il fume. Qu’est-ce qu’il fume ? J’ai envie d’une cigarette. Je ne dois pas. J’ai envie de sentir des mais sur moi. Les siennes ? Je ne le connais même pas. Mais cette idée à quelque chose de malsain. Excitant.
Je suis morte de trouille.

Helel:
Quelle belle voix. Helel inspirait doucement à travers le combiné, comme un lourd souffle continuant ses caresses impromptues sur la peau de Mona. Il paraissait impensable que le démon puisse la sentir resserrer les cuisses, qu’il puisse toucher à pleines main son petit ventre chaud de désir et d’anticipation.

Pourtant, les doigts du Grand-Duc se sentaient sur la chair moelleuse et délicate de l’humaine, alors qu’il parcourait doucement le bois qui constituait les rebords de la fenêtre. Il grondait doucement d’approbation, presque comme le ronronnement d’un fauve, apaisant et terrifiant à la fois. Pensait-elle jouer avec un inoffensif pervers ?

« Si tu veux te toucher, fais-le. Arrête de décroiser tes belles petites jambes. » Il gronda, imposant de par le ton de sa voix. Helel n’avait rien d’un maître cruel. Mais il est important de faire savoir à ses amantes que seule l’honnêteté est récompensée. « Tu as tort de ne pas avoir peur. »

Il resserra lourdement son énorme main sur le combiné, et comme le battement d’ailes d’un papillon, l’effet s’en ressentit jusque dans l’appartement de Mona. Elle pouvait sentir le souffle dans son cou devenir emprise, ce souffle qui caressait son corps à moitié dénudé un peu plus tôt. Etait-ce normal ? Etait-ce l’alcool qui réveillait cette chaleur entre ses cuisses ? La voix rauque et cruelle de son interlocuteur ? Le tabou de cet appel ?

Helel défit lentement les boutons de sa veste, de sa chemise. La chaleur du monde humain n’est rien face au brasier des enfers. Pourtant, il avait chaud, terriblement chaud. Se baigner dans l’eau glaciale n’aurait d’effet sur lui. D’une façon inexplicablement audible par le téléphone, sa lourde main glissa contre son torse, de ses pectoraux saillants à ses abdos ciselés, s’arrêtant juste sous sa ceinture.

« Tu trembles. » Pouvait-elle ressentir la frustration qu’il ressentait lui-même en ce moment ? Pouvait-elle sentir son entrejambe brûler de désir, tout en sachant que seuls ses doigts, seul le rebord de son assise pouvaient réellement combler sa curiosité ? « Mona. C’est tellement agréable à prononcer. Ça me glisserait presque sur le bout de la langue. Mona. »

Le nom a un pouvoir que les mortels ignorent. Entendant enfin le vrai nom de la jeune femme, le démon fut parcouru d’un frisson d’extase. Il ferma les yeux, contenant ses pouvoirs, qui brulaient d’envie de lui décrire tout ce que vivait et voyait Mona. Il respectait l’intimité de cette parfaite inconnue. La découvrant à mesure qu’elle le découvrait.

Mais, jamais il n’aurait pu empêcher son imagination de suivre son cours. Jamais il n’aurait pu s’empêcher de sentir le parfum délicat à travers le combiné téléphonique. Amant brutal, possessif et cruel, il voulait s’approprier la moindre goutte, le plus petit effluve de ce parfum féminin. Encore… Encore !! De tout son être, il empêchait ses doigts d’aller rencontrer son sexe rudement titillé par la douce voix de Mona.

« Mona, tu peux m’appeler… » Il réfléchit un instant, se mordillant la lèvre un instant avant de surenchérir dans un souffle rauque. « Tu peux m’appeler Maître. »

Le coût… L’avait-elle réellement invoqué ? Avait-elle seulement un prix à payer pour avoir été la malheureuse cible d’un odieux destin ? Helel y songea un moment. En guise d’indice sur l’hésitation de ce fantasme vivant, il y eut un court silence, avant qu’enfin la voix du démon ne s’élève.

« Ton âme. » Dit-il d’une voix suave, plus envoutante et entêtante qu’un baiser moite et chaud, qu’une main insistante agrippant chaque centimètre de peau. « Je prendrai ton âme à jamais, je ferai de toi mon jouet. » Tu en as besoin, tu le veux, murmuraient des voix lointaines à l’oreille de Mona. « Ton beau petit cou sera serti d’un collier, ta bouche destinée à baiser la moindre parcelle de mon corps. »

Sentait-elle cette pression sur sa gorge, qui illustrait à la perfection les paroles du beau diable ? Et était-ce son imagination qui lui faisait ressentir d’insistants baisers charnus contre la nuque, le long du dos ? Mona n’était pas la seule victime de tourments. Helel aussi en ressentait la désirable cruauté, l’impatience inassouvie.

« Je veux te mordre, te gifler et te couvrir de baisers. » Il se mord doucement la lèvre, et l’espace d’un instant, l’humaine pourrait ressentir cette légère morsure contre sa propre bouche. La télévision semble cesser de passer publicité insipide sur publicité insipide, laissant place à une étrange scène. « Embrasse ce téléphone. Laisse-moi ressentir la pulpe de tes jolies lèvres. » Il ronronne de plaisir. « C’est un ordre. »

Sur l’écran se dessine Mona, allongée sur un lit aux draps de satin rouges. Elle peut se voir elle-même gesticuler et se cambrer, un inconnu au visage niché dans le creux de ses cuisses, dont elle ne discerne clairement que le large dos musculeux. Les bruits de succion obscènes se succèdent, laissent place aux sons moites de larges doigts prenant place dans son intimité trempée.

Délire-t’elle ? Ne connait-elle pas l’alcool et ses effets ? A-t’elle jamais connu hallucination aussi réelle ? Lorsqu’elle clignerait des yeux, la scène disparaitrait aussitôt, remplacée par une publicité quelconque. Brisant le silence, un souffle, chargé de tabac, à l’odeur boisée d’un épais cigare.

« Donne-moi ta bouche. » Ordonne la voix, impérieuse. « Dépêche-toi. »

Mona Duval:
Je termine les dernières gouttes du verre. Lorsque je le repose, ma main ne tremble plus. Pourtant, je continue d’avoir peur, tout en me sentant rassurée par une chaleur inattendue. Je veux tout mettre sur le compte de l’alcool. Peut-être même que je me suis endormie sur le canapé en rentrant et que je suis en train de rêver. Pourquoi pas. Ce doit être ça.

« Si tu veux te toucher, fais-le. Arrête de décroiser tes belles petites jambes. »

Un frottement. Il caressait quelque chose. Lui ? Non. C’était comme lorsqu’on passe la main sur une table. Par mimétisme, je le fais tandis qu’il me dit de me toucher. Je n’en ai pas envie. J’ai envie de l’entendre encore.

« Comment…vous me voyez ? »

La trouille revient. Je commençais à y croire, à cette histoire de rêve. Mais ça virait au cauchemar. Je me sentais comme héroïne d’un mauvais film d’horreur. Lorsque je me déplace, mal à l’aise, sur le canapé, je sens en me réinstallant après avoir pris la bouteille de vin, que ma culotte est trempée. Ce simple échange téléphonique me faisait plus d’effet que la plupart des amants que j’ai connu dans ma courte vie. Je me recroqueville à nouveau. Il a dit de ne pas croiser les jambes.

« Quoi que vous fassiez, arrêtez. »

J’avais chaud à nouveau. Une chaleur enveloppante, qui devient vite éprouvante. J’ai la sensation d’une main sur ma nuque. C’est ma posture. Ce doit être ça. Je me redresse, mes cuisses s’écartent. Il m’a dit d’arrêter de bouger les jambes. J’ai obéi. Pas moi. Mon corps. Je ne me rends pas compte de ma position et je bois à même la bouteille. Du vin me glisse sur le menton, tâche le débardeur blanc que je porte sur ma lourde poitrine nue. Mes tétons forment de petits dômes avec le tissu. Je suis ivre.

Il se caresse. Non ? J’ai envie de lui demander. Cette question me brûle les lèvres, mais je ne soulagerai pas ma curiosité. Je bois. J’ai chaud et je relève lentement le débardeur sur mon ventre, je le coince sous mes seins. C’est comme si des tas de mains me caressaient. Des mains puissantes et chaudes. Ce n’est pas comme le fourmillement qui me gagne quand je suis défoncée. C’est autre chose. Une sensation que je ne peux pas décrire. Il n’y a peut-être même pas les mots. Pourquoi ai-je une impression de doigt sur un torse ? Comme si je me trouvais avec un homme qui…un homme. J’ai à nouveau chaud et ma main libre est passée du canapé à ma cuisse que je tends doucement. Je ne veux pas qu’il entende. Est-ce qu’il me voit vraiment ?

Tout ce qu’il dit est obscène. De sa manière de dire mon prénom à celle qu’il a de prononcer le mot « langue ». Mon ventre est dur et musclé sous mes doigts. Machinalement, je me caresse la peau, abdo après abdo. Je titille mon nombril, comme quand j’étais enfant. De temps en temps, j’arrête mes gestes pour prendre une nouvelle gorgée de vin. Ma bouche devient pâteuse, mais mes mot sont clairs.

« Comment pouvez-vous le voir ? » Je sors le doigt de mon nombril. Je me redresse et tente de percer la noirceur au dehors. Une ombre me fait sursauter. « C’est un jeu n’est-ce pas ? »

Je me laisse retomber dans le canapé. Une jambe tendue. Pied sur la table. Une longue chaussette blanche qui fait des plis sur la générosité de ma cuisse. J’ai perdu l’autre quelque part. sûrement dans ma chaussure. Je replie mon autre jambe, gardant les cuisses écartées. Je joue avec l’élastique de ma culotte, faisant apparaître et disparaître la roseur de mon sexe. Pour un publique imaginaire. Je frémis à chaque fois que le tissu roule sur mon clitoris déjà gonflé. J’ai peur, mais je suis excitée.

« Ce n’est pas un mensonge…mais c’est une jolie manière de me cacher la vérité. » Je marque une pause, lâchant un gémissement involontaire suite à un nouveau frottement. Le tissu s’imbibe, au moins autant que je commence à l’être. J’ai bientôt fini la bouteille. « Maître. »

Je suis presque amusée de la tournure que prennent les événements. Pourtant, d’un pas chancelant, le téléphone à l’oreille, bercée par le souffle rauque de mon interlocuteur, je me dirige vers la porte. Je dois être le tableau navrant de l’ivresse. Parfois, je m’accoude à un mur, tentant de garder l’équilibre. Je refuse de lâcher le portable. Je le garde précieusement. J’ai besoin de rester. Besoin. Je ferme quand même la porte à clef. Je vérifie les fenêtres, sans décrocher de sa voix.

« Ton âme. »

Je m’arrête au milieu du couloir. Je glisse le long du mur. Une nouvelle bouteille à la main. C’est du courage liquide. Je bois. Je répète dans un chuchotement « Mon âme ? » Et si je n’en ai pas ? C’est cliché de dire ça. Je me tais. J’écoute, son souffle. Le mien se mêle au sien. Plus rapide. Halètement de chien. Une chienne. Assise dans le couloir qui me semble soudain trop long. Je regarde le canapé que j’ai quitté et me lève pour y retourner. Je m’y installe, les jambes toujours écartées. Il m’a ordonné de ne plus les bouger. Décroiser ou recroiser. Écartée. Ça devrait lui plaire.

« Je prendrai ton âme à jamais, je ferai de toi mon jouet. »

Voilà qu’il fait des rimes maintenant. J’ai envie de rire. Je la réprime, parce que sa voix résonne dans ma tête. J’ai besoin d’eau. Je bois celle qui traîne sur la table. Le verre tombe, car j’ai loupé le meuble en voulait le reposer. Il ne se casse pas, je ne le ramasse pas. Je reste crochée à ce foutu téléphone.

« Et si je refuse ? »

Je n’aurai pas de livre. Je n’aurai pas d’histoire. Alors que l’inspiration me gagne, que ma main est entre le tissu et la chaire.
Ivre. Je suis totalement ivre. Je vais vendre mon âme à un inconnu.

« Vous êtes le diable ? »

Je ris. Un rire rauque. Je tousse, m’excuse. Je casse un peu l’ambiance sexuelle et tamisée. Je case les codes du téléphone. Mes doigts sont chauds et humides lorsque je les lève. Je regarde la brillance de mon excitation. Je la goûte. J’observe en souriant les petits fils visqueux qui relient entre eux mon index et mon majeure.

« Je veux te mordre, te gifler et te couvrir de baisers. »

Il allait me tuer. Je frissonnais alors que j’étais moite de sueur. Il faudra que je parle de ça à mon propriétaire. Ce n’est pas normal d’avoir si chaud alors que dehors ce n’est pas non plus la fournaise. J’essuie mon front du dos de la main. Je glisse mes doigts entre mes lèvres. J’étouffe en l’entendant. Comme une lourdeur sur la nuque. Une nouvelle rasade de vin, je bascule la tête en arrière, comme pour me débarrasser de cette étrange pression.

« Embrasse ce téléphone. Laisse-moi ressentir la pulpe de tes jolies lèvres…C’est un ordre ! »

Une part de moi ne veut pas obéir. Un inconnu dans un téléphone qui joue avec mes nerfs. Qui m’excite tout en m’énervant. J’ai envie de le détester, pourtant je reste là, suçant de temps en temps mes doigts après avoir effleuré ma féminité. Je suis trempe comme je ne l’ai que rarement été.

Le téléphone à un goût étrange. Lorsque je pose ma bouche dessus, que je l’embrase. Je me sens stupide. Comme lorsque toute jeune adolescente, je m’entraînais à embrasser avec ma main. Ma main était sucrée à cause des bonbons à l’époque. Le téléphone a un goût étrange. Vraiment étrange. Déplaisant. Mais je continue et m’arrête, comme si je me rends compte tout à coup de ce que je suis en train de faire. 

La scène se déroule toujours sous mes yeux et il peut entendre que j’apprécie ce que je vois car je gémis en même temps que la Mona de l’écran. J’ai envie d’être à sa place. Un inconnu entre mes cuisses. Je ne parviens pas à décrocher le regard de la télévision et mes doigts glissent en moi. Cambrée au bord du canapé, les pieds enfoncés dans les poils du tapis, je soupir, mon débardeur passé au-dessus de ma poitrine. Je ne pose pas le téléphone, j’ai besoin d’entendre son souffle et je veux qu’il entende mon plaisir. C’est malsain. Mais si je raccroche, j’ai peur d’avoir froid. J’ai peur de me retrouver seule dans le silence de mon appartement.
Les bruits obscènes me hanteront plusieurs nuits durant après cette rencontre. Humides. Succions. Je me retiens de justesse de ne pas me caresser furieusement jusqu'à la jouissance. Je veux patienter encore...j'ai toute la nuit.

« Je ne veux plus. » Il veut encore que j’embrasse le téléphone. C’est étrange et le goût sur ma langue à de la peine à partir. Je suis obligée de boire un peu de vin à nouveau, alors que je suis déjà ivre. « Je n’aime pas ce goût. » Je soupir, retirant les doigts de mon sexe. Je les porte à ma bouche. Il entend le son que cela produit et je reprends, tout en me léchant les lèvres. « Si vous me montrez encore les images d’avant, je fais ce que vous voulez. »


Tout se déroule comme dans un rêve. Je balance, absurde, entre la peur et la curiosité. Le plaisir et l’angoisse. Un bruit dehors me fait sursauter. Une voiture qui passe. Ses phares me font précipitamment fermer les stores. A chaque fois, je reviens sur le canapé, écartant les jambes, obscène. Je fixe l’écran, l’oreille attentive, la bouche entre-ouverte. J’ai de la peine à respirer. Par moment, c’est encore comme si quelqu’un parcourait ma gorge. Mon corps était la cible de ces étranges sensations, mais après ma nuque, ma gorge en fait les frais. Je pourrais raccrocher pourtant. Mais je ne peux pas m’y résoudre.

La main sagement posée sur mon genou, j’attends mon maître. Mon maître…pourquoi pas. J’ai déjà joué ce genre de rôle par le passé. Même si aujourd’hui, c’est comme si je jouais mon avenir. Une étrange sensation et ce n’est pas de mon prochain livre dont il est question.

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