Il était une fois au Pays des Merveilles
Tandis que la rosée du crépuscule cédait, cahin-caha, sa place à la noirceur de la nuit, le blond Vittorio se rendit au Chasteau des Herstal, famille nombreuse de la petite-aristocratie sémurienne. En effet, leur fille aînée, la lumineuse Naya, lui donna de l’éclat dans l’œil à l’issue d’un bal masqué. Formule polie et ô combien courtoise pour signifier que notre damoiseau néréide envisageait purement et simplement d’initier avec elle quelque rituel amoureux au sein même de sa forteresse, à l’insu de ses parents. Le modus operandi de notre jeune étudiant assoiffé de plaisirs et désireux de goûter aux charmes de la belle cloîtrée dans son fief fut d’une simplicité proverbiale : lui faire ardemment la cour, lui chanter la sérénade pendant des jours et des jours par l’envoi de lettres cachetées, prétexter un départ – larmoyant – pour la lointaine Cité des Fleurs, puis se raviser à la dernière minute et lui réclamer le gîte et le couvert au moment précis où elle ne pouvait que lui dire « oui ! » et encore « oui ! », précisément car ses parents se situaient, à cette heure-ci, à cent verstes de leur castel ancestral. Et, entre nous, nous savions fort bien que cette jeune femme, soumise à ce cadre étouffant, jamais sortie de son cocon et rétive à l’idée de prendre son destin en main, n’aurait jamais pu donner suite à cette… réunion en présence de ses aristocrates de parents. Il fallut donc lui forcer, à peine, la main, la jeter dans les bras de l’urgence et, ainsi, introduire une pincée d’imprévu et de changement dans son quotidien monocorde, monochrome et monotone.
Face à cette porte en fer forgée certainement hors de prix, il frappa du loquet une fois, puis deux. Face à l’œil-de-bœuf, notre bellâtre à-la-prunelle-perçante avait jeté son dévolu sur un complet classique pour retrouver l’heureuse compagnie de sa dame : un manteau de fourrure blanche appartenant autrefois à la toison d’un Smilodon septentrional ; un veston ocre, surmonté d’un élégant jabot serti d’une émeraude chatoyant, dessinant fort habilement son poitrail athlétique ; en dessous, tel un horizon de volupté ultérieure, ses fameux beaux muscles pectoraux tout droit sortis d’un rêve de pucelle. Notre homme avait le chic de valoriser, par sa vêture, ce qu’il avait de mieux en dehors de sa matière grise de jeune universitaire un brin grisé par cette entrevue nocturne – et, par trop, ivre de ses talents, en beau mégalomane pris d’hubris qu’il était. « Naya ! Naya ! Je suis arrivé ! Je t’en prie, viens m’ouvrir ! Comme il me tarde de te revoir !... » s’écria joyeusement notre joli prince aussi délié de langue que d’esprit, tenant, par la jointure du pouce et de l’index de sa main gauche, la plus délicieuse et la plus âcre des liqueurs écarlates : du bon vin iazzaronien aux douces notes fruitées et niellé d’un soupçon d’épices sagres. Il était inconcevable de se présenter au palier de Sa Seigneurie les mains vides et les bras ballants ; il était de bon aloi de dévoiler le meilleur des crûs à cette occasion exceptionnelle. Au surplus, il sera si plaisant de jouer avec les papilles de la donzelle – et la faire bondir de fougue.