Voilà pourquoi il évitait de porter des vêtements ! Ils s'accrochaient à sa peau en été, étaient trop légers en hiver, et laissaient des peluches dans sa belle fourrure bien lustrée. Il n'avait nul besoin de tels accoutrements.
Mais cette fois, Mahès avait décidé de faire une exception et de s'habiller, pour éviter les ennuis lorsqu'il entrerait dans la ville. Et bien sûr, il s'était encore perdu. C'était de la faute des vêtements, vraiment. Sans eux, il aurait pu rentrer chez lui sans la moindre difficulté, c'était une certitude.
Pourtant, le chemin était simple. Au niveau de l'arbre fourchu, il devait prendre un virage serré à droite, en direction de la colline dont la forme évoquait étrangement celle d'un champignon géant. De là, il pouvait se diriger vers le chêne qui se dressait non loin, arborant une silhouette évoquant celle d'une vieille dame se penchant sur une canne. Ensuite, il devait s'enfoncer dans la forêt en suivant l'odeur des papillons, remonter le cours du ruisseau en amont jusqu'à sa source, puis marcher vers le vent. Normalement, cela le conduirait à la ville.
Cependant, dans la réalité, la nature, capricieuse et changeante l'avait induit en erreur. Pas de colline, pas de ruisseau, pas de chêne. Enfin, il y avait beaucoup de chênes, mais ils semblaient plutôt un groupe de vieux druides réunis en cercle pour montrer leurs derrières au monde. Pas très polis, ces arbres. Tout cela à cause de ces maudits vêtements, un t-shirt blanc et un short noir. Ils détonnaient complètement avec sa fourrure. De surcroît, ils lui portaient malchance.
Et la pluie commença à tomber. Mahès observa les gouttes avec méfiance. Il avait mis du temps à s'habituer à leur couleur inhabituelle, ni verte ni rouge. Elles étaient aussi transparentes que de l'eau et ne brûlaient ni le corps ni l'esprit. C'était simplement de l'eau qui tombait du ciel, comme une douche. Mais il s'était déjà douché.
Mahès dédaigna l'abri des vieux chênes. Il n'allait tout de même pas chercher à se mettre à l'abri derrière des végétaux qui exposaient sans vergogne leurs formes charnues. Il préféra un petit arbre solitaire un peu plus loin, dont la couronne de feuilles lui semblait plus protectrice. De toute façon, les pluies ne duraient jamais longtemps dans la ville. C'était sans doute pareil ici. Il s'adossa à l'arbre et ferma les yeux.
Soudain, un bruit assourdissant le réveilla, le mettant immédiatement en alerte. La pluie s'était intensifiée, mais l'arbre semblait avoir accepté son rôle de protecteur et l'avait abrité de la majeure partie de l'eau qui tombait du ciel. Mahès chercha l'origine du bruit, les oreilles aux aguets, puis un éclair illumina brièvement son champ de vision et il écarta instinctivement les yeux de la lumière. Le bruit revint de plus belle. Mahès se redressa, cherchant à comprendre ce qui se passait, pivotant sur lui-même. Et là, ce qu'il vit le remplit d'une terreur et d'une horreur indicibles.
Un immense doigt blanc, fin et long, zigzaguait dans les airs avant de retomber sur terre. Quelques secondes plus tard, le bruit se fit de nouveau entendre, et Mahès comprit que cela provenait de la lumière.
Gridité l'avait retrouvé. Elle voulait lui faire payer. Mais il n'avait pas possédé d'esclave, et il n'avait pas de maître. Mais Gridité ne voyait les choses que d'une seule manière : maîtres et soumis. Et s'il n'était pas soumis, il devait payer son dû à Gridité. Mahès se souvint de l'homme que son grand-père avait attiré vers lui pour subir la colère de Gridité, l'homme que son grand-père avait attaché lui-même dehors, avant de forcer Mahès à regarder son châtiment, à regarder Gridité le prendre. La terreur primale et l'horreur s'emparèrent de son esprit, et il quitta son abri. Peu importait les gouttes, l'eau ou autre chose. Il devait fuir. Mais peu importe à quelle vitesse il courait, il sentait toujours les éclairs frapper le sol derrière lui. Mahès se retrouva à quatre pattes, la peur consumant toutes ses pensées, ordonnant à son corps de courir, de courir encore, toujours plus vite. Plus loin. Il devait aller plus loin. Il ne sentait plus ses pieds, mais il continuait d'avancer. Il avançait vers le sol. Mais Mahès perdit connaissance avant même de le heurter.