Ce soir, la forêt de Cendrylle accueillait un envahisseur plus qu’inopportun : Vittorio Vulcano.
Le célèbre magicien agromancien passé maître dans l’art de faire pousser les problèmes comme des champignons vénéneux, avant de les résoudre comme on arracherait les mauvaises herbes, se rendit au lieu susdit afin de vérifier le mythe qui y planait. Précisons que l’explication pouvait paraître inconséquente. Pourquoi troubler la tranquillité de la sorcière résidante ? Pourquoi s’échiner à parcourir cinq à six lieues hors de son manoir à cette fin ? Pourquoi s’être, au préalable, porté volontaire pour cette mission de reconnaissance ? D’après les racontars, les risques étaient colossaux. Monstrueux même. D’aucuns, parmi les habitants du village mitoyen au bosquet, serinaient à qui mieux-mieux aux voyageurs passant là que la sorcière était une créature méchante et vicieuse, d’allure même vaguement humanoïde. Tout ceci, cela procédait de la célèbre image d’Epinal de la menace chimérique, l’entité menaçant l’ordre civilisationnel, la bête chaotique qui exporte l’anarchie dans le schème social local. Bref, il émanait des rumeurs autour de cette forêt enchantée un curieux parfum de classicisme littéraire, à la manière des contes et des fabliaux de la vieille époque. Cela n’était pas sans déplaire au Titanide qui, toutefois, s’amourachait plutôt des romans de chevalerie, des vaudevilles, des drames bourgeois ou, dans un tout autre genre, des récits aventuriers ou des récits de campagne.
Dans le cas de figure ici présent, s’il s’agissait d’une campagne à mener rondement, Vittorio assumerait plutôt le rôle de l’avant-garde à lui tout seul. Avec toute sa modestie proverbiale, il entreprendrait, cavalier solitaire, la conquête d’une terre lointaine, d’un microcosme soumis à la tyrannie d’une seule. Afin d’identifier la figure légendaire qui logeait dans ce trou de verdure oublié depuis des temps presque immémoriaux, le mode opératoire du Demi-Dieu fut d’une simplicité aussi proverbiale que sa modestie : il s’était plus ou moins bâti un système de balises incrustées dans les plus grands arbres de la forêt afin de retrouver son chemin ; il avait inspiré à la faune locale le désir, latent, de le servir si besoin, par de brèves incantations ; surtout, il sema des graines de lactence dans les talus chargés d’humus qui s’érigeaient par endroits afin de s’attirer les bonnes grâces des renards, des chouettes et des taupes indigènes, chargés de recueillir les précieuses informations au sujet de cette… dénommée Nandil. Bien que l’art de la discussion avec la gent animale ne soit pas le versant principal des compétences de Vittorio, il en sut assez pour que ses préjugés sur la créature mentionnée ci-dessus soient à présent mâtinés d’incertitude.
C’était suspicieux, étrange même.
Près d’un cours d’eau où s’écoulait une onde pure, Vittorio, pris d’un doute, préparait son campement. Il érigea une tente, un abri de fortune ouvragé dans le plus fin des bois séquoia, doté de la facture la mieux découpée. En son sein, une petit feu, assez modeste, qui avait le mérite d’éclairer la nuit sombre qui se profilait sous l’astre lunaire. En ce début de soirée, il songeait à une foultitude d’hypothèses. L’une d’elles le séduisit plus que toutes les autres ; cette Nandil serait peut-être une dryade. Une déesse incomprise de tous, rejetée, isolée, mais potentiellement attirée – peut-être – par l’agréable odeur de chocolat fondant qui émanait de sa casserole, toute crépitante sous les braises du feu de camp.