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Les tribulations d'Oldham ~ Winnirvi🎔

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Hirvieläin:
Il y a quelques semaines de ça, la disparition de Winnie Ă©tait devenue officielle. La petite communautĂ© d’Oldham s’était mise en effervescence et les parents de la belle avaient laissĂ© flotter le mystère, refusant de dire si elle avait Ă©tĂ© enlevĂ©e ou si elle avait fuguĂ©. Hirvi, lui, avait bien son idĂ©e : il se prenait souvent Ă  la guetter de loin et, ce jour-lĂ , ce jour caniculaire oĂą il s’était reposĂ© Ă  l’abri des arbres, il l’avait vue avec un humain, grand, aux Ă©paules larges, Ă  l’allure de guerrier, entrer dans la salle des cĂ©rĂ©monies.
Il les avait regardés disparaître à l’intérieur avec stupéfaction et s’était retenu d’aller les espionner. Sans doute avait-il préféré ne pas savoir, et il s’était même éloigné, rentrant chez lui pour ne rien entendre. Il ne l’avait pas vue les jours suivants et, quand son absence avait été confirmée, il n’avait pas été si surpris que ça. Il s’était juste senti las et vide, tout d’un coup, à l’idée que son amie Winnie soit partie avec un étranger. Ils avaient si souvent parlé de mettre les voiles et elle avait jeté son dévolu sur quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas, et il avait eu du mal à l’encaisser. Il s’était enfermé dans le silence en lui souhaitant simplement de réussir.
Et puis, Winnie Ă©tait rĂ©apparue. Les parents ne firent pas de commentaire et personne n’insista, les rumeurs se taisant vite, l’ignorance classique des petits villages imposant sa loi, omerta Ă©touffante dans laquelle tout le monde Ă©tait complice. Personne ne disait rien mais tout le monde Ă©tait d’accord : cette dĂ©vergondĂ©e avait filĂ© avec un galant et s’était faite abandonner sur le bord de la route. Elle Ă©tait sĂ»rement en cloque, c’est pour ça que ses parents ne disaient rien.
Hirvi n’avait pas participé aux radotages, et on ne l’y invitait pas. Ce n’était pas un secret que le grand benêt était le seul à apprécier la compagnie de cette catin en puissance. Il avait gardé ses distances, tant par dépit qu’à cause de la surveillance de ses parents.

Puis, les fiançailles avaient été annoncées et il n’avait pas réussi à rester de marbre.
La manĹ“uvre Ă©tait classique et très claire : on rachetait une vertu Ă  Winnie en la mariant Ă  un type prĂŞt Ă  prendre une jeune femme Ă  la rĂ©putation ternie pour une dot de misère. On ne regardait pas trop le caractère ou les affaires, ni mĂŞme l’âge ou la rĂ©putation. L’important Ă©tait que Winnifred soit mariĂ©e, commence Ă  pondre des marmots lĂ©gitimes et devienne un bonne maman respectable. Il en Ă©tait ainsi.
Et le cœur du cervidé, depuis longtemps acquis à la rouquine, ne l’avait pas supporté. Ce soir-là, il bravait le couvre-feu et le danger pour traverser Oldham, fondu dans les ombres. Vêtu d’habits et d’une cape d’un vert aussi sombre que possible, il avait évité les lumières et glissé des abords de la forêt jusqu’au commerce des lyras en bord de route. Il avait rassemblé toutes ses forces et sa délicatesse à la fois pour grimper la façade en silence, glissant le bout de ses sabots dans la moindre aspérité pour se hisser jusqu’aux colombages de l’étage et glisser sa tête prudemment à la fenêtre de son amie.
A l’intérieur, une petite lampe diffusait encore une lumière mourante. Il dessinait à peine les contours, mais il put juger que Winnie était seule dans son lit et que personne n’était avec elle. Alors, agrippé à la façade, avec assez de force pour faire un peu de bruit et assez de douceur pour ne pas risquer d’attirer l’attention, il tapota du bout d’un bois contre la vitre, cherchant à attirer celle de la lapine, pour qu’elle lui ouvre et vienne lui ouvrir.

Winnifred:
Inconsciemment, elle rattachait Hirvi à Oldham, et par extension à sa prison… Ils s'étaient imaginés, plusieurs fois, quitter le village, tous les deux. Pourtant elle n'arrivait jamais à sauter le pas, repoussant sans cesse le départ, fuyant l'idée même d'une excuse bidon à lui donner. Pourtant, elle était toujours soulagée de le retrouver. Il lui procurait quelque chose d'inexplicable, d'assez paradoxal : sorte d'apaisement couplé à un trouble léger qui se manifestait par des papillons dans le ventre.

Ces Ă©motions vinrent la frapper quand elle aperçut le doux visage de son ami d'enfance derrière le carreau sale de la fenĂŞtre de sa petite chambre de fortune. Ses parents le lui avaient amĂ©nagĂ©e depuis sa toute rĂ©cente escapade, pour l'y enfermer. Ca faisait maintenant quelques jours qu'elle dormait loin de ses frères et soeurs, et mĂŞme si l'idĂ©e d'avoir son propre lit Ă©tait plutĂ´t agrĂ©able, Winnie commençait Ă  se sentir trop seule. Elle avait eu le temps de finir un roman, de compter les stries sur les planches de vieux parquet de la pièce, de capturer les quelques insectes qui se baladaient dans la chambre pour les enfermer dans un verre. Tout avait Ă©tĂ© bon pour s'occuper un peu l'esprit, et ne pas penser Ă  ce qui l'attendait très prochainement : son mariage.   

La Lyra accourt vers la petite fenêtre à guillotine. Le bois était tellement vieux et humide qu'elle eut du mal à soulever le premier pan. Elle se retrouve face à Hirvi, suspendu au-dessus du vide. Le regard humide, son corps parle pour elle. Elle l'enlace, comme s'il était son dernier espoir. Winnie prononce son nom dans un chuchotement, à moitié étranglé par un sanglot. Puis elle l'attire dans la petite pièce sombre, pour qu'ils n'attirent pas l'attention.

J'pensais que toi aussi tu m'avais tourné le dos. Qu'est-ce que t'as foutu pendant tout ce temps ?

Le reproche était quasiment noyé par le soulagement de le voir.

Oh Hirvi... Je suis dans la merde... chouine-t-elle.

Hirvieläin:
Sa position prĂ©caire s’était amĂ©liorĂ©e dès que la Lyra avait ouvert sa fenĂŞtre. Hirvi avait croisĂ© le regard embuĂ© de Winnie avec une moue compatissante, accompagnĂ©e d’une humiditĂ© nouvelle voilant son propre regard. Il ne supportait pas de voir son amie triste. Il avait toujours Ă©tĂ© lĂ  pour elle, pour toutes ses peines, depuis qu’elle avait Ă©tĂ© petite. DĂ©jĂ  quand ils Ă©taient enfants, il la consolait lorsqu’elle s’écorchait les genoux et courait Ă  son aide quand quelqu’un chipait sa poupĂ©e ou un de ses jouets. Il avait toujours Ă©tĂ© attachĂ© Ă  elle, d’une façon diffĂ©rente Ă  chaque âge. Ils avaient toujours Ă©tĂ© insĂ©parables et, pourtant, jamais au clair quant Ă  ce qu’ils cherchaient et trouvaient l’un en l’autre. Peut-ĂŞtre ce statu quo incertain et flou les aidait-il Ă  ne pas prendre de dĂ©cision irrĂ©versible ? Ce genre de dĂ©cision les aurait pourtant aidĂ© Ă  ne jamais en arriver lĂ , sans doute.
Elle n’avait pas une force énorme, Winnie, pourtant c’était comme si l’étreinte de ses bras le retenait sans effort. C’était bien lui qui s’y attachait sans même y penser, tenant toujours avec précarité mais avec une aisance bien plus grande maintenant qu’elle était là et qu’elle le touchait. Il aurait aimé lui rendre son étreinte –son sanglot lui arrachait le cœur–. A la place, il se dépêcha d’entrer par la petite lucarne, conscient d’être tout sauf discret ici. Il fit en sorte d’être aussi silencieux que possible, prenant garde à ne rien toucher de ses bois, et glissa presque comme un serpent à l’intérieur, se contorsionnant pour trouver appui sur un de ses sabots couverts, puis les deux.
Heureux d’y ĂŞtre arrivĂ©, il se tourna vers la rousse avec un sourire mais fut accueilli par un reproche. Son sourire se fana et il exprima sa peine en silence par la tristesse de son propre visage. Que pouvait-il bien dire en retour ? Que sa famille la gardait comme un trĂ©sor maudit ? Il n’avait pas non plus essayĂ© de rĂ©clamer de la voir. Il savait comment ça aurait fini, mais il aurait pu essayer. Elle aurait pu l’entendre. Avachi, il s’assit au sol en se grattant un bras distraitement.

« J’ai pas pu venir plus tôt, » finit-il par s’excuser, inexcusable mais sincère au moins. « Avec le mariage qui approche et sans histoires depuis ton retour, ils ont enfin baissé leur garde. »

C’était vrai que la famille de Winnie avait commencé à se relâcher, se contentant de la garder sous clé désormais sans trop se soucier des visiteurs et des quolibets. Bientôt, leurs problèmes seraient résolus, après tout.
Le cervidé releva ses yeux sombres sur la lapine et son cœur se pinça en la voyant si dévastée. Lui-même ne savait trop quoi penser de ce mariage à venir. En vérité, au fond de lui, il était désespéré. Il lui semblait que son amie allait lui être enlevée et allait devenir la femme d’un inconnu, la mère d’enfants braillards et une bonne maîtresse de maison lyra sans temps à accorder aux distractions. Mais, plus profondément, il détestait l’idée qu’on lui enlève cet espoir inavoué et jamais assumé d’être son homme à elle.

« C’est sûr que c’est pas jouasse. Les gens sont pas doux avec toi. Et personne ne parle de cet étranger... »

Cet aventurier mystĂ©rieux qu’elle avait suivi Ă  Zon’Da, et qui l’y avait laissĂ©e sur les roses avant de disparaĂ®tre –un vrai salopard !–, mĂ©ritait bien les blâmes pour cette histoire. Winnie n’avait fait que suivre ses Ă©motions et ses rĂŞves d’aventure. Elle n’avait rien fait de mal. Hirvi se doutait bien de ce qu’ils avaient fait –il les avait entendus, un peu, dans la tente–, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait eu envie de lui en vouloir, mais son affection avait chassĂ© la rancĹ“ur rapidement, comme toujours.

« Tu sais, personne me voit vraiment bien ici non plus, alors… Je veux dire que si tu voulais t’enfuir, je pourrais peut-être trouver un truc… »

Trouver quoi ? Il n’en avait aucune idĂ©e. Il n’avait pas les connexions. Et Ă©tait-il vraiment prĂŞt Ă  laisser Oldham derrière lui ? Il n’en Ă©tait pas sĂ»r, d’autant qu’avec une ère semblant se fermer, ses perspectives d’avenir devenaient incertaines dans son esprit. Et puis, il allait avoir ses propres changements.
Torturé par ces pensées, il se redressa sur les genoux pour se pencher sur Winnie et l’étreindre à son tour, posant son visage dans son cou.

« En tout cas, moi, je t’aime toujours, tu sais. »

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