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L’âtre cinabre par-delà les bois (PV Chaperon)

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Takezo O. Mamoru:
Uriel, jeune palefrenier d’à peine dix-huit ans, si tant est que quelqu’un ait véritablement tenu les comptes des années, pourrait être la copie conforme du Takezo que nous connaissons sur Terre. Malgré un corps, forgé par des années de dur labeur, aux champs comme auprès de nos amis équidés, il n’en est pas moins, tel que l’est son double, un timide maladif qui ne sait rien des choses de l’amour. Le voilà donc…


Un hiver rude. Comme le précédent, et celui le précédant encore.
Dans la vallée, les terres et les champs ont gelé et chez moi, cette année encore, les gens s’effraient à l’idée que nos récoltes ne suffisent pas à tous nous nourrir convenablement. La terre est dure, les feuilles des choux que nous avions plantés l’an dernier sont brûlées, trouées et piquées par ce froid mordant qui nous accable.
Le fruit de journées harassantes et interminables, passées à trimer comme des bêtes de somme, pourrait bien être réduit à néant.

C’est du fait de cette atmosphère sombre, triste et lugubre que les gens de mon petit village m’avaient désigné comme étant le plus à-mème de traverser nos froides landes d’un bout à l’autre, dans l’espoir que je trouve quelque marchand plus clément que nos voisins, qui accepterait de commercer avec nous, malgré ces difficiles conditions. Renflouer nos caisses, ne serait-ce qu’un peu, nous permettrait peut-être d’acheter de quoi subsister à ces voisins plus heureux en culture et plus portés que nous l’étions sur les affaires. C’est du moins ce qu’espéraient les aînés.

Le travail était bien trop dur pour se séparer de plus d’une personne, aussi avaient-ils jugé que le grand et solide gaillard que je suis suffirait, quand bien même marchander n’avait jamais été mon fort. Tous m’avaient convaincu que je me débrouillerai bien, alors j’étais parti, quelques maigres feuilles de choux dans une besace, censées convaincre quelque marchand que je trouverai sur ma route qu’elles étaient mangeables, sinon délicieuses, malgré leur triste état.

Sans vraiment savoir quelle direction prendre, je m’étais contenté de suivre celle qui voyait naître le soleil chaque matin. Monté sur le dos de la vieille jument que le maître avait bien voulu que j’emprunte, j’avais déjà vu quelques jours passer et plus encore de mornes plaines défiler. À mes yeux, la vie que je fantasmais lorsque je pensais à l’ailleurs ne me semblait finalement guère meilleure. Les paysages, tout aussi gelés, ne me paraissaient guère changés, malgré le nombre de lieues que je pouvais bien traverser.

Au bout de trois jours, mes jeunes traits déjà tirés par la fatigue, j’avais dû ralentir. Ma vieille jument ne suivait plus et je n’avais plus de quoi la nourrir. Au bout de cinq jours, même l’herbe froide ne sembla plus lui suffire. Je n’avais rien avalé depuis un bon moment non plus et mon ventre ne cessait de me le rappeler.

Au sixième jour, j’avais fini par tomber.

Lorsque je m’étais réveillé, encore faible et tenant difficilement sur mes jambes, je crus même halluciner en apercevant les lumières et la fumée de ces chaumières que je voyais au loin, depuis le sommet de la petite colline sur laquelle j’avais finalement atterri.
À bout de forces, la vieille carne, tombée comme moi, ne s’était quant à elle pas relevée. Il m’avait fallu de longues minutes pour que je puisse enfin délasser de ses flancs les autres besaces que j’avais avec moi. J’avais inspecté leur contenu, tenté, mais n’avais pas pu me résoudre à dévorer les choux qu’elles contenaient.

J’eus envie d’enterrer la pauvre jument dignement, comme elle le méritait pour tous ces efforts accomplis, mais là encore, réaliste quant à mon état de fatigue avancé, je finis par me résoudre à la laisser reposer là, me promettant de revenir pour elle plus tard, une fois reposé et une fois ma mission accomplie, je l’espérais, dans ce village un peu plus loin.

Les larges besaces sur le dos, j’avais entamé, ce matin-même, la descente de la colline. Frigorifié, affamé et usé jusqu’à l’os, il m’avait fallu un temps fou pour arriver jusqu’en bas, jusqu’aux abords de cette large forêt qui me séparait encore de mon but.

M’étant enfoncé pendant des heures entre ces immenses arbres noueux, je ne saurais même plus dire par où j’étais arrivé. Il faisait bien trop sombre et les troncs étaient bien trop épais, trop nombreux, pour que je n’espère ne serait-ce qu’entrevoir la lueur des lampes du village.

Il faisait nuit noire et il s’était même mis à pleuvoir. Fort. Très fort.
D’intenses bourrasques de vent avaient fini par frapper la terre, secouant les branches dans tous les sens. La lueur des éclairs déchirant la nuit venait parfois dessiner d’étranges et terrifiantes formes sur le sol, trempé, boueux. J’avais plus froid encore à chaque instant, mais faisais encore de mon mieux pour ne pas faiblir si proche du but. Mes besaces gorgées d’eau me paraissaient plus lourdes que le plus lourd de nos instruments de moisson. C’était un calvaire. Un véritable calvaire.

À chaque pas, mes fines bottes semblaient s’enfoncer plus profondément encore dans la boue. Je serrais les dents, gémissais d’efforts en avançant, sans savoir vers où, vers quoi.

L’ombre de bêtes chargeant, ou cherchant à se réfugier de ce déluge, me fit sursauter. Dans tous les sens, les branchages et buissons dansaient, bruyamment…

De nouveau, je me sentis défaillir. Un de mes genoux frappant le sol, je restais sans voix, fébrile, cherchant des yeux une issue, un miracle salvateur auquel me raccrocher… Quelque chose qui, au moins, me redonnerait un peu espoir.

Takezo O. Mamoru:
Dans le plus noir de la nuit, j’avais fini par m’effondrer. Arrivé à bout de forces comme d’espoir, misérable et affamé depuis des lunes, la vision trouble, j’en venais presque à prier pour que tout cela s’arrête.

Pour le salut des gens du village, j’avais tenu bon des jours durant, j’avais surmonté de mon mieux la fatigue et la faim, repoussé jusqu’à leurs limites mes angoisses les plus primaires mais profondes, toutefois il m’était désormais impossible de nier l’évidence : mon corps me lâchait. J’étais arrivé jusqu’ici, là où sans doute aucun autre villageois de chez moi n’aurait pu arriver par pareilles conditions, mais c’est pourtant là que s’achèverait le voyage. Si près du but. Cette maudite et labyrinthique forêt aura eu raison de moi, et c’est ainsi que je finirai : noyé dans la boue, ou bien battu à mort par l’un de ces vieux arbres qui menaçait de tomber par cette tempête, qui à aucun moment, ne semblait vouloir faiblir.

Les deux genoux dans l’eau noirâtre, le visage émacié et le corps couvert d’ecchymoses, d’entailles et de légères coupures en tout genre, je devais faire si peine à voir que l’espace d’un bref instant, j’en vins à maudire l’étrange sens de l’humour et le goût du dramatique du dieu créateur qui devait sans aucun doute s’amuser à me torturer de la sorte.

Nerveusement, j’eus failli éclater de rire, me résignant à accepter mon triste sort. Toutefois je ne le fis pas, le fil de mes pensées s’interrompant net au son des bêlements qui résonnèrent par échos jusqu’à moi. J’eus pu me réconforter et rire un peu en m’imaginant visité par un possible Dieu-mouton -ç’aurait été drôle-, mais l’effroi qui transparaissait de leurs voix me fit d’autant plus redouter un destin tout autre que celui que je m’étais imaginé…

De tels bois devaient abriter bien des bêtes, bien des choses terrifiantes et dangereuses et la perspective de finir dévorer par des loups vint vite tenailler mon estomac bien vide. Après tout, peut-être en terminerions-nous plus vite ainsi…
Les yeux fermés, les dents serrées, j’appréhendais alors la douleur et la force du coup à venir -car il viendrait sûrement- et en venais à espérer que cela se fasse avant que je n’aie le temps de vraiment m’en rendre compte.

Mais ce coup jamais ne vint.

Le fracas d’un nouveau coup de tonnerre frappa le sol et illumina ma silhouette décharnée, avalée par l’ombre d’une autre, plus en retrait, qui se tenait là dans mon dos, à en constater l’obscur reflet que je pouvais entrevoir dans cette immense flaque, dans laquelle je trempais.

Celle-ci n’était ni immense, ni vraiment grande, toutefois… ces oreilles… L’idée bien insensée d’avoir été acculé par un loup marchant sur ses deux pattes arrières me glaça le sang… avant qu’une voix bien plus claire et posée que celle à laquelle je m’attendais ne finisse par se faire entendre. Je reconnus assez simplement le bruit du chien d’un fusil que l’on arme, mais n’eus même pas la force ni le réflexe de lever les mains.

Mes lèvres se serrèrent, sèches qu’elles étaient, et je tenta fébrilement d’en faire sortir quelques mots. Mais une seconde voix, celle-là même que j’attendais, celle du monstre dans mon dos, me coupa l’herbe sous le pied, m’arrachant un grand frisson qui vint faire se dresser tout mon dos. Avant que je ne me mettes à trembler, l’autre voix, féminine et douce, bien que témoignant d’une certaine froideur, vint reprendre et me calmer un peu, par la même occasion. Quand bien même je devais m’avouer peu rassuré à l’idée qu’une balle ne vienne répandre l’intérieur de mon crâne sur le sol.

Le souffle court, la vue toujours plus trouble, je forçais pour garder les yeux bien ouverts. De mes épaules tombaient ces deux besaces pleines de choux morts.

Je n’osais me tourner, sortant seulement l’une de mes mains de cette eau dans laquelle je trempais, la levant faiblement en guise de salut, comme en signe de paix. Je n’étais nullement un danger pour personne, mais n’avais rien pour le prouver.

« J-je… suis seul. »

Me remettant à vaciller, de gauche, à droite… très lentement, je tentais inutilement de rassembler quelque force que ce soit, mais ne parvenais même pas à me remettre sur pieds.

De ma main, je balayais dans l’eau les feuilles de légumes dispersées.

« S’il vous plaît. J’n’ai rien d’autre… que ça. On n’a… plus rien. Je cherche seulement le village, que j’ai vu depuis la colline… »

Takezo O. Mamoru:
Mal en point que j’étais, tout portait bien étrangement à croire que j’avais en fait de la chance d’avoir été débusqué par cette étonnante créature aux allures bien menaçantes.

Du bout de sa longue cuissarde, la jeune femme au fusil inspectait le malheureux contenu de mes sacoches en lin, pour y découvrir sans nul doute comme je ne représentais pour elle aucune menace. Ni pour personne d’autre, d’ailleurs.

Je frissonna un grand coup lorsque le froid mordant du canon métallique vint glisser sur mon échine. La sombre et horrible voix venue d’ailleurs me figea encore sur place, en ce ton cruel et moqueur que prit la chose, mais l’arme pointée sur moi m’obligea à tourner la tête.

La chose, immonde et terrifiante, sombre animal empaillé piaillant de son rire fou, semblait trôner comme en couronne au-dessus du crâne de cette silhouette tout en cape. L’étrange capuchon, à l’allure de loup, semblait se mouvoir ça et là, sans ne jamais s’arrêter, proférant des sornettes, des choses que l’on ne dit pas de quelqu’un dans ma condition… c’est du moins là ce que l’on m’avait appris.

Les yeux grands ouverts, j’observais comme la créature elle-même m’observait, me transperçait de ses grands et luisants yeux jaunes, troublé par cette vue si singulière, comme tiraillé par la peur de me trouver face à cette créature, à la fois vivante et morte, dont l’existence relevait de l’intangible…

Mais, plus douce, encore et toujours, malgré son ton quelque peu froid, c’est la seconde voix émanant de ce corps, cette claire et rassurante voix de femme, qui me sortit de ma transe pour me porter secours.

Pris en pitié, la silhouette, que je découvrais plus fine et frêle que je n’en eus d’abord l’impression, passa finalement le fusil dans son dos, pour me tendre une main secourable. L’entreprise fut compliquée et il fallut de grands efforts pour me remettre sur pied, mais en m’appuyant de mon mieux sur mes jambes, mon imposante carcasse trouva appui sur la laine d’un mouton, des plus solides de ceux qui accompagnaient l’étrange hôte de ces bois.

J’eus peine à croire qu’un tel animal puisse supporter le poids d’un homme bâti comme je l’étais, mais l’animal fit toutefois son office de façon prodigieuse, si tant est qu’en montant dessus, je prenais un peu appui sur l’un de ses compagnons pour partager un peu de la charge qu’il lui fallait porter.

M’agrippant à son épaisse laine pleine d’eau, je me laissais alors conduire presque sans un mot, trop épuisé encore pour mettre ne serait-ce qu’un peu d’ordre dans ma tête. Je ne pus même pas me permettre l’effort de ramasser un peu de chou et, quand bien même, il me fallait l’accepter : cela n’aurait désormais plus servi à rien, tout espoir était foutu.

La tempête qui faisait rage jusqu’alors finit peu à peu par se calmer pour ne plus laisser place qu’au silence. Mes yeux papillonnaient sans cesse alors que je luttais pour ne pas m’effondrer encore, mais la peur d’être conduit jusqu’à un village peuplé d’hommes-bêtes comme celle-ci réussit toutefois à me garder en éveil.

L’étrange esprit à deux voix pour une tête continua à se faire la conversation seule durant un moment, qui me sembla durer longtemps. Toujours, la voix de femme se faisait plus raisonnée, mesurée et délicate. Son ton ne perdait pas de sa dureté certaine, mais ses mots à mon encontre restaient chaque fois emprunts d’une volonté vraie et charitable de me venir en aide.

Je ne pus souffler que difficilement, et ne su vraiment si j’avais été entendu, mais finit, au bout d’un temps certain, par gratifier l’être nocturne d’un : « … merci… »

Mais, aussi long que me parut ce trajet, force fut de constater qu’il n’en était pas des plus difficiles une fois le ciel redevenu clément. En vérité, nous ne tardâmes pas tant que cela à nous échapper du bois pour voir se dessiner non loin les contours de masures faiblement éclairées, bardées d’imposantes cheminées desquelles s’échappaient des fumées, qui fleuraient bon une chaleur des plus réconfortantes.

Une fenêtre s’ouvrit à notre passage et, j’en fus un peu réjoui, il faut l’admettre, une tête d’homme, tout à fait normale, en sortit pour nous saluer. L’homme et… « l’être à deux voix » semblèrent converse normalement et ce premier ne parut nullement effrayé par son interlocuteur comme j’avais pu moi-même l’être. Mais je n’eus qu’à peine la force d’esquisser un sourire et pas l’occasion de dire quoique ce soit que nous repartions, en direction d’une autre petite maisonnette pas bien loin.

Enfin, l’on m’aida à descendre de ma petite monture. Je pus commencer à entrevoir les contours d’un visage humain sous cette autre tête poilue et hargneuse, mais ne pus finalement rien apercevoir d’autre encore sinon la pulpe de ces fines lèvres de femme qui me sommèrent d’attendre son retour.

M’exécutant bien sûr sans broncher, je pris appui sur un mur de la maisonnée, près de la porte, le temps que la silhouette qui s’était éloignée vers une grange, ne revienne à moi. J’eus peur, en entendant bêler fort, que la tête de loup ne fit des bestiaux son repas, mais elle revint bien trop vite pour cela.

Les fins et jolis doigts de la singulière silhouette, qui sûrement n’avaient jamais trop été esquintés, se posèrent sur la porte pour l’ouvrir et on me fit entrer.

« Je… je vous remercie… »

Adressant à mon hôte un petit signe de tête bien bas, en guise de reconnaissance, je posais alors le pied dans la charmante petite bâtisse. Le feu qui crépitait dans l’âtre me fit un bien que jamais je ne crus ressentir un jour, et je m’en approcha ainsi vivement, lorsque l’on me permit de faire ainsi. Me laissant choir à genoux face au rougeoyant foyer, j’humais le doux parfum du repas qui semblait bouillir au-dessus du feu. Je n’osa bien sûr pas faire quoique ce soit d’autre, mais ne pus empêcher ma gorge sèche de déglutir face à ce spectacle, tout comme à la simple odeur de ce délicieux fumet.

Prenant une assise plus confortable, je tentais de réchauffer mes os en me débarrassant du veston, comme du léger pourpoint qui recouvraient mon buste trempé. L’épaisse et solide musculature de la jeune et belle bête de somme que j’étais s’était trouvée bien marquée par ces jours de souffrance et de jeûne, mais le seul fait de sentir la chaleur me réchauffer le buste me ravit bien assez pour apaiser mes peines un instant.

Par pudeur, comme par crainte d’autre chose, je n’osa pas me défaire de mes braies encore boueuses et préféra les garder encore, tant que je ne me retrouvais pas seul.

Je me recula légèrement, lorsque je vis la tête de loup se décrocher de son perchoir pour s’en trouver un autre devant moi, au-dessus de la cheminée. Hésitant, je m’essayais tout de même à me tourner un peu pour découvrir l’être, la silhouette à deux têtes, qui s’était, je le comprenais alors, seulement débarrassée de sa cape. De sa cape… qui parle.

J’entendis que l’on me posât une question, mais je mis sûrement un temps avant de répondre à celle qui se trouvait là, devant moi, cette grande jeune femme aux longs et magnifiques cheveux noir de jais, qui se tenait là, fièrement debout par-delà ces grandes cuissardes de cuir. Mes yeux s’ouvrirent grands et, je crois pour le coup, qu’il me fallait remercier toute cette boue sur mon visage d’avoir si bien pu masquer le rouge qui dût me monter aux joues.

Presque bouche bée, la bouche ouverte à m’en décrocher la mâchoire, n’osant encore pas faire le moindre mouvement, je laissais mes yeux dessiner les formes du corps qui se dévoila, sans pourtant que j’eus cherché à nourrir quel appétit scopophile que ce soit. Au travers de ces amples vêtements serrés à sa peau par toute l’eau qui l’avait trempée devinais-je le galbe de belles hanches, mais aussi et surtout : le contour voluptueux de sa chair, un peu plus haut. À travers le fin tissu de sa chemise devinais-je le contour de larges mamelons, surplombant des mamelles comme jamais n’en avais-je vues, chez aucune femme de mon village. L’apparence de leur galbe rond et lourd me fit frémir, sinon rougir plus encore et… sans un mot, je me tourna.

En tailleur sur le sol, je flanquais une poigne ferme sur l’une de mes cuisses et déglutissais en regardant ailleurs. Avant que mon esprit ne s’en aille que trop loin explorer les contrées de mes fantasmes.
 
« Je… eh bien… C’est une longue histoire… »

Une longue histoire, comme l’est celle qui expliquerait alors ma gêne à la vue d’un corps de femme, ainsi qu’elle expliquerait sûrement ma pudeur. Et, en vérité, on peut le supposer, celles-ci sont liées.

Orphelin depuis… au moins aussi longtemps que je ne peux m’en souvenir, l’histoire veut que je ne sois pas véritablement né dans ce village pour le salut duquel je me débats corps et âme aujourd’hui. Ou alors, c’est que par honte, de moi ou de ses crimes, même ma mère n’aura jamais pu se présenter à moi.

Fils d’on-ne-sait-qui, j’ai seulement été recueilli jeune au village. Très jeune. Toutefois, quand bien même il me fut demandé de travailler dur, jamais je ne su vraiment y trouver ma place, la faute aux rumeurs qui s’étaient répandues depuis toujours, à propos de « l’enfant du malin », joli petit sobriquet dont on m’affubla un beau jour, après m’avoir vu me baigner nu dans la rivière, tandis que je faisais ma toilette.

Je n’étais alors pas bien grand mais, les hommes, comme les femmes, qui me virent ce jour-là, se mirent à jurer depuis que je ne pouvais être que l’engeance d’une femme vile et d’un animal qui auraient bafouées les lois de la nature comme de la bienséance.

De par ces mensurations en tout point plus proches de celles d’un équidé que de celles d’un homme, en bas, sous la ceinture, et qui ne firent en plus que croître encore durant mon adolescence, tous s’indignèrent et firent gronder leurs voix pour que je sois écarté de notre petit hameau. Pour la plaisanterie,vraisemblablement, je fus envoyé aux écuries, « auprès des miens », s’étaient-ils dit, pour œuvrer comme palefrenier.

Mis au ban de ce ridicule petit village, j’avais oeuvré toute ma vie, pour des gens qui jamais n’eurent de cesse de se moquer de moi.

En vérité me faudrait-il prendre un temps pour y songer : avais-je vraiment envie d’aider ces gens-là ? Si tant est, en plus de ça, qu’il ne s’agisse finalement pas là d’une de leurs manigances pour m’écarter encore plus de leurs vies, alors que les temps étaient trop durs pour s’encombrer d’une bouche telle que la mienne à nourrir.

Aussi, de par ces quelques faits énoncés ici, me tenais-je là encore un peu à l’écart de la grande demoiselle, me tournant pour ne pas trop la voir, tandis que la vue de son corps bien fait, pour un jeune homme de mon âge, pourrait vite éveiller en moi des désirs qu’il me serait bien impossible de cacher.

L’esprit troublé, j’appuyais donc fort sur l’énorme serpent qui courait là sur ma cuisse et qui, je le sentais, se gorgeait d’un peu plus de sang, de peur que, même dans cet état, avec mes braies ainsi trempées, je ne sois pris sur le fait et moqué, tandis que jamais n’avais-je énoncée la moindre intention perverse envers celle qui m’offrait chaleureusement le gîte.

Mon regard, encore décontenancé, se posa sur l’affreuse tête de loup, dont les yeux semblaient se clore un peu, sous l’effet du plaisir procuré par la douce étreinte de la chaleur ambiante.

Je soufflais, tendant une main vers le feu, avant de l’appliquer, chaude, contre mon torse encore frigorifié.

« … Je… je viens d’un village, loin d’ici. À… des jours et des jours de cheval d’ici. Pardonnez-moi je… je n’sais plus très bien. Là-bas, il fait froid. Un peu plus tous les ans. La terre est dure et plus rien ne pousse… enfin, rien ne pousse assez pour que tout le monde soit nourri à sa faim, en tout cas. »

Me redressant un peu, le dos droit, je posais la paume d’une de mes mains, chaude, tout contre mon abdomen, tiraillé par la faim. Je souris faiblement lorsqu’il se remit à faire du bruit.

« En fait… non… je divague sans doute. Au village, les gens m’ont désigné, moi, pour aller chercher de l’aide. J’avais… du chou. Ce qu’il en restait. Il faut croire que les gens, là-bas, ne voyaient pas d’autre alternative. Je devais essayer de le vendre, ou de le troquer… et essayer de revenir avec autre chose. Trouver un marchand qui accepterait de faire affaire avec nous… au moins le temps que l’hiver passe. »

Épuisé, je restais un moment pensif, contemplant l’âtre qui me réchauffait le corps et le coeur.

« Ce n’est pas une super histoire… »

Le coeur lourd, je me tournais légèrement, mais n’osa pas la regarder.

« Je vais devoir y retourner. Sans rien. Mais… merci… j-je… j’ignore qui vous êtes, comment vous vous appelez ou même comment vous remercier… mais je vous dois la vie. Je pense. »

Me tournant à nouveau, de peur de lui donner l’impression de l’observer -quand bien-même je ne le faisais même pas-, je croisais un temps la tête de loup, puis revenais au feu.

« Je… je partirai demain, à l’aube, pour ne pas vous déranger. Ou… quand vous le jugerez bon. J-je… je peux vous aider à couper du bois ou… je n’sais pas. Si je peux vous remercier, d’une façon ou d’une autre… demandez-moi… »

Takezo O. Mamoru:
Et, à mesure que le temps défila face à l’âtre rougeoyant et chaud du foyer, le mordant du froid qui s’était insinué dans nos corps comme dans nos cœurs sembla disparaître et laisser place à toute autre chose.

Quand bien même celle-ci s’en alla vaquer à quelques occupations là autour, la stupéfiante créature que nous dénommerons désormais Chaperon, fit taire « Loup », le… loup, l’ignoble et encore bien trop étrange chose qui semblait lui obéir au doigt et à l’œil, pour me prêter une oreille étonnamment attentive.

Je me retenais de trop croiser les yeux jaunes de la bête, tout comme, pour bien d’autres raisons, j’évitais de trop laisser trainasser mon regard du côté de celle qui, se dévêtant lentement, n’avait eue de cesse de se rapprocher pour venir se caler pile poil au centre de mon angle de vue. Quand bien même me tournais-je un peu pour l’éviter qu’elle sembla réapparaître à ma vue encore et encore avant de finir, enfin, par se fixer un moment, dos à la grande cheminée.

Les quelques mots qu’elle me glissa furent sans détour, mais preuve en était qu’ils n’en étaient pas moins dénués de sens, comme de vérité. J’ignore si elle lut quelque chose en mes pensées, mais je n’eus visiblement besoin de tout dire de ce qui alourdissait mon coeur, pour qu’elle ne semble déjà partager quelques-unes de mes idées… et de mes craintes.

Il est vrai, et j’en étais moi-même conscient, que les réserves étaient choses à prévoir, et à préparer à l’avance, à calculer, toutefois, manquait-t-elle de comprendre une chose essentielle : cela faisait des années déjà, que nos réserves s’amenuisaient. Quelle que soit la saison, voilà bien des hivers, des printemps ou qu’en sais-je d’autre, que ces terres ne nous étaient déjà plus favorables. Peut-être ne me serais-je pas risqué jusqu’ici à parler de famine, toutefois il fallait le dire, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas eu le ventre plein d’un « vrai » repas.

Et, là encore fallait-il savoir que j’avais toujours été, du moins aussi loin que je pouvais m’en souvenir, le dernier à être servi. Selon les restes du jour, évidemment. Ainsi n’étais-je peut-être pas le plus à-mème de juger de la qualité d’un « vrai repas ».

De ce que j’en savais toutefois, cela faisait bien quelques années déjà, que les hommes du village s’étaient mis à plaindre, et plus que moi, d’avoir à travailler l’estomac vide.

Ces petites choses en tête, je n’avais fait qu’acquiescer aux mots de la jeune femme, tandis qu’elle se déplaçait à nouveau pour s’en retourner à ses affaires, avant de revenir retirer son couvercle à cette marmite face à laquelle je me tenais.

Humant le doux parfum de la viande et des légumes cuisinés, j’en eus presque oublié, un instant durant, qu’était venu mon tour de me présenter. M’étant dressé, les mains fermement appuyées sur mes cuisses, pour espérer voir un peu mieux, j’avais fini sans doute hypnotisé par le spectacle que jouait l’énorme louche dans ce véritable bouillon de roi. Hormis lors de grandes fêtes, en des temps plus cléments, jamais je crois, n’avais-je vu pareil festin. J’en avais l’eau à la bouche.

Par peur de paraître bien impoli, je m’étais reculé en vitesse. Toutefois, une fois de plus, mon estomac parla pour moi.

« Oh ! H-hum… pardon. Uriel. C’est… comme ça que je m’appelle. »

En tous ces mots qui sortirent de sa bouche finis-je par comprendre, non sans quelque étonnement, que la bonté transparaissant soudainement de son ton n’était en rien fausse ou usurpée. Aussi bien venait-elle à peine de me rencontrer, qu’elle sembla déjà faire preuve de plus de considération à mon égard que nul autre ne l’avait jamais fait.

Aussi finis-je par deviner comme un magnifique sourire se dessiner sur ses belles lèvres rosées, lorsqu’elle me tendit une assiette digne d’un repas plus copieux que je n’en avais jamais mangé.

Je dus rougir encore en croisant son regard timidement, les yeux grands écarquillés, la main tendue. Les traits de son visage étaient fins, sans marque. Sa peau semblait claire et douce…
Peut-être intimidé par ce « bien autre chose » plus que par cette première impression qu’elle m’avait d’abord faite, flanquée de son affreuse capuche, je déglutissais faiblement, bouche bée, en la regardant, si belle qu’elle était.

« M-merci… Madame… »

Heureusement pour moi se tourna t-elle bien rapidement pour se servir elle aussi. Aussi usé et mort de faim que j’étais, il eût cependant fallu qu’elle se déplace à nouveau, pour que je n’arrive à décrocher mon regard d’elle. Ces yeux curieux qui avaient d’abord redessinés ses traits s’étaient bien trop longuement perdus, pour s’en retourner la regarder toute entière et plus intensément, maintenant que je pouvais la voir à la lumière du feu.

Ainsi éclairée pouvais-je mieux parcourir ses formes. Je n’eus encore pas l’envie de paraître irrespectueux ou malpoli, mais il est des images que je ne pus empêcher ma rétine d’imprimer. Ses… larges et lourdes mamelles de femmes, ses… « seins », si opulents et beaux, m’apparurent cette fois presque clairement, tant cet unique tissu qui les couvraient avait pris l’eau. Je pouvais presque apprécier toute la couleur claire de leur chair comme je pouvais apprécier leurs parfaites rondeurs et tailles. De belles pointes à peine plus sombres en étaient ressorties fièrement, attirant mon regard jusqu’ici. D’ici pus-je voir, de par l’effet de transparence, tout l’arrondi de ces aréoles très larges qui les entouraient…
C’était… beau.

Il ne s’agissait pas vraiment des premiers seins de femmes qu’il m’était donné de voir, toutefois, il fallait bien avouer que jamais n’en avais-je vus d’aussi près. Ni d’aussi gros… et d’aussi ronds… et beaux.
Je n’aurais vraiment su dire pourquoi, mais leur vue réchauffa mon bas-ventre, tandis que l’étrange envie d’y poser mes lèvres me traversa l’esprit. Tel un veau tétant sa mère, j’eus désiré un instant presser cette opulente poitrine au contact de ma bouche. Aussi m’étais-je peut-être laissé gagner par la fièvre, ou bien s’agissait-il du seul fait de savoir qu’elle se préoccupait ne serait-ce qu’un peu de mon sort… Je m’imagina boire son lait, tel un enfant.

Honteusement, je finis -et fort heureusement- par baisser très vite la tête lorsqu’enfin le chaperon s’en retourna pour s’installer près de moi. Faisant fort pour oublier toute image qui peinait encore à quitter mon pauvre crâne, je touillais du bout de ma grande cuillère, remuant dans mon assiette les épais morceaux de viandes que j’avais devant moi.

Tentant d’oublier qu’elle était là, si près de moi, j’attrapais l’un de ces morceaux tendres pour l’amener doucement à moi.

« Bon appétit. »

Heureusement encore, pour ma petite tête dure, le véritable régal de ce repas, gargantuesque à mon sens, fut tel qu’il en occupa bien assez longtemps mes pensées.

Marmonnant pour ne faire qu’acquiescer, comme pour signaler qu’en retour de ce repas, comme de cette pause près du feu, j’étais prêt à tout pour rembourser ma dette, je me mis à tout dévorer de ce fastueux repas, à grands bruits et en un temps record. J’adressais parfois au chaperon quelques mouvements de têtes, mais ne parlais déjà plus beaucoup.

Et… en quelques coups de cuillère, j’avais déjà fini de manger, pour lâcher un grand souffle satisfait. Comme elle l’eût dit, je sentis presque le premier bouton de mon pantalon céder, tant je sentis mon ventre se gonfler dès cette première assiette. Mais, quand bien même je n’avais jamais rien mangé d’aussi bon de toute ma vie, je n’avais surtout jamais autant mangé et ne pouvais de ce fait avaler plus encore.

Repu, le ventre plein, je reposais précautionneusement l’assiette sur le sol pour regarder mon ventre. Personne n’aurait sans doute pu croire qu’un jeune homme de ma carrure mangerait si peu. Allez donc savoir de quoi étaient faites ces larges épaules qu’étaient les miennes…

« J-je… c’était délicieux. Mieux, même. Votre mère est bonne cuisinière… Vous avez de la chance. »

Souriant à ces mots, mais n’osant à peine la regarder -et vous savez bien pourquoi-, je laissais mes yeux reprendre leur vagabondage, en prenant cependant soin à ne pas m’approcher de ce coin dans lequel elle s’était assise.

« Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité… c’est… déjà très généreux de votre part. En vous rencontrant dans la forêt, j’ai cru que c’en était fini de moi… »

Revenant parfois regarder mes bras et mes jambes, encore crasseux -et je n’imaginais pas l’état dans lequel était mon visage-, je contemplais avec crainte mais intérêt la tête de Loup, qui semblait encore peiner à trouver le sommeil. Ses yeux s’étant clos, je parlais tout bas, de peur qu’il ne sorte de ses songes pour nous faire encore part d’un avis dont je préférais me passer.

« Et, d’ailleurs… lui ? Qu’est-ce que… enfin… qui est-il ? Est-ce de la sorcellerie ? Est-ce que… est-ce que vous êtes une sorcière ? Non, les sorcières ne sont pas aussi… jol-…  enfin… hum. Elles n’aident pas les âmes perdues… si ? »

Takezo O. Mamoru:
« Fait moi plaisir et ne m’appelle plus Madame. »

Mes yeux s’étant soudain portés bien bas, j’acquiesçais d’un bref hochement de tête à ces quelques mots, en signe d’obéissance. Si mes paroles ne furent en aucun cas pensées pour traiter la jeune femme autrement qu’avec tout l’immense respect que je lui devais, je pus toutefois sentir comme son regard me fustigeait soudain.

Notre chaperon avait-elle donc si peur de ce mot qu’elle en eût développé un grand dégoût à sa seule évocation ? Je n’aurais su le dire.

J’avais lu en son comportement comme en ses traits qu’elle avait sûrement vu passer plus d’hivers que je n’avais pu en compter, toutefois, l’appeler « Madame » ne voulait en aucun cas signifier, à mon sens du moins, que je la trouvait vieille. Bien au contraire d’ailleurs, la vérité étant que je n’aurais vraiment su lui donner d’âge, la perfection et le délicat de ses traits n’aidant pas mon calcul. C’était là chose plus aisée par chez moi, où les hommes, comme les femmes, avaient une tendance à vieillir prématurément, à force de s’échiner à travailler quotidiennement une terre si infertile.

J’eus cependant appris, ou plutôt deviné pensais-je, une chose à son sujet : elle était une femme forte, comme aucune autre à ma connaissance et plus indépendante encore.

Si beaucoup d’amour transparaissait de sa voix en ces quelques fois où elle mentionna sa mère -formidable figure que j’aurais rencontré avec joie, vus les mérites que lui vantaient sa fille-, il me sembla en être tout autrement en cette seule fois où elle évoqua son père. J’ignorais bien s’il était des choses qu’elle lui reprochait, ou bien si sa mort était chose à la tourmenter, alors je n’en dis rien, de peur de faire une bêtise. Ou d’être rappelé à l’ordre du fait de m’être mêlé de ce qui ne me regardait pas.

Fort heureusement, il ne me fallut pas attendre le temps d’un silence pour que mon hôte ne continue la conversation. Je ne pouvais plus rien avaler et pourtant, cette façon qu’avait le Chaperon de me parler d’éventuels autres fastueux repas aurait pu forcer mon appétit. Ses paroles stimulant mon imagination d’étranger affamé, j’eus vite fait de me dire que ce village avait tout d’un paradis sur Terre. Enfin presque.

À sa simple mention, quand bien même fut-elle murmurée, l’étrange et grosse tête velue qui trônait au-dessus de l’âtre me rappela soudain à l’ordre et me fit alors comprendre qu’il m’était tout à fait impossible d’échapper à son ouïe. Ainsi donc la bête ne connaissait aucun repos et comprenais-je alors que chacun des mots qu’il me faudrait prononcer devraient l’être avec précaution. M’imaginer épié de la sorte me faisait froid dans le dos.

Quand bien même la jeune femme le reprit, après que la chose m’ait rabroué sans même hausser un cil, je n’en demeurais pas moins mal à l’aise de me savoir écouté et me mis déjà à regretter d’avoir posé ma question. Même si la bête avait perdu de son aura menaçante des débuts, sa bien singulière présence continuait encore à troubler mon esprit. Esprit qui commençait à peine à concevoir comme possible l’existence de pareil animal…

Et existence que la jeune femme entreprit donc de m’expliquer, en cette histoire que je lui avait demandée. Et quelle histoire.

Suspendu aux lèvres de ma conteuse -puisque le Loup ne sembla guère vouloir se faire bavard-, je me pris à écouter ce bien étrange récit. Sans doute étais-je plus pris d’intérêt pour ces jolies lèvres sifflantes que par les mots qui en sortaient, à propos de cette chose, toutefois je ne pourrais dire que ce conte n’avait pas fini, très vite, par me fasciner.

Ainsi, la bête dévoreuse d’hommes avait-elle été occise pour finir, telle que je la voyait là, à servir de vulgaire capuchon. J’eus pensé un instant que c’était là le sort que méritait la bête, mais ne pus toutefois m’empêcher de repenser au fait qu’elle ne trouverait désormais plus le moindre repos en cette nouvelle vie d’expiation. C’était… terrifiant. 

Toutefois, cette folle histoire de magie, à l’image de celles qui habitèrent mon enfance, eut le don d’illuminer mon regard comme peut briller celui d’un enfant. Aussi invraisemblable que cela pouvait être, j’avais sous mes yeux la preuve que la magie existait et revenait en moi, l’espace d’un instant, l’espoir qu’une telle chose puisse me laisser entrevoir des jours meilleurs… et plus radieux.

« Woaw, c’est… stupéfiant. »

Stupéfait je l’étais, en effet. Tant par la magie, que je l’étais en voyant se confirmer ce que je savais déjà plus ou moins : que cette jeune femme était d’une débrouillardise hors du commun.

Son récit terminé, son assiette également, elle se leva et me débarrassa, sans même me laisser le temps de la suivre, me laissant à nouveau benêt, gêné de ne pas être en mesure de lui apporter quelconque aide.

« A-attendez, je vais-… »

Rajouter un peu de vaisselle à la liste de ces tâches que je pourrais accomplir en retour de sa générosité n’aurait pas été grand chose après tout. Mais elle disparut bien trop vite pour que mon corps endolori ne puisse la suivre sur l’instant. Je me promettais toutefois d’être plus vif à l’avenir, de sorte à ne pas être un poids, ou bien une déception pour celle qui avait eu la bonté de m’ouvrir sa porte.

« Si tu n’as plus faim, nous allons pouvoir nous décrasser (…) Tu vas enlever tes vêtements ici, devant la cheminée pour ne pas attraper la mort. Il y a des peaux de bêtes, tu en prendras une pour te couvrir. Je n’ai pas envie de tout salir. »

J’eus un frisson, puis un autre, en entendant ces mots me parvenir depuis la cuisine, là derrière. J’eus d’abord ré-inspecté mon corps pour m’avouer bien d’accord avec le fait qu’un bain m’était plus que nécessaire, toutefois… l’idée même de me dévêtir complètement, ici, à la vue de cette chose, comme à celle d’une femme, me glaça le sang de nouveau.

Mes jambes peinaient bien à se réchauffer tant elles étaient trempées et ne séchaient toujours pas, mais quand bien même cela n’arrangeait en rien mon rétablissement, mon coeur fit soudain des bonds à cette simple sommation.

Plus que de la simple gêne à l’idée d’être vu ou regardé, j’avais peur. Peur d’être jugé, moqué, voire d’être flanqué à la porte, comme cela m’était déjà arrivé.

« Ne sois pas timide, je ne regarde pas. »

Toutefois, devant son empressement, je ne pus qu’acquiescer et céder. Il y avait bien trop longtemps que je n’avais eu droit à un vrai bain, chaud de surcroît, et, si je mesurais toute l’ampleur de ma chance, je comprenais également qu’il me fallait faire vite, avant que son eau à elle ne refroidisse trop pour son propre bain.

« J-je… je me dépêche. »

Me levant lentement et quelque peu difficilement, il me fallut m’appuyer sur la pierre chaude de l’âtre pour ne pas tomber. Me tournant nerveusement en direction de la tête de loup, je guettais un instant, veillant à ce qu’il n’ouvre pas les yeux, avant de me décider à me tourner un peu, qu’il ne puisse voir que mon dos, et une part de mon profil.

Me tournant à peine vers la cuisine, j’observais alors la silhouette du Chaperon, m’assurant qu’elle non plus, ne regardait pas vers moi.

« Promis, hein ? Je… je n’ai pas vraiment l’habitude de… »

Ponctuant cette semi phrase d’un simple petit soupir, je m’en retournais vérifier le loup, avant de poser les yeux plus bas, pour bien voir ce que j’étais en train de faire. Lentement et nerveusement, je débouclais ma ceinture, puis dénouais difficilement le noeud de mes braies, que l’eau avait rendu bien trop solide.

Offrant au reste de la pièce la seule vue de mon dos haut et large, strillé de quelques vieilles traces laissées par de fréquents coups de badine, je ponctuais encore mon affaire de quelques regards en arrière, comme sur le côté, de peur d’être observé.

Longuement, je décollais de ma peau le tissu trempé en le tirant vers le bas. Il me fallut un certain temps pour cela, mais libérer mon corps de cette étroite étreinte me soulagea grandement. L’imposant serpent courant entre mes cuisses musclées vint bondir comme heureux de retrouver la liberté, et je crus même avoir fait une pause quelques secondes, tant la chaleur de la cheminée sur ma chair refroidie me fit un bien fou.

Dansant face au feu, la longue bûche molle qui pendait jusqu’à hauteur de mes genoux vit son ombre se projeter en grand dans le reste de la pièce, comme pour se faire imaginer plus dense et anormale encore…

J’eus bien plus de mal encore à faire sortir mes chevilles du pantalon plein d’eau et aussi passais-je encore un temps l’air bête, baissé, à forcer sur mes pieds. Penché de la sorte, mon large fessier tout fait de muscles bandés vint à se contracter comme pour prendre l’apparence d’un roc, sous lequel venaient pendre des bourses si larges et si lourdes elles aussi, qu’elles auraient mieux été appelées « sacs », tant elles semblaient retenir en leur sein d’énormes pommes de terre joliment formées…

Et, juste en dessous, l’épais et bien trop long engin pour qu’il ne soit apprécié de tout son diamètre par l’interstice de mes cuisses entrouvertes, continuait quant à lui de se balancer au gré de mes malhabiles gestes, dessinant de son ombre l’image d’un gigantesque pendule dont le mouvement de balancier jamais ne se calmait.

Totalement nu, j’observais avec crainte les yeux du loup, heureusement encore clos. Derrière moi, j’attrapais très vite l’une des larges peau de bête pour la passer sur mes épaules, la fermant autour de moi tel un manteau. Constatant bien rapidement, bien heureusement là encore, que celle-ci n’était pas assez large, ou longue, pour couvrir jusqu’à mes genoux, je l’ajustais finalement plus bas, sous mes aisselles.

Me tournant enfin, fin prêt, je décrivais la pièce de mes yeux pour y trouver ces escaliers qui devaient mener à l’étage que le Chaperon eut mentionné.

Tout en veillant à m’appuyer sur le mobilier pour ne pas tomber du haut de mes larges gambettes encore raides, je m’en approchais doucement. Je n’avais pas la moindre envie de rester longtemps comme cela, nu devant elle sous cette couverture d’appoint.

J’ignorais cependant où me laver exactement, et ne me serais jamais permis non plus de visiter les lieux sans permission.

« Est-ce que je monte ? »

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