Plan de Terra > Ville-Etat de Nexus
Un petit palais plein de surprises ~ Gerd & la Clairière des Muses
Gerd:
Les arrêts de Gerd à Nexus étaient relativement rares. La prédominance des fanatiques de l'Ordre Immaculé, la présence de nombreux mages et le grand calme de la politique locale, peu propice aux contrats occasionnels en comparaison d'Ashnard, n'avaient pas de quoi attirer un mutant dont le genre avait été condamné par la moitié des institutions majeures de la cité tentaculaire depuis sa naissance.
Mais la mégalopole gigantesque était assez grande pour s'y perdre et le centre de commerce faisait qu'il était franchement plus simple de venir à Nexus que de faire tout le tour des territoires et dépendances de son empire à la recherche d'ingrédients locaux que l'on trouvait de toute façon dans la capitale.
Il faisait donc escale sur place de temps en temps en prenant soin de cacher autant que possible sa nature aux locaux. Il abandonnait, par exemple, sa manière caractéristique de porter ses armes et dissimulait glaive en argent et médaillon. Des lunettes aux verres fumés, accessoire de marin et d'alpiniste devenu un objet de mode, lui permettaient de cacher ses pupilles verticales. Dans la cité elle-même, il laissait aussi son armure au vestiaire de l'hôtel où il s'arrêtait, privilégiant un long caftan d'un vert sombre et une ceinture dorée.
Il passait ainsi pour n'importe quel capitaine corsaire ou commandant mercenaire à succès venu dépenser sa part de butin aux commerces de la grande cité marchande.
D'un côté, dissimuler ainsi sa nature le frustrait et tendait à le mettre en colère mais, d'un autre, il avait, dans ces conditions, la possibilité d'expérimenter la vie d'un être humain normal. On ne l'abordait pas comme on abordait Gerd le sorceleur. On ne lui parlait pas de la même manière également. Il était vite accepté, vite inclus. On le flattait sur sa carrure et on lui demandait de quelles batailles venaient les cicatrices qu'il ne pouvait dissimuler, alors qu'en temps normal cette même carrure pouvait le faire voir comme une véritable menace pour toute une communauté.
Il faisait bon d'être humain pour quelques jours. Et plus les jours passaient plus il ralentissait sa frénétique recherche d'ingrédients alchimiques très spécialisés pour profiter un peu de la ville et de ses plaisirs.
C'est au hasard d'un commerce de plantes médicinales qu'il avait fini par porter son attention sur la Clairière des Muses. Il avait déjà entendu quelques discussions à ce sujet, ou de loin de façon fugace, mais cette fois il s'était retrouvé impliqué directement dans une discussion sur le sujet, apprenant des choses sur l'endroit et sa localisation. On disait que c'était un nouvel établissement mystérieux, à la fois ravissant et inquiétant où, disait-on, on trouvait tout ce qu'on désirait à condition d'en avoir la bourse et les manières.
C'était tout à fait le genre d'endroit où Gerd se voyait finir son escale nexusienne, avec ce qui lui resterait de l'argent qu'il avait alloué à ces vacances bien remplies. Et c'est en y pensant qu'il passa ses derniers jours à rayer les derniers effets de sa liste, vouant un dernier jour à aller voir ce fameux palais bourgeois reconverti en... en quoi, au juste ? On n'était pas très précis sur ce que faisait l'endroit. C'était ce qui disait à Gerd que l'endroit avait de grandes chances d'être un bordel. Il en serait certain en y arrivant.
Il avait emprunté la large impasse, dominée par la masse brillante du Palais d'Ivoire, et l'avait remontée jusqu'à arriver à son bout et se retrouver face aux hauts murs et aux lourdes portes de l'établissement. L'enceinte avait été récemment rafraîchie. Elle était coquette. Et ses portes, bien que lourdes, étaient si bien ouvragées et décorées que ce qui faisait penser aux défenses d'un fortin provincial avait ici les allures d'une frontière vers un royaume enchanté. Le sorceleur comprit ce qu'on voulait dire en parlant de l'ambivalence qu'inspiraient ces lieux de l'extérieur. Les délices de l'existence semblaient se cacher là-dedans, mais la frontière semblait bien gardée.
Qu'importe : tout commerçant parlait le langage de l'argent et il lui restait un beau pesant. Il pouvait, pensait-il, se présenter à la porte sans crainte.
Et il se saisit de la cordelette d'un carillon pour la tirer. A l'intérieur, une série de petites cloches donnèrent un signal à une personne que Gerd ne tarderait pas à découvrir.
La Clairière des Muses:
L'aube caressait doucement les toits de Nexus de sa chaude couleur orangée. Le ciel avait quitté ses habits de brume de la veille pour laisser à l'astre solaire le loisir d'y passer tranquillement ses doux rayons. La journée avait bien commencé. Aux premières lueurs du jour, Edmund avait pris ses sacs de jute et autres panières, suivi par Droekor. Ils n'allaient pas se remplir et se porter tous seuls. Le cuisinier était sorti pour une seule chose : trouver les meilleurs ingrédients pour faire les plus fantastiques des mets pour la Clairière. C'est que certains étaient de véritables gouffres pour ce qui est de la nourriture, bien qu'ils agissent toujours avec manière. Si lui n'était pas là pour offrir son corps aux clients et autres dames, il ne lésinait pas sur son travail pour satisfaire la clientèle des Muses, ainsi que cette petite famille. Mais il avait beau être fort, il ne pouvait porter toute la marchandise à lui seul. C'est pourquoi il avait demandé de l'aide au Colosse, qui avait bien évidemment accepté. Après tout, c'était pour lui remplir l'estomac dans un futur très proche. Une fois rentrés, discrètement et sans gêner personne, Edmund partit se réfugier dans la cuisine, bien à l'écart des autres afin d'éviter que les bruits des casseroles et des odeurs de nourriture n'incommodent les Muses et la clientèle. C'est certain, la Clairière sera rassasiée pour le repas du midi et le dîner.
Le reste des Muses vaquaient à leurs occupations. Les clients qui avaient passés la nuit dans l'enceinte de la Clairière se réveillaient doucement, prenant le temps d'étirer leur corps fatigué et de profiter du petit déjeuner, toujours bien entourés par les Muses. Duncan avait pris soin d'attendre que les hommes de la bâtisse soient présents pour effectuer tranquillement sa ronde habituelle autour du muret qui entoure le terrain de la Clairière. Il faut dire qu'il y avait certaines personnes qui avaient osé franchir les limites. Qu'ils viennent de bas quartiers que des hautes sphères de Nexus, leur obsession poussait ses gens à se rapprocher des Muses par tous les moyens possibles. Parfois, les exclure, leur interdire l'accès à la Clairière ne suffisait pas. Ils se croyaient tout permis. Céleste avait ordonné à Duncan de les laisser franchir les murs, si ça leur chantait, mais une fois que cela était fait, le chien de garde était tout à fait en droit d'arrêter ces personnes. Il n'y avait plus qu'à les conduire devant Céleste pour notifier l'infraction, puis les emmener à la milice la plus proche. S'il fallait passer devant la justice ? La mère maquerelle ne le craignait absolument pas. Elle faisait tout pour protéger les siens, quitte à mordre des personnes bien plus hauts placés qu'elle. Il était connu que Dame Albame n'était pas une femme qu'il fallait chatouiller.
Cela faisait maintenant quelques temps que Shahina travaillait pour la Clairière. Elle était considérée comme une Muse, mais n'en était pas vraiment une à la fois. La jeune femme s'appliquait quand elle aidait Edmund en cuisine, faisant le service silencieusement, mais toujours le sourire doux aux lèvres. De ses doigts graciles, elle offrait de son don pour la musique pour l'ouïe fine des Muses et des clients qui les accompagnaient. Le plus souvent, c'est elle qui accueillait les arrivants dans la bâtisse. Et tiens, on dirait que la cloche tint dehors. Parée d'une robe fluide d'un ton lavande, révélant le léger teint hâlé de sa peau, Shahina se redressa pour s'avancer vers la double porte en bois sculpté. Arrivée devant l'entrée, la demoiselle tira sur le loquet puis la poignée, pour faire face à ce nouveau client avec le sourire.
" Bonjour, messire ! Bienvenue à la Clairière des Muses ! Je suis l'Accueillante. Veuillez me suivre jusque dans le salon principal. "
S'il y avait bien une règle à respecter particulièrement, en premier lieu dans la Clairière, c'est que les Muses étaient appelées par leur surnom. Seuls Edmund, Duncan et Céleste donnaient leur véritable identité. Il fallait protéger les Muses et cela commençait par leur identité première.
Shahina prit la peine de refermer correctement la double porte une fois que Gerd pénétra en l'enceinte de la Clairière. Devant eux se tenait un immense bâtiment en U, des plus distingués. L'intérieur de ce U menait à l'arrière, dans un jardin majestueux mais pour le moment, invisible pour les yeux du client. Le bâtiment, d'un ton éclatant de pureté, comptait deux étages. De multiples fenêtres ouvragées permettaient à la lumière de bercer correctement chaque pièce du bâtiment. L'intérieur est tout aussi beau que l'extérieur. Est-ce bien là une maison de courtisanes ? Les murs sont d'un blanc éclatant, parés ici et là de tentures colorés, notamment d'un rouge lie-de-vin. Le carrelage, d'un ton blanc granit est somptueux. Au loin, on entend quelques fois étouffés. La jeune blonde s'arrêta à l'entrée du bâtiment, passant devant un long comptoir de bois clair, finement gravé. Toujours avec le sourire aux lèvres, Shahina le questionna.
" Avez-vous une quelconque arme, messire ? Je dois vous les confisquer si vous souhaitez aller plus loin dans la Clairière. Nous consignons les armes en lieu sûr, le temps de votre visite en ces lieux. En contrepartie, nous vous laissons un bracelet que nous vous attachons autour du poignet, afin de dire que vous avez quelque chose à récupérer à la sortie. "
L'Accueillante se faisait la plus douce et diplomate possible. Duncan, ayant remarqué qu'un nouveau client était arrivé, s'approcha de Shahina, saluant d'un petit hochement de tête Gerd. Monsieur Artgal n'était présent que s'il y avait une altercation. Il arrivait que des clients étaient mécontents de devoir se séparer de leurs armes. C'est tout à fait normal, mais c'était pour la sécurité des Muses. Alors Duncan se postait à l'entrée, près de Shahina pour pallier à tout débordement. Il était toujours bien habillé, dans son long manteau bleu ceinturé. L'homme d'âge mûr était le seul à porter une arme sur lui, mais il était rare qu'il soit obligé de l'utiliser. Cela faisait partie de son rôle au sein de la Clairière. Son mutisme et son allure droite suffisaient largement à taire toute querelle.
" Je me dois aussi de vous demander votre nom, ainsi que d'enlever vos lunettes. Tout visage doit être découvert. Encore une fois, c'est pour la sécurité des Muses. Dame Albame y tient beaucoup. Tout sera bien gardé en lieu sûr, messire. "
Sur le comptoir, l'Accueillante dépose un livre de cuir rouge avec un emblème dessus, allez savoir quoi. Elle l'ouvrit délicatement et à l'aide d'encre et d'une plume, elle y inscrit la date et l'heure du jour. Elle attendra pour inscrire le nom du client, et récupérera ses biens lorsqu'il se décidera à le lui donner.
Gerd:
Un petit brin de femme adorable avait fini par arriver pour lui ouvrir et Gerd la considéra avec intérêt et curiosité. C’était son premier contact avec l’intérieur si mystérieux de l’édifice et il essaya de juger, à la présentation de la beauté qui l’accueillait, à quoi s’attendre exactement. La toilette, le charme et l’usage d’un surnom rappelait les usages de beaucoup de maisons closes à travers la face nexusienne de Terra–Ashnard ne s’embarrassant guère de nommer les morceaux de viande destinés à ces tâches–et sembla lui confirmer sa conclusion première.
Pour autant, il ne se montra pas grossier. Il suivit le code qui semblait présider, et l’appeler messire conviait à se comporter comme tel ; en tout cas, comme une version aussi proche de l’idéal du gentilhomme que possible, car les sires en étaient rarement.
« Merci, Mademoiselle. Je vous suis. »
Il suivit la jeune femme à l’intérieur et découvrit la réalité. Le petit palais citadin qui avait été approprié par le maître des lieux était splendide. S’il ne voyait pas les jardins d’ici, il voyait bien l’élégance classique de la bâtisse qui n’avait jamais été une de ces anciennes forteresses fluviales reconverties en palais de princes fortunés, comme ailleurs en province.
Il s’agissait de la parfaite expression d’un certain style de luxe et d’opulence qui en disait long sur le genre de standing dont l’établissement pouvait vouloir se revendiquer. Nous étions loin de la maison close classique, discrète et ouverte à tous. Ici, il faudrait faire patte blanche et, pour tout dire, Gerd ne fut guère surpris de voir Duncan apparaître au moment de son enregistrement, l’homme austère faisant immédiatement comprendre qu’il se chargerait sans délai de tout trublion manquant à la paix des lieux ou s’en montrant indigne.
Tandis qu’il découvrait et analysait le gardien, le sorceleur incognito délaça son glaive de sa ceinture, puis se baissa pour tirer un couteau de sa botte. Il les plaça sur le comptoir en douceur. Il faillit donner des précisions sur son glaive et demander qu’on en prenne particulièrement soin, mais c’était là un réflexe qu’il ravala. Évidemment, on prendrait soin de ses biens.
Enfin, il lui fut demandé de décliner son identité et de retirer ses lunettes. Il affecta un silence de plusieurs secondes, considérant les conséquences venant avec la révélation de ses pupilles de mutant. Et puis, il se fit une raison : les établissements de ce genre, qu’importait leur standing, ne faisaient pas de politique. Ils recevaient des clients prêts à dépenser pour se faire plaisir. Il finit donc par porter sa main à ses lunettes.
« Évidemment. Voici. »
Il les retira et les tendit à l’Accueillante, croisant son regard de ses yeux d’ambre aux pupilles verticales.
« Quant à mon nom, vous pouvez noter Gerd. Juste Gerd. »
Et puis, un détail le frappa tandis qu’il repensait à ses paroles. Il plissa les yeux en essayant de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une erreur. Il avait connu une jeune prostituée sur la Voie. Il l’avait vue plus d’une fois. Une fille bien, ambitieuse, fière de sa personne et de son corps enveloppé, qu’il n’avait pas recroisé depuis des années. Il s’était demandé ce qu’elle était devenue. Elle utilisait toujours son prénom à l’époque, mais il avait fini par connaître son nom : Céleste Albame.
« Excusez-moi, vous avez bien dit Dame Albame ? Céleste Albame ? »
La Clairière des Muses:
Shahina, dans un calme olympien, patienta jusqu'à ce que le nouveau client dépose ses affaires, notamment ses armes, ainsi que ses lunettes noires, afin de les consigner de côté. Prudemment, elle fixa son interlocuteur, ne serait-ce qu'un millième de seconde, pour comprendre pourquoi il avait caché son regard. C'est en voyant ses pupilles fendues qu'elle réalisa la chose. Bien qu'elle, ainsi que la Clairière, se fichait des races qui pouvaient venir dans l'établissement, la jeune femme avait entendu quelques histoires qu'avait raconté Céleste sur les sorceleurs. Pourtant, il ressemblait à un homme comme un autre. C'est Duncan qui semblait plus sur ses gardes, malgré le fait que ce client avait déposé ses armes.
Toujours avec le sourire, Shahina prit avec délicatesse les lunettes, ainsi que le glaive et le couteau du client, allant dans une pièce derrière, invisible pour l'homme. En réalité, elle avait installé les possessions de l'homme dans un petit coffre-fort. L'Accueillante revint alors au comptoir avec un petit bracelet. Il était fait d'un cuir rougi, brodé en son milieu de fil doré. Elle invita le client à tendre son poignet, pour qu'elle le lui lace avec douceur.
" Ce bracelet indique aux Muses que vous avez des propriétés mises de côté, et que vous n'avez plus d'armes sur vous. "
Une fois fait, elle inscrivit le nom du client sur le livre devant elle. Gerd. Ce n'est pas commun et c'est la première fois qu'elle entendait ce nom, alors il était vraiment nouveau client. Shahina releva la tête, observant l'homme lorsqu'il la questionna. La jeune femme haussa un sourcil, perplexe.
" Euh...Oui. Dame Céleste Albame, c'est bien elle. C'est la propriétaire de la Clairière des Muses. "
Son questionnement était suspect. Peut-être avait-il rencontré la mère maquerelle bien avant qu'elle ne crée la Clairière ? Possible. L'Accueillante ne connaissait pas le passé de sa patronne. Céleste avait toujours été très discrète sur sa vie, même avec les Muses...C'est alors que Duncan sortit de son mutisme, s'approchant solennellement de Gerd, toujours droit comme un piquet. Son ton n'est guère menaçant, mais il semble détaché, voire froid.
" Si vous souhaitez voir Dame Albame, je peux vous conduire jusqu'à elle. Dans le cas contraire, l'Accueillante peut vous mener jusqu'au salon, afin d'y choisir une Muse. "
La moustache de l'homme de main pouvait presque frémir. Il n'était pas rare que des hommes cherchaient à rencontrer la propriétaire des lieux, aussi bien pour bénéficier d'extra selon leur rang social, mais également parce que Dame Albame était une femme célibataire, par choix, et qui dirigeait un prestigieux établissement. Même s'il ne s'agissait là que d'une maison de courtisanes, elle faisait partie de celles les plus en vogue dans la capitale, pour ne pas dire la meilleure. Céleste Albame n'était pourtant pas une femme facile. Que ce soit en affaires ou en amour, elle était une cible très difficile à atteindre. Le seul moment où elle faisait preuve « d'amour », c'était envers ses Muses, qu'elle protégeait énormément...
Gerd semblait vouloir rencontrer la « maîtresse de maison ». Duncan salua simplement Shahina, avant d'inviter le client à le suivre. Même en déambulant dans la Clairière, Monsieur Artgal en imposait. Il semblait droit, fier. Sous sa posture et ses vêtements, on pouvait ressentir tout l'entraînement militaire qu'il s'était imposé durant sa vie, et qui, sûrement, s'y obligeait encore aujourd'hui.
Tout était magnifique dans ce bâtiment. Si l'entrée de la Clairière était somptueux, le reste n'était en reste. Avant de rejoindre les escaliers qui menaient à l'étage, le drôle de duo était passé une masse de rideaux bleus tirés. Derrière, on avait pu entendre des voix, certains rires aussi. Les Muses étaient au grand salon, là où les clients venaient en premier lieu pour choisir une ou plusieurs courtisanes pour passer le temps avec elles.
Les escaliers étaient faits d'un carrelage très clair, presque similaire au marbre, surplombé d'un tapis de couleur crème aux bordures dorés. L'étage était du même ton que le rez-de-chaussée. Le choix de blanc/crème était voulu, bien évidemment, mais qui aurait pu s'attendre à une bâtisse si propre, alors qu'avant, il s'agissait d'un simple bordel, avec des chambres remplis d'immondices ? Personne. Les couloirs ne sont ponctués de couleurs que par les quelques meubles, ainsi que les tentures, tableaux et plantes les décorant.
Une porte double, d'un bois très clair, finement gravé (-tout comme son encadrement-), donnait une fin nette à ce long couloir, dans l'un des embranchements en U du bâtiment. Duncan toqua à la porte, attendant une réponse de la mère maquerelle avant d'ouvrir. Passant le premier, il prit soin d'expliquer la situation, inclinant doucement la tête respectueusement vers Céleste.
" Mes excuses, Dame Céleste. Un client souhaiterait s'entretenir avec vous. Il se nomme Gerd et semble vous connaître.
Si l'intérieur du bâtiment est d'une blancheur éclatante, le bureau de la propriétaire est d'un ton plus sombre. Plus neutre, le sol est fait d'un parquet somptueux, les murs d'un bois plus foncé que le parquet. N'oublions pas son bureau, tout de bois aussi, est d'un noir doux, gravé. La pièce semble séparée en deux : d'un côté, le véritable bureau, sûrement pour faire de la paperasse, de l'autre côté, un petit salon, meublé d'une table basse colorée et de fauteuils de cuir. On sent alors l'ambiance sérieuse de cette pièce, qui sert réellement aux affaires et rien d'autres.
La jeune femme se redressa de derrière son bureau, se levant de sa chaise. Céleste Albame portait une robe qui la couvrait plus que ce qu'on pourrait attendre d'une mère maquerelle. Teintée de plusieurs couleurs violines, elle ne faisait apparaître que très légèrement son cou et un peu les rondeurs de sa poitrine en son milieu. Elle est fendue sur la longueur de sa jambe gauche, mais cela est très peu visible si Céleste ne marche que peu.
" Très bien. Tu peux nous laisser, Duncan. "
L'homme de main de la Clairière salua une nouvelle fois Céleste. Avant de se retirer, il invita Gerd à pénétrer dans la pièce, refermant la porte derrière lui et retournant à son poste. La femme à la chevelure de jais observa donc son invité, avant de hausser les sourcils de surprise. Ses paupières papillonnent un instant, semblant être prise dans son inconscient. Mais la métisse se reprit assez rapidement.
" Oh...Je ne m'attendais pas à de telles retrouvailles. Bienvenue à la Clairière des Muses, cher ami. "
Un sourire se dessinait sur le visage de la métisse, ourlant doucement ses lèvres pulpeuses. Céleste croisa ses bras sous sa poitrine, venant s'asseoir délicatement sur le bord de son bureau. Elle ne dévia pas son regard, fixant le sorceleur de ses yeux aux reflets dorés.
Gerd:
Il était assez normal que l’Accueillante se montre perplexe à sa question. Il devait être assez rare que des clients, surtout de nouveaux clients, se mettent à appeler sa matrone par son nom complet en affichant un sourire. Gerd aurait très bien pu se tromper, mais ces lieux, ce nom… Céleste était encore bien jeune, s’il avait bien compté les années, mais elle avait des rêves et de l’ambition, et si quelqu’un avait pu fonder cet endroit et trouver un personnel à la hauteur du défi… Il n’avait guère de doutes sur son identité. Ce n’était pas qu’un simple hasard, il en était certain.
Le garde avait pris le relais avec un prudent détachement pour lui proposer de l’accompagner, et le sorceleur hocha la tête.
« Je vous suis. »
Il prit sa suite après un dernier regard et un hochement de tête envers l’hôtesse au pseudonyme bien choisi, et se tut sur le reste du chemin. Il connaissait les gens comme cet homme, et il lui rappelait sa propre personne par certains aspects. Ce type vivait pour servir et protéger les gens qui méritaient ses talents selon son point de vue. La paye était sûrement bonne ici, mais le fait qu’il prenne si sérieusement son travail dans un tel établissement montrait qu’il était là par conviction et pas pour les gains. Il avait l’air d’un homme bien.
La bâtisse était splendide et, à bien y regarder, tout semblait neuf ou presque neuf. Il y avait eu de gros travaux ici, et on s’était donné du mal pour que le résultat soit impeccable et égale ou surpasse la splendeur des hôtels particuliers bourgeois. En effet, comme les attirer et vider leurs bourses sinon en leur vendant du rêve ? Certains préféraient toujours les établissements douteux et les filles pas cher, mais beaucoup étaient prêts à mettre le prix pour un cadre et un service de qualité supérieure. N’était-ce pas ce pour quoi était venu le sorceleur ?
Au bout du chemin, une double-porte. Gerd s’arrêta à distance respectable et laissa le garde faire son travail, ne repérant que le ton plus sombre de l’intérieur de la grande pièce qui terminait l’étage de cette aile. Il ne s’avança que lorsqu’il fut annoncé et qu’on lui laissa la place de se glisser à l’intérieur. Il découvrit alors les lieux en détail de ses yeux perçants et passa du salon au bureau avant de la voir.
Dans une tenue qui aurait fait pétiller les yeux de la jeune prostituée nomade qu’elle avait été, elle se leva et fit le tour de son bureau en congédiant son employé. Le sorceleur observa la jeune femme avec des yeux légèrement arrondis. Elle avait coupé ses longs cheveux épais et affichait une dignité quasiment princière, mais il la reconnut. Ses traits n’avaient guère changé. Ses yeux étaient, peut-être, un rien plus durs, mais ils étaient inimitables. Enfin, les lignes plantureuses de son corps rappelèrent immédiatement à sa mémoire les moments passés ensemble au hasard de la Voie et il sourit au moment même où elle le reconnut.
Il nota le sourire sur les lèvres charnues qui avaient tant aimé et partagé, et il sourit lui aussi, les coins de ses yeux se plissant dans de petites ridules. Même lui ne pouvait fuir l’âge, pourtant Céleste ne pourrait sans doute remarquer de différence chez lui, sinon, peut-être, une nouvelle cicatrice ça ou là si elle les cherchait. Et il approcha lentement, en gardant une distance respectueuse : elle était chez elle et maîtresse des lieux, pas la fille nomade qui louait son corps pour la nuit aux abords du camp ou à l’arrière d’une étape routière.
« Merci, mon amie ! Je ne l’aurais pas cru si on me l’avait dit, moi non plus. La Voie a su croiser nos chemins plus d’une fois, mais… »
Il jeta un regard sur la pièce à nouveau. La surprise et l’admiration pouvaient se lire sur son visage.
« Je ne pensais pas que tu aurais fait tant de chemin depuis la dernière fois. C’est incroyable ! » Il plissa les lèvres et les yeux d’un air faussement suspicieux : « Tu n’as tué personne pour l’acte de propriété, hm ? »
Quand bien même, aurait-il réagi en mal ? Il n’avait pas caché les détails de son métier et de ses à-côtés à la jeune femme et elle devait bien s’en souvenir aujourd’hui. Au bon prix, sa lame pouvait être aussi dangereuse pour un noble de haut rang que pour un monstre puant. Ce n’était pas pour rien que Gerd avait dissimulé son identité depuis son arrivé à Nexus : le passage d’un sorceleur rimait trop souvent avec un faits divers tragique ; même si moins ici qu’à Ashnard, par exemple.
Il ricana pour souligner la plaisanterie et s’arrêta à quelques pas de la splendide matrone, passant les pousses dans la ceinture de son caftan et posant son regard dans le sien. Le métissage avait fait des merveilles chez Céleste et ses iris naturels dépassaient en originalité les siens. Il n’y avait rien d’étonnant à son succès, en réalité : un bon mécène et une bonne gestion financière lui auraient suffi.
« Je suis heureux pour toi ! Tu as construit quelque chose de fantastique. Et tu es encore si jeune ! Ça te fait quoi ? Trente ans ? »
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