L’esprit embrumé par la fumée, les yeux roulant sur le sol. Les mains dans les poches de son pantalon noir, serré par une ceinture de cuir assez vieux. Lyra cogne avec sa botte contre un caillou au sol. Ses yeux se plissent très légèrement dans l’obscurité. Elle reconnait cet endroit, elle y est déjà allée. Autrefois, il y avait davantage de voitures de police… Il y a longtemps, une éternité, peut-être. Ses pas s’accélèrent un peu, les épaules en avant. Cela fait un peu trop longtemps qu’elle usurpe l’identité de cette défunte colocataire, il serait sans doute temps de changer de tenue, ou d’approche, surtout ici. Ils risqueraient de la reconnaître. Sans doute ont-ils trouvé ce cadavre pourrissant au fond de cet appartement. Cette identité usurpée c’était sans doute la pire idée et la meilleure qu’elle n’ait jamais eue. Tous ces laboratoires qui la laissaient entrer juste quand elle présentait ses papiers d’identité et toutes les horreurs qu’elle avait vues. Tous ces gens enfermés dans des cages… Ses mains se serrent très légèrement, imperceptiblement, lorsqu’elle passe la porte de ce bar.
Une jolie tête blonde s’installe au comptoir, ses jambes se croisent, ses coudes se posent sur le comptoir, puis, elle étire lentement son dos vers le haut. Le propriétaire plisse les yeux en essuyant les verres lentement, puis se rapproche pour prendre sa commande. Elle ouvre ses grands yeux vers lui, maquillés de noir, un peu trop maquillés. Ou du moins nettement plus que ce qu’elle voudrait en temps normal. Ses lèvres, petites, fines, teintées de rouge se pincent très légèrement et son air se déforme lentement en un air froid et courroucé vers lui. Le rôle tient toujours, il le faut bien, d’autant plus qu’une donzelle comme elle s’attire toujours des ennuis… Ce serait dommage de recommencer. Ce sera un cognac. Ses yeux se détournent lorsque le tenancier s’affaire. Ses jambes bougent très légèrement avant de trouver une position stable, croisées à nouveau, son pantalon serré lui est assez inconfortable, il faut le dire. Tout comme ce qu’elle porte, que sa très chère colocataire aurait porté… Si… Enfin…
Si elle ne l’avait pas malencontreusement tuée…?
Ton irresponsabilité te tuera, Lyra. Elle lève un regard et un sourcil vers le côté, à gauche. Quelqu’un est entré. Elle ajuste son chemisier blanc et son veston, pas assez grand pour tout couvrir, pas assez petit pour laisser voir l’entièreté de son soutien gorge de dentelle noire. Son chemisier ne baille pas, il est simplement transparent. On devine la pâleur de sa poitrine, de ses clavicules, sans doute. L’homme qui vient d’entrer… Comment était-ce son nom… C’était quelque chose d’amusant, parce qu’elle n’utilisait pas le bon nom et ça l’ennuyait. La froideur de son regard se teinte soudain d’une petite étincelle, juste d’une pointe de curiosité, comme un chat qui aurait retrouvé un jouet. Comme une souris qui veut danser, danser encore entre les mains du vilain matou qui n’arriverait même pas à l’attraper entre ses dents. Un vieux type amusant et désabusé qui, elle s’en doute, veut juste être tranquille. Pauvre petit, dommage que Lyra sache exactement ce qu’elle veut et qu’elle aime emmerder le monde.
Lyra observe le barman s’approcher et lui déposer son verre de cognac devant elle. Elle lève le verre lentement… Jusqu’à sa hauteur d’yeux. Comment pourrait-il la reconnaître… Son petit air fanfaron est toujours bien présent, mais ses cheveux, ses yeux ne sont plus les mêmes. Il pourrait se souvenir de son petit air incertain lorsqu’elle s’est trouvée désemparée, la bosse de son pantalon lui indiquant clairement d’arrêter de jouer. Mais… Elle a continué son petit jeu divertissant, lorsqu’elle l’a frustré et est partie, ce soir-là. Alors qu’il était attaché et qu’elle jouait avec lui. La frustration de sa vie ? Oh, Lyra n’aurait jamais cette prétention… En revanche… Elle pianote très légèrement sur le verre en observant le liquide tourner entre ses graciles phalanges… Qu’était-ce déjà…
Je te sers un whiskey, Howlett ?
Howlett, c’était ça. Et dans quelques instants, Lyra pariait que ce barman allait lui demander de la même manière. Une impression de déjà vu ? La dernière fois, le pauvre avait fini avec des balles dans le corps et la donzelle sur ses jambes après lui avoir retiré les balles. Mais il n’avait certainement pas eu ce qu’il voulait, oh… Tiens, Lyra se demandait à quel point il pouvait être rancunier. Mais pour l’instant il n’y avait aucun indice suspect. A part… La position qu’elle avait, elle cherchait du bout des doigts, dans sa poche gauche une cigarette qu’elle sortait. Elle se contentait d’occuper ses doigts avec en jouant, entre son index et son pouce. L’humaine se décidait à la ranger, puis à entrouvrir les lèvres au moment où le barman prononçait son nom. “Howlett” avait-elle simplement fait, du bout des lèvres, sans son. Elles se dirigent ensuite contre le verre pour boire le cognac.
Elle observe la boisson, ça tournera un peu, mais visiblement… Tuer un dieu a certains avantages… La résistance à l’alcool en fait partie. Lyra prend une très légère inspiration avant de souffler, ses épaules se détendent lentement… Puis son attention se porte sur Howlett, oh elle se demande s’il serait énervé de s’être encore fait berner… Ou alors l’a-t-il déjà reconnue ? Elle abaisse la tête vers son veston, puis sort son téléphone pour observer son reflet, non la perruque est bien en place, le maquillage impeccable, juste le petit air inaccessible qui apparaît à nouveau, étrangement. Elle… s’ennuie moins. Parce que repenser à ce cher Howlett, avec des liens aux poignets, incapable de la soumettre à ses horribles pensées… Le pauvre, tendu, suppliant entre deux souffles rauques que les doigts de la demoiselle terminent ce qu’elle avait commencé, sans pouvoir bouger. Cette petite victoire se lit sur son visage, un sourire se dessine, léger, fugace, alors qu’elle range son téléphone dans sa poche. Elle se souvient de ses grognements, plus bestiaux qu’humains, de ses insultes, de ses supplications. Son petit air sérieux disparaît complètement, ses dents blanches se dévoilent. Alors, elle pose le dos de sa main sur ses lèvres pour se calmer et empêcher d’autres de voir ça.
Un air victorieux comme ça… Ca ne s’oublie pas. Même avec une perruque et une autre couleur de cheveux ou d’autres yeux. Ses yeux, autrefois bleus, se mélangent à l’ambre du cognac, orangés, ils valsent avec légèreté, changent très légèrement de teintes, puis elle termine son verre et le dépose devant elle en retrouvant son sérieux… Ce serait bête de foutre en l’air sa fausse identité juste parce qu’elle a été victorieuse de ce vieux type qui n’a jamais réussi à l’attraper. Vraiment bête.