Même en n’étant pas proche d’Aliliat comme elle l’était de Buar, Chaïnez pouvait ressentir la présence de la déesse alors même qu’ils n’étaient qu’à l’orée de la grotte. Elle n’avait été qu’à moitié surprise d’entendre Kisik s’exprimer au travers de son fils, et comme à chaque fois, c’était fascinant à observer. Elle n’avait pas encore fait l’expérience elle-même, aussi se demandait-elle toujours ce que Silat ressentait lorsque ça se produisait. C’était presque la communion ultime entre un prophète et son maître divin. C’était impressionnant, et la ferveur de la jeune femme n’en fut que plus forte encore.
Ses prunelles, d’un brun chaud parcouru d’éclats doré, se fixaient sur Hasnah avec affection, attendant qu’elle les guide à travers le dédale de chemins sinueux de la grotte. Laissant les deux amis d’enfance passer devant, Silat éclairant le chemin d’une petite boule lumineuse et Hasnah servant de carte vivante, la rousse suivit le chemin, ses grands yeux observants et capturant tous les détails qu’elle voyait. D’une main, elle tenait ses sandales, ses pieds nus glissant presque sur le sol sans faire le moindre bruit. Le mélange de sable et de roche n’était pas désagréable, et elle les suivait d’un pas silencieux, félin. De l’autre, elle laissait ses doigts errer sur les parois rapprochées du tunnel, notant la moindre aspérité, les niches créées pour accueillir des bougies ou des offrandes, les quelques pièges désactivés par la présence d’Hasnah au sein du domaine de sa mère.
Ses lippes s’étaient lentement étirées en un sourire joyeux, heureuse qu’elle était de découvrir tout cela, d’être en compagnie de Silat et de la jeune terranide. Elle se sentait bien, en sécurité, en famille. Elle n’avait pas eu l’impression de manquer de quelque chose dans son enfance, n’ayant jamais connu trop de présences autour d’elle, mais se découvrir des frères et sœurs spirituels était exaltant.
Elle s’arrêta à quelques pas des prophètes qui étaient arrivés devant une lourde porte, une double-porte, qui semblaient taillée dans la roche. Elle devait être épaisse, et impossible à franchir pour quiconque n’était pas dans les grâces d’Aliliat. Elle esquissa un sourire en coin en voyant le démon caresser la queue d’Hasnah qui se troubla. Elle réprima d’ailleurs un petit rire amusé quand cette dernière se dégagea, feulant son agacement.
Dans le silence qui suivit, religieux, solennel, la fille du Lion observait chaque détail gravé, sculpté sur la porte. Elle portait aussi son regard sur la terranide, concentrée, les yeux fermés. Elle réprima presque un sursaut alors que cette dernière laissait échapper une phrase, mystique, dans un murmure qui semblait résonner autour d’eux, brisant le silence établi.
Le grincement des portes qui s’ouvrirent lui paru encore plus assourdissant, délivrant dans un geste un peu saccadé les merveilles qui se cachaient derrière. Un temple époustouflant, illuminé par les trésors qui l’entouraient, qui étincelait de mille feux comme pour saluer le retour de la magie de sa déesse au travers de sa Fille.
Quelques pas plus tard, alors qu’elle franchissait le seuil de la caverne aménagée, la prophétesse marqua un temps d’arrêt en observant les poissons qui sautait hors de l’eau, admirant leurs écailles aux couleurs chatoyantes qui se réverbéraient sur les reflets de l’eau, de l’or et de la perle qui délivrait cette luminosité mystique.
Elle tourna un instant sur elle-même, ses iris mordorées accrochant les reflets des joyaux qui scintillaient autour d’eux, son cœur enflant à la vue de toute cette beauté, à l’idée de redonner du pouvoir à la déesse des Océans. Elle s’approcha de la rive, ses sandales toujours à la main, et elle risqua un pied nu dans l’eau fraîche. Un gloussement ravi lui échappa avant qu’elle ne se retourne vers ses compagnons.
« C’est magnifique, souffla-t-elle d’une voix douce, dont l’écho se réverbéra pourtant la salle entière. »
C’était un lieu de recueillement, de vie, de joie. Un lieu où la magie était reine, où la Aliliat était honorée avec ferveur et amour. Il fallait à présent lui rendre cette étincelle de pouvoir. Cette chaleur qui devait lui manquer. Il fallait lui rendre la vie. Mais Chaïnez avait du mal à imaginer une scène plus belle encore.
« Que devons-nous faire ? Interrogea la rousse, encore novice dans le domaine des rituels. »
Peut-être pourrait-elle aider, à moins que le rituel ne soit faisable que par la Fille des Océans. Mais dans tous le cas, la rousse aurait à cœur de suivre les consignes.