Depuis son réveil, après un sommeil de plus de six-cents ans, Zussha a visité les ruines de ce qui a autrefois été son foyer. Les bâtiments en ruines éventrés par les arbres, les traces d'incendie, les statues brisées. Cela fait longtemps que ses proches sont tous morts et qu'il n'y a plus personne à protéger sur ces terres. Elle a pu revoir ses appartements dans le palais impérial, un vulgaire trou froid et humide, dépouillé de tout meuble et en parti détruit. Les beaux jardins dans lesquels elle jouait avec les enfants de la famille impériale ont complètement disparus. Les quartiers commerçants sont eux aussi méconnaissables, les rues ont été déformées et recouvertes, presque toutes les boutiques se sont effondrées. Et dire que les meilleurs artisans de l'Empire se battaient pour y avoir leur place à son époque. Ces visions l'ont rapidement poussées à fuir ce lieu, à fuir sa culpabilité. Elle ne peut pas s'empêcher de penser à sa chère maîtresse, qui a probablement attendu son retour jusqu'à la fin. Son souhait le plus cher aurait été d'être à ses côtés jusqu'au bout, de la soutenir dans l'épreuve. Au moins pouvoir combattre à ses côtés et tuer le plus d'ennemis possible. Car sa rage ne trouve aucune cible, tous leurs ennemis de l'époque ont eux aussi disparus et ce n'est pas faute de les avoir cherché. Même la vengeance est interdite à celles qui arrivent plusieurs siècles en retard. Alors il ne lui reste que la tristesse d'avoir perdu ses proches, sa maison, sa civilisation toute entière.
Néanmoins, ce n'est pas la première épreuve que la petite mage doit affronter, loin de là. Elle va s'en aller, laisser ses échecs et ses remords derrière elle, pour partir à la recherche d'une maîtresse méritant ses services. La dragonne est déterminée à reconstruire quelque chose qui mérite d'être protégé avec pugnacité, c'est la seule façon de vivre qu'elle connaisse après tout. Uniquement en possession des vêtements qu'elle porte, elle part au hasard portée par ses ailes, à la recherche d'un nouveau foyer. Après environ un jour de vol, elle dépasse les anciennes frontières de l'Empire et pénètre dans un monde inconnu. Habituée aux longs vols de reconnaissance et de bombardement, les distances ne lui paraissent pas, voyager est plus facile que de faire la guerre pense-t-elle. Après quelques jours d'exploration des alentours, elle arrive aux portes d'un désert brûlant, du sable à perte de vue. Les dunes bouillantes n'offrent aucune protection contre les rayons meurtriers du soleil. Seules quelques rares excroissances rocheuses permettent de s'abriter de temps à autre. Les points d'eau semblent extrêmement rares et sans en connaître la position précise, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Cet endroit est probablement la chose qui ressemble le plus à l'Enfer dans notre monde. Heureusement pour Zussha, elle dispose de plusieurs atouts de taille pour y survivre, notamment ses écailles qui forment une protection thermique extrêmement efficace. Ainsi, elle n'a pas besoin d'attendre la fraicheur de la nuit pour se déplacer dans le désert, elle va traverser ces étendues stériles le plus vite possible et aller trouver au-delà quelque chose qui en vaut la peine.
Après une journée entière à voler sans relâche, la créature commence à fatiguer et se dirige vers un refuge pour la nuit. Elle pensait dormir à la belle étoile mais, la température a bien plus chuté que ce à quoi elle s'attendait. Oh, elle n'espère pas trouver d'abris dans cette vaste étendue de sable mais, elle a vu une grande formation rocheuse à l'horizon. Impossible qu'il n'y ait pas au moins une grotte où s'abriter là-dedans. Après plusieurs minutes passées à se rapprocher de la structure, elle arrive au pied du pic rocheux qui apparait bien plus imposant de près. La dragonne se met à faire le tour à la recherche d'une grotte où passer la nuit, dans le pire des cas elle fera fondre la roche pour se fabriquer elle-même une grotte. Toutefois, elle préfèrerait éviter, les cavités instables creusées à la va-vite sont toujours moins fiables que les grottes qui ont subit l'assaut des années. C'est qu'elle aimerait bien dormir en paix, sans être dérangée par, hum, un éboulement par exemple. Heureusement pour elle, elle n'a pas besoin de chercher beaucoup avant de trouver une entrée, elle s’engouffre dedans sans savoir dans quoi elle vient de s'embarquer. Comme prévu, l'intérieur est moins sujet aux variations de température, conservant son inertie, la température y est plus clémente. Ses écailles disparaissent et ses cheveux redeviennent blonds, car elle n'a plus besoin de sa protection thermique. Elle remarque très vite qu'il y a des constructions humaines à l'intérieur, avec un peu de chance ... Peut-être que ... Elle crie quelque chose dans sa langue maternelle que personne ne va comprendre six-cents ans après, en espérant qu'une autre forme de vie intelligente pourra répondre. Ce pic rocheux étant visible de loin, les probabilités que d'autres voyageurs s'y soient réfugiés sont plus grandes que d’espérer croiser quelqu'un dehors.
Sans attendre sa réponse quelle ne comprendrait pas de toute façon, elle s'enfonce plus avant en essayant de repérer tous les passages disponibles avant d'aller se perdre là-dedans. Elle repère deux voies possibles, une grande ouverture rectangulaire donnant sur un escalier et une autre ouverture cachée derrière un virage à droite, donnant sur un chemin cernés de roches. Zussha n'est pas rassurée à l'idée de s'enfoncer sous terre, en restant au niveau de la surface elle peut toujours se transformer en dragon et briser les parois en cas de danger. Sous terre en revanche, surtout si l'escalier descend profondément, elle n'aura pas cette option en cas de problème ce qui lui déplaît fortement. La voilà donc qui s'engage sur la voie de cristal, appréciant bien vite la baisse de température, enfin, au début en tout cas. Progressivement, les parois rocheuses se couvrent de givre et la dragonne se met à grelotter. Plus elle s'enfonce dans ce passage, plus la température chute et elle ne voit pas ce qui peut provoquer un tel refroidissement. Rapidement, elle se retrouve contrainte de faire réapparaitre ses écailles pour endurer les températures qui ne cessent de baisser. Après quelques minutes de marche, Zussha arrive dans un endroit très différent et qu'elle ne s'attend pas à trouver au milieu d'un désert torride. Devant elle une grande étendue gelée, hérissée de lames translucides et baignée dans une lumière partiellement décomposée. Le paysage est aussi magnifique qu'inhospitalier mais, ce n'est pas ça qui va la faire reculer, pas maintenant, sa curiosité est piquée au vif, cet endroit est trop anormal pour qu'elle l'ignore, elle veut savoir. Comme elle ne craint ni les armes tranchantes, ni les températures extrêmes grâce à ses écailles, elle peut progresser sans prendre de risques inutiles. À ce moment-là, elle ne sait toujours pas qu'elle se trouve dans un donjon truffé de pièges et de créatures teigneuses.