L'hiver était là, sec et saisissant, figeant le paysage sous un manteau de neige épaisse et étincelante. Il avait neigé pendant trois jours, sans répit et petit à petit, la forêt ordinairement sombre et inquiétante avait prit des airs de féerie. La meute de loups qui habitait la sylve avaient l'habitude et avait sentit venir l'hiver depuis longtemps. Le fourrure s'était épaissie et leurs lourdes pâtes n'avaient aucun mal à se déplacer dans la poudreuse. Loin d'être gênés par le froid, ils batifolaient donc joyeusement autour de la tanière ce matin-là, bondissant comme des cabris dans le manteau blanc et se chamaillant amicalement en grognant. C'est ce qui réveilla Tala, chaudement allongée contre le pelage chaud du chef de la meute et son compagnon : Otaktay. Le grand loup alpha bailla longuement, puis réalisant que la belle sauvage était éveillée, il lécha tendrement son épaule. Souriante, Tala l'enlaça, plongeant son visage dans le pelage blanc et soyeux du loup. Ils restèrent une minute ainsi, puis elle se redressa et attrapa une sorte de cape de fourrure qu'elle avait l'habitude de porter en hivers. Elle avait aussi une sorte de tunique qu'elle avait grossièrement réussie à filer avec de la laine de mouton. Pour finir, elle s'était confectionnée des petits chaussons en peau de daim plutôt confortables et qui gardaient ses pieds au chaud. Mais rien de plus. Elle ne trouvait pas cela très confortable, elle qui avait l'habitude de toujours vivre entièrement nue. C'était là un des désavantages d'être humaine.
Tala sortit de la tanière à quatre pattes, suivie de près par Otaktay qui s'ébroua furtivement lorsqu'un flocon atterrit sur sa truffe. Aussitôt, les autres membres de la meute s'approchèrent d'eux avec gaîté, tentant des les inviter à jouer avec eux. Plutôt ronchon, l'alpha émit un petit grognement qui suffit à faire comprendre à Kohana, l'une des deux jeunes louves qui sautillait autour de lui, que ce n'était pas le moment. Tala quand à elle caressa affectueusement chacun d'eux. Elle savait qu'ils allaient partir chasser, mais malheureusement, elle ne viendrait pas avec eux. Son arc s'était brisé la veille au soir alors qu'elle tentait de ramener un lapin pour le dîner. Il lui faudrait donc du temps aujourd'hui pour trouver de quoi le réparer.
Otaktay leva alors soudain la gueule pour pousser un hurlement, indiquant le début de la chasse, imité en écho par ses congénères avant qu'ils ne s'éloignent tous en galopant dans la neige à la recherche d'une proie intéressante. Tala les regarda s'éloigner avec envie, puis glissa un poignard dans la cordelette qui lui servait de ceinture. Ceci fait, elle s'enfonça dans la forêt, à l'opposé de la piste que les loups avait décidés de suivre. Tout était agréablement calme, si l'on écartait le chant matinal des oiseaux.
Tala cherchait un arbre bien particulier, un If. C'était de loin le meilleur bois de la région pour fabriquer un arc solide et efficace. Pour ce qui était de la corde, elle allait devoir trouver un gros animal et se servir d'un nerf qu'elle allait devoir travailler pendant des heures avant qu'elle ne puisse l'installer. Elle espérait que la chasse soit bonne, car chasser un grand cerf avec un poignard n'était pas une mince affaire, même si elle était très adroite.
Au bout d'une longue heure de marche, elle tomba enfin sur une zone où poussaient de nombreux ifs. Les arbres avaient un aspect de gros buissons, mesuraient plus de dix mètres de haut et possédaient un tronc noueux. Heureusement pour elle, les branches de ces arbres partaient souvent à moins d'un mètre du sol. Et comme il avait neigé, l'arbre était enfoncé dans la neige et elle n'avait pas besoin de grimper pour se servir. Elle jeta son dévolu sur l'arbre qui lui paraissait le plus vif et étudia minutieusement les branches qui le composait, testant leur solidité, leur longueur et leur épaisseur. Lorsqu'elle trouva enfin son bonheur, elle cassa une branche à sa base et retira méthodiquement ses aiguilles une à une. C'est à ce moment là qu'elle entendit un bruit suspect derrière elle. Elle se retourna aussitôt, sortant son poignard de sa main libre et observa les environs, attentive au moindre bruit ou mouvement suspect.
Tout d'abord, elle ne vit et n'entendit rien, tout semblait être calme. Pendant un instant, elle pensait avoir rêvé ou peut-être n'étais-ce qu'un animal qui passait dans le coin. Puis tout à coup, elle aperçut une silhouette, puis une autre. Des humains !
Son cœur fit un bond dans sa poitrine et son sang ne fit qu'un tour. Elle lâcha la branche et se mit à courir. Ses cheveux d'un noir de jais voltigeaient derrière elle, ses bras pliés se balançaient rapidement d'avant en arrière au rythme de sa course et ses longues jambes la portaient avec autant de grâce que de rapidité malgré la neige. Sa peau sombre contrastait avec le blanc immaculé de la forêt, ce qui la rendait facilement repérable. Elle entendait des cris derrière elle et su qu'ils la pourchassaient. Tala se mit à zigzaguer entre les arbres sans ralentir, calquant sa respiration sur ses foulées pour un maximum d'endurance, inspirant et expirant l'air qui ressortait de sa bouche en formait de la buée dans l'air glacé.
Soudain, devant elle, un autre homme. Tala changea de direction, mais il un autre lui barra la route. Elle s'arrêta et voulut repartir dans une autre direction, mais partout où elle regardait, elle voyait une silhouette inquiétante, prêt à l'intercepter, tous armés. Paniquée, elle regarda dans son dos et vit arriver le groupe d'homme qui avaient réussis à la rattraper. Encerclée, elle tenta de trouver une faille par où s'élancer, mais le cercle se refermait sur elle. Les hommes ricanaient, lui intimant de ne pas bouger et de se laisser faire sans histoire. Le cœur de la sauvage battait à tout rompre contre sa poitrine tandis qu'elle tenait son poignard devant elle d'un air menaçant, tournant sur elle-même pour les observer un à un et ne pas se laisser surprendre. Soudain, un lourd filet tomba sur elle. Un petit malin était perché en haut d'un arbre et avait sagement attendu que ses compagnons rabattent leur proie jusqu'à lui, exactement comme l'aurait fait sa meute.
Tala poussa un cri de rage en tentant de se défaire du filet, mais des hommes se jetèrent sur elle pour la maintenir et lui arrachèrent son arme. Elle se mit à se débattre comme une diablesse, griffant et mordant ce qui partait à sa portée. Non, pas ça ! Hors de question qu'elle se laisse capturer ! Elle savait l'homme cruel et mauvais et savait que si elle se laissait prendre, ce ne serait pas un bon lit douillet et une soupe chaude qui l'attendrait. Comment avaient-ils fait ? Le groupe était organisé, ils n'étaient pas là par hasard, ils la traquaient depuis un moment, c'était la seule explication !
Consciente que ses forces commençaient à l'abandonner, elle inspira une grande bouffée d'air dans le but de pousser un hurlement, celle d'une louve en détresse, dans l'espoir que sa meute l'entende. Mais visiblement, ces types savaient parfaitement à quoi s'attendre et l'un des hommes eut tôt fait de la bâillonner.
La petite sauvage enfin entre leurs mains, les hommes l'entraînèrent hors de la forêt. Mais Tala ne cessa pas un seul instant de se débattre.