L’afro-américain renferma la portière de la Berline blindée et s’installa au milieu de la banquette en soupirant longuement. Les affaires qui l’amenaient en ville aujourd’hui étaient particulièrement…
Inconvenantes.
« Monsieur, où allons-nous ? », l’interrogea son chauffeur, un bulgare au faciès patibulaire et à l’accent à couper au couteau.
« Au Jubilé », lui répondit Lucas Creed en ôtant ses lunettes de soleil hors de prix pour les ranger dans la poche intérieure de son costume bleu nuit. Le préposé obéit en silence et la trompette de
Miles Davis envahit le véhicule. Lorsqu’il avait entendu le message de
Kitty Kate ce matin, Luke n’avait pas la moindre idée du visage de la personne à qui pouvait bien appartenir la voix goguenarde à l’autre bout du fil. Mais lorsqu’elle avait évoqué la vidéo, tout s’était éclairé.
Ah la foutue salope. Pour gravir les échelons de la pègre, Luke Creed avait commis bien des actes répréhensibles et il n’en regrettait aucun. Il suivait un code de conduite très strict qui lui permettait de vivre avec sa conscience. Mais cette histoire-là, n’avait rien à voir avec ses activités criminelles. Et si elle sortait, il était
foutu, littéralement. Refusant de céder à la panique, Luke avait pris une longue douche brûlante, prenant le temps d’apprécier la sensation de l’eau chaude ruisseler sur ses muscles saillants. Serviette autour de la taille, il s’était ensuite servi un verre d’un excellent Brandy en écoutant
BB-King . Le vieux l’inspirait toujours. Finalement, il avait rappelé la
garce, et lui avait
cordialement fixé un rendez-vous quelques jours plus tard.
Trois ans auparavant, Luke n’était qu’un dealer à la petite semaine, qui servait occasionnellement d’homme de main à de plus gros bonnets. Toutefois, malgré son physique de brute épaisse, Lucas n’avait jamais été un imbécile, loin de là. Qui plus est, son ambition n’avait d’égale que l’affection qu’il portait à son frère cadet, Cody, un authentique génie qui avait eu la malchance de naître à Harlem dans une famille de drogués et de criminels. L’ascension fulgurante de Luke avait pris tout le monde par surprise. Le grand noir avait su tisser sa toile au fil des années et disposait d’un réseau d’informateurs et de taupe dans la plupart des gangs de la ville. S’il s’était la plupart du temps contenté d’espionnage économique, il n’avait pas hésité à faire liquider des rivaux trop gênants. Son sens de l’honneur et son caractère impitoyable lui avait rapidement valu le respect de ses pairs et aujourd’hui il avait une cinquantaine d’homme sous ses ordres, une villa, trois voitures, des costumes à 3000 dollars et un petit frère à l’université de Princeton. «
Passe par le pont de la zone périurbaine, j’ai envie de faire un petit détour », ordonna-il à son chauffeur, avant de baisser la vitre teinté de son véhicule. Les terrains vagues qui jouxtaient la route avaient été le terrain de ses premiers affrontements avec des bandes rivales. En souriant, Luke repéra la palissade contre laquelle il avait failli mourir, dix ans plus tôt, mais s’en était finalement tiré avec une blessure au genou qui le faisait encore boiter aujourd’hui.
Un virage plus loin, la route renoua avec la ville. Ils n’étaient plus très loin. Lucas croisa les doigts sur ses genoux. Même trois ans plus tard, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine honte. Bordel, cette meuf l’avait enculé ! Le caïd n’avait pas rien vu venir. Lors-que Sasha l’avait attaché, il s’était laissé faire en riant de bon cœur, croyant avoir simplement signé pour quelques coups de martinet. Grave erreur. Il avait rugi de douleur pendant que ces chiennes le violentaient, usant de son énorme vit comme d’un jouet entre leurs cuisses humides. Pour faire comprendre à Kitty Kate qui était le mâle dominant, il avait violemment envoyé son bassin percuter son cul, tandis-ce qu’elle s’empalait sur sa queue, grognant de rage et d’impuissance. La pute avait joui bien sûr – comment pouvait-il en être autrement, après tout – et répandu sa cyprine sur son bassin en sueur. Et comment cette chienne l’avait-elle récompensé ? En glissant un foutu sex-toy dans son anus vierge, comme s’il était un
inverti. Il avait bien tenté de se débattre, mais il était solidement entravé et puis… Sasha l’encourageait, lui susurrait moult obscénités à l’oreille. Il avait fini par se détendre, et par jouir. A en perdre la tête.
« Merde. » Rien que d’y songer, Luke avait le barreau. Il n’avait jamais recommencé un truc pareil, évidemment – plutôt
crever. D’ailleurs il avait refusé de payer cette pétasse, et chargé ses gars de la foutre dehors. Il avait complètement oublié que la pute avait filmé une grande partie de leurs ébats. La vidéo était pour Sasha, pour leurs deux ans. Ses gars lui avaient raconté qu’ils avaient pété son caméscope, et il avait considéré l’affaire comme
classée.
Il avait rompu avec Sasha quelques mois plus tard ; elle avait le ciboulot dérangé à force de sniffer de la coke coupée avec n’importe quoi et piquait des crises d’hystéries qui lui rappelaient sa mère. Croyez-le ou non, il lui avait même payé une désintox. L’
ingrate s’était tirée à Philly avec un pharmacien quelques mois plus tard.
Arrivé sur les lieux du rendez-vous, Luke embrassa la terrasse d’un regard panoramique. Un de ses gars était au comptoir, le second en train de siroter une limonade avec sa
copine. Il remarqua rapidement Kitty, qui passait pourtant parfaitement inaperçue au milieu d’une clientèle estudiantine. L’homme s’approcha en silence, impassible, puis déboutonna sa veste pour s’asseoir en face de la pute.
« Sasha a fait une overdose, elle est morte il y a deux ans. » Lucas ne voulait pas que Kitty puisse se servir de son ancienne meuf pour alimenter son chantage. Lorsque le serveur passa, il commanda une eau gazeuse, puis se laissa aller contre le dossier de sa chaise, un sourire amusé dansant sur ses lèvres épaisses.
« Tu sais très bien comment vont mes affaires, sinon tu ne m’aurais pas passé ce coup de fil. » Malgré son apparence négligée, la pute était
bonne, peut-être encore plus attirante que quelques années plus tôt. Mais l’heure était au business.
« Qu’est-ce que tu veux Kitty, du blé ? Ma protection ? Je peux t’offrir les deux, dans une certaine mesure, mais ne soit pas trop gourmande, ça pourrait se retourner contre toi », ajouta-il, sans cesser de sourire. A vrai dire, il était surpris qu’elle ne lui ait pas encore donné son
prix.
Sûrement prenait-elle un malin plaisir à l’avoir fait venir jusqu’ici, en pleine journée.
Foutue garce.