« Oh, vraiment ? Alors, tous les mages et les alchimistes se tromperaient en s’arrachant à prix d’or ces petites boules dorées, hum ? »
Pour toute réponse, la fée émit un petit ricanement, de la crispation apparaissant dans ses traits tirés par son sourire. Une goutte de sueur coula le long de sa tempe, et ses ailes s'entrechoquèrent par accoups rapide, émettant un léger bruit de froissement.
"B-ben, bafouilla-elle en haussant les épaules, peut-être qu'ils recherchent une autre variété de fée ! Un peu comme quand on pêche, on sait bien que tous les poissons ne se mangent pas !"
L'argument aurait pu valoir quelque chose, pour peu que l'on sache que Flavia n'était pas née fée : cela aurait été possible qu'elle ne puisse pas disposer des pouvoirs que possédait une fée normale. Malheureusement pour elle, la nature, cette farceuse, avait décidé d'être généreuse de ce côté-là dés les premiers jours de sa transformation. Un doigt de poussière dorée dans un dé à coudre fournissait une source de lumière efficace, qui éclairait toute sa petite demeure dés que la nuit tombait au cœur de la forêt. Mais mis à part ce genre d'utilisation domestique, Flavia ne gagnait pas grand-chose à bénéficier de cette particularité.
Bien sûr, l'idée qu'on puisse la garder prisonnière pour lui ponctionner régulièrement cette maudite poudre la terrifiait, comme elle terrifiait toutes les fées. Mais heureusement, la vampire ne s'attarda pas plus sur la question, préférant apparemment le geste à la parole. Elle leva la main, et Flavia se raidit, s'attendant à prendre un coup en récompense de sa mauvaise foi. Tout ce que sentit l'ex-humaine, ce fut une caresse sur le haut de la bille qui lui servait de crâne, aussi légère qu'un courant d'air. Le contact était doux, et lui évoqua les caresses que l'on déposait sur son crâne à l'époque où elle disposait d'une mère, d'un père, ou d'une gouvernante pour le faire. Dans les deux émeraudes qui lui servaient de yeux, de la mélancolie s'attarda pendant quelques secondes... avant de disparaître, quand Flavia reporta son attention sur la voix d'Allison.
Il n’y a pas de forêt par ici, petit chou. Mais ma maison se trouve dans une zone très boisée, avec de grandes et belles forêts. Il semblerait donc que nous soyons destinées à rester encore un peu ensemble, n’est-ce pas ? »
"...Je suppose..." répondit-elle, ne pouvant cacher la perplexité dans sa voix.
Elle ne pouvait s'empêcher de rester méfiante envers cette dame, qui clamait un peu trop ses bonnes intentions pour obtenir une parfaite crédibilité. Mais en même temps, dans l'optique où elle comptait ramener Flavia chez elle, tout ce que la fée aurait droit comme cadeau de bienvenue, ça serait probablement la mise en pièce de sa maison par les autres fées de la forêt, qui auraient profité de son absence pour venir tout dévaster. Non pas que ça allait l'empêcher d'en reconstruire une, comme d'habitude, et de reprendre fièrement sa place au sein de cet endroit ! Mais disons qu'elle n'était pas spécialement pressée de vivre ça.
Donc, autant ne pas trop réclamer et analyser la situation. D'ailleurs, quand la vampire observa les alentours au-dehors, Flavia s'empressa de faire de même. Il y avait d'autres personnes à l'extérieur, dont la dénommée Sarah - qui ne s'était finalement pas enfuie, donc - et une autre jeune femme que la fée ne reconnut pas, et qui, même à cette distance, lui évoqua une peur inexplicable. Ses ailes tintèrent et ses poils se dressèrent, et elle décida qu'elle n'était pas spécialement pressée de rejoindre l'extérieur.
Il y eut un soudain bruit de déchirement, suivi d'une délicieuse odeur qui frappa Flavia de plein fouet. Un rocher brun sembla soudain tomber du ciel, de la taille d'un ballon de football pour elle, se présentant juste sous son nez. Elle l'attrapa et offrit un regard troublé à celle qui lui avait donné, et qui en tenait encore toute une réserve dans la main. Dés que la matière fut analysée, la créature ouvrit de grands yeux.
Même si Flavia aurait préféré se faire couper les ailes que de l'admettre, elle était émue. Ce qui pouvait sembler idiot, vu que ce n'était que du chocolat, une simple sucrerie que l'on voyait tous les jours quand on était humain et un minimum fortuné. Mais pour la fée, qui n'en avait pas mangé depuis des dizaines d'années - depuis ses premiers temps en fée, en fait, et l'air de rien ça commençait à faire long - cette mane qui lui tombait du ciel et qui lui rappelait tant d'évènements agréables - ses desserts au coin d'une table, les buffets dans la salle de réception de ses parents, les longues cavalcades après minuit pour aller fouiller les placards à l'abri des regards - mettait franchement son cœur en fête, et faisait briller ses yeux comme un jour de Noël.
Elle en oublia même de remercier Allisson, alors que le bout de chocolat, pourtant d'une taille déjà conséquente, était à moitié fini et remplissait son estomac vide et taraudée par la faim. Elle n'avait pas peur d'avaler l'ensemble de la tablette, même si il y avait de fortes chances pour que ça la rende malade. Mais Allisson attendait son dû, et elle allait l'avoir. Rien de dangereux dans le fait de parler un peu de soi, surtout que Flavia, avec ce qu'elle se traînait en ego, aimait bien ça. Toute contente qu'on lui pose cette question, elle se releva dans une stature bien droite, le chocolat sur son visage et dans ses bras gâchant un peu de sa prestance.
"Mon nom à moi, c'est Flavia, annonça-elle, le nez en l'air. Et je suis pas une fée, enfin, pas exactement... je suis une humaine, à la base, et j'ai une famille très puissante, et on a un manoir prés de la Capitale !"
Parler au présent de cette famille était probablement en soi une erreur, puisque la fée vivait depuis bien longtemps à présent, et que le temps avait passé et fait son affaire, laissant peut-être un héritage et une génération bien vivante à l'heure actuelle, ou peut-être pas. Mais cela ne semblait pas marquer la créature, qui continua de parler en dévorant son chocolat.
"Et pourquoi je suis ici, là, maintenant, eh bien... je me suis fait capturer, on m'a emmené dans le marché, et j'ai dû me libérer et me retrouver dans votre botte pour ne pas me faire écraser. La routine, quoi."
La sucrerie la rendant d'humeur particulièrement joyeuse, un gloussement s'échappa de sa poitrine, aussi léger qu'un son de clochette.
"Ces marchands d'esclaves, ils sont toujours tout fiers de m'attraper, mais une fois qu'ils ont le dos tourné, ils oublient toujours de renforcer les serrures ou de fermer leurs portes... ils se disent que je suis trop petite, et que je vaux sûrement pas la peine qu'on prenne trop de précautions avec moi, comme avec les plus grands- et du coup, rien ne m'arrête, héhé ! ♪"
En prenant le deuxième morceau que Allisson lui tendit, Flavia se permit de jeter un énième coup d’œil à la fenêtre, où l'on pouvait toujours voir la même scène.La curiosité la gagna, surtout envers cette petite femme, qui l'avait fait frissonner il y a quelques minutes.
"Votre amie, du coup, je la connais, mais la fille en longue robe à côté, c'est qui ?"
Flavia se permit même une remarque de plus, se moquant d'avoir l'air insultante :
"Elle a l'air... bizarre."