« Ils ont payé la dette, oui, mais en prenant certaines garanties. Si je n’accomplis pas mes obligations, les créanciers de ton père reviendront nous prendre. »
C’était injuste, bien sûr, ignoble et cruel, mais c’était ainsi. Kanna avait du mal à l’accepter, réagissant comme une Occidentale, insistant sur la liberté. Junko l’écouta silencieusement, et, quand Kanna alla jusqu’à envisager de se suicider, plutôt que de vivre ainsi, sa mère réagit. Elle posa un doigt sur les lèvres de sa fille, la forçant à se taire, et fronça les sourcils, mécontente.
« Je t’interdis de redire un jour quelque chose comme ça, Kanna ! Tu me comprends ? JAMAIS ! Tu ne dois jamais songer à la mort, Kanna, JAMAIS ! »
Il était très rare que Junko hurle sur sa fille, tant elle l’aimait, et tant elle se sentait coupable pour ce qu’elle avait vécu, mais il y avait certaines limites qu’on ne pouvait pas dépasser. Maintenant son doigt sur ses lèvres, Junko reprit ensuite, son corps serré contre celui de sa fille. Il était important que Kanna comprenne bien la situation, et, surtout, que la fuite, en toute hypothèse, n’était pas la meilleure option possible. D’ailleurs, c’était même la pire. Au Japon, l’honneur comptait plus que tout, l’honneur, et le fait d’appartenir à une bonne famille. Junko avait grandi comme ça, contrairement à Kanna.
Elle enchaîna donc :
« C’est notre famille, Kanna. Ici, tu seras heureuse, tu vivras une vie épanouie, avec tes amis. Il faut juste que je me sacrifie pour ce rituel. C’est mon rôle de mère, Kanna, de me sacrifier pour toi. Une soirée à tenir, ce n’est pas si horrible. C’est comme ça, Kanna. Je t’interdis de vouloir fuir. Tu ne pourras rien faire seule, et moi, personne n’acceptera de m’embaucher. Une femme divorcée, avec une fille, qui fuit ses dettes... Ce serait une honte terrible, un poids que je me refuse à porter ! »
Junko secoua négativement la tête, comme pour rejeter encore plus les propositions de sa fille.
« Tu es encore trop jeune pour le comprendre, Kanna, mais... L’honneur est une valeur centrale, fondamentale, chez moi. Pourquoi fuir ? Pour aller où ? C’est ton père qui s’est endetté, mais j’étais sa femme, et tu es sa fille. Il n’en est pas digne, mais c’est sans importance, Kanna. Retiens bien cela : la famille sera toujours là pour te soutenir. Sans famille, tu n’es rien, Kanna. C’est la famille qui te soutient, qui t’éduque, qui te protège, et qui veille sur toi. »
C’était sa mère, c’était son rôle de l’éduquer. Tout en lui parlant, Junko caressait d’une main le visage de sa fille, et déposa un baiser sur son front.
« Je te promets que je te protègerai, Kanna. Ce qui s’est passé... Ce n’était pas contre toi, mais contre moi. Himeko... Elle voulait me montrer ce qui arriverait si j’échouais, et... Et je ne peux pas l’accepter ! Je réussirai ce rituel, je rachèterai les dettes de notre famille ! Ensuite, nous partirons si tu le souhaites... Mais nous ne partirons pas comme des lâches, Kanna, avec le poids de notre échec sur les épaules ! Ça... Ça, je ne le supporterai jamais ! »