Le Joker et les déments qui l’entouraient semblaient passionner son auditoire. Fort curieusement, elle n’eut aucune question sur la Fille du Joker, ainsi qu’on avait surnommé cette mendiante qui avait été arrêtée par les forces de police, avec le visage du Joker en guise de masque. Une vagabonde, au visage déformé, qui n’avait jamais pu supporter son reflet dans le miroir, et qui errait dans les grottes de Gotham quand elle avait récupéré le visage découpé du Joker, après que ce dernier ait tenté de massacrer Batman et toute la Bat-famille. En soi, ce n’était pas surprenant, car cette femme était bien plus récente qu’Harley Quinn, et beaucoup moins connue. Les médias japonais avaient donc dû moins en parler. Elle laissa fuser les questions sur Harley Quinn, mais, avant même qu’elle ne puisse y répondre, l’assemblée sembla s’animer, et le sujet dériva rapidement sur les justiciers, les super-héros. C’est ce qui conduisit une autre femme à parler, et à évoquer la Duchesse... Ainsi que la vague récente de meurtres, ce qui interpella Barbara.
*Comment est-ce que cette femme le sait ?*
La police avait démenti les rumeurs sur le retour de la Duchesse, et les informations précises sur ces meurtres étaient couverts par le secret de l’instruction. Barbara le savait grâce à ses contacts, et elle repensa fugacement à ce qu’elle avait subi entre les mains de la Duchesse... Le Joker l’avait torturé, humilié, brisé, son propre frère l’avait également capturé, battu, et torturé, et la Duchesse, quant à elle, l’avait kidnappé, violé, et torturé. Barbara se souvenait encore de cette scène, de la panique qu’elle avait ressenti, de ce profond sentiment d’impuissance. Yeux clos, elle se massa la tempe, jusqu’à ce que Shihiro-senseï parvienne à calmer l’assemblée, en demandant à Barbara d’exposer « brièvement » son avis sur la question.
Revenant à la réalité en rouvrant les yeux, elle demanda un verre d’eau, déplaçant son fauteuil, et but un peu d’eau, amenant ainsi l’assemblée à se calmer, certaines personnes continuant à murmurer entre elles. Elle but un gobelet, puis les regarda encore, déplaçant à nouveau son fauteuil. Elle rehaussa ses lunettes sur son nez, et finit par répondre :
« Commençons par le Docteur Quinzel... Ou par Harley Quinn, pour reprendre son alias. Pour commencer, le Docteur Quinzel n’a jamais été une psychiatre de renom, ni une élève particulièrement brillante. Ses notes étaient relativement faibles, et il est prouvé qu’elle les gonflait en couchant avec ses professeurs. Elle a certains talents en psychologie, je le reconnais, mais détrompez-vous... Elle n’avait pas la rigueur scientifique qui convient à cette profession. Je pense qu’elle a rejoint la psychiatrie afin de trouver un moyen de se guérir de ses traumatismes passés. »
Le passé d’Harley Quinn n’échappait nullement à Barbara, qui poursuivit donc, en revenant sur son enfance :
« Quinzel n’a jamais bénéficié de l’amour qu’elle cherchait. Elle a hérité de tout le côté sentimentaliste de sa mère, mais son père l’a toujours ignoré. C’était un cas social, un petit délinquant qui passait son temps en prison, et qui ne venait voir sa famille que pour avoir de quoi acheter de la drogue, ou éponger ses dettes interminables avec la Mafia. Harleen a grandi dans cet environnement, et a toujours été une femme passionnée, pleine d’amour, tout en faisant preuve, à son âge, d’une relative maturité. Elle a rejoint l’université de Géorgie, la Georgia State University, et s’est lancée dans une thèse ayant pour but de démontrer que l’amour était capable de tout. C’était une variante de l’expérience de Milgram. »
L’expérience de Milgram avait été initiée par un chercheur américain, Stanley Milgram, au début des années 1960’s. La publicité de cette expérience avait eu un grand impact, et s’était centrée autour de la volonté de voir comment une personne réagissait face à l’autorité. Relativement simple, sous la supervision de l’Université de Yale, l’expérience consistait à inviter des cobayes pour les soumettre à une expérience consistant à torturer une autre personne, en agissant sous les ordres d’une personne dépositaire de l’autorité. La torture consistait en des chocs électriques, le sujet ignorant que les chocs étaient fictifs, et pensant donc réellement faire souffrir quelqu’un. Lors des premières années de l’expérience, 62.5% des sujets d’expérience avaient mené l’expérience à terme. Le taux de personnes ayant résisté à l’expérience étaient de 10%, chiffre correspondant globalement à d’autres expériences menées, comme celles sur le lavage de cerveaux.
Barbara y pensait silencieusement, avant de reprendre :
« L’amour a toujours guidé les pas de Quinzel, manifestant sa profonde immaturité. À l’université, elle était amoureuse d’un étudiant, Guy, un scientifique prometteur, et, comme à chaque fois qu’Harleen était amoureuse de quelqu’un, elle s’impliquait énormément dans cet amour. Elle voulait se marier avec Guy, et a réalisé une expérience sur lui, consistant à voir s’il pourrait toujours l’aimer en apprenant qu’elle avait commis un crime, comme un meurtre. Elle a bénéficié de la couverture du Professeur Markus, parfait incompétent qui couchait avec ses élèves. Guy, lui, menait une thèse sur la théorie du chaos, intimement convaincu qu’il n’y avait aucune règle dans le monde, et que toutes les prévisions possibles finissaient irrémédiablement par s’écrouler, car la réalité comprenait tant de variables qu’il était impossible de pouvoir tout anticiper. »
Cette expérience avait été camouflée par le Docteur Markus, qui n’avait jamais reçu l’aval du conseil du GSU pour le faire. Barbara l’avait appris en menant des recherches sur le passé de l’Arlequin. Elle reprit donc, à nouveau :
« Elle a mené l’expérience sur Guy, et lui a donc fait croire qu’elle avait tué une professeur. Parallèlement, pendant ce temps, Le Joker avait réussi à s’évader d’Arkham. Guy a paniqué, et a vu que la professeur indiquée par sa fiancée était encore en vie. Il l’a abattu, puis s’est suicidé. Quand Harleen a vu ça, quelque chose s’est brisé en elle. Elle a fait une dépression, et a appris, au même moment, que le Joker venait d’être récupéré. Elle a compris que le monde n’était régi que par le chaos, et a reporté sa souffrance affective sur le Joker. Harley Quinn est une psychopathe, mais elle est avant tout une victime... Sa souffrance a été utilisée par un manipulateur pour faire d’elle son larbin. »
Barbare retint pour elle la suite, à savoir qu’Harley Quinn était à Seikusu. Barbara le savait, tout comme elle savait que cette dernière était près d’Ivy. Pour l’heure, Barbara n’était pas encore intervenue, car elle tenait à voir comment Harley allait maintenant se comporter. Il y avait certes ce braquage auquel elle avait participé qui amenait Barbara à hésiter un peu sur les réinsertions sociales de l’Arlequin. En fait, elle était en ce moment dans le doute en ce qui la concernait, hésitant à intervenir, craignant qu’une intervention n’amène Harley à sombrer à nouveau dans sa démence. Ivy, elle, était un cas particulier, car son état psychologique était énormément lié à l’environnement dans lequel elle se trouvait. Quand elle se trouvait dans une profonde jungle équatoriale, ou une île perdue, elle était la plus heureuse et la plus douce des femmes. À Gotham, la pollution ambiante influait sur elle, la rendant dangereuse, agressive, cruelle, et redoutable. Qu’elle soit au Japon, pays qui avait toujours eu un profond respect pour la Nature, était, en ce sens, une très bonne chose.
Abordant ensuite un autre sujet, à savoir celui des justiciers, elle reprit :
« La justice est rendue au nom du peuple. Mais que faire quand la justice n’assure plus cette protection ? Que faire quand la corruption permet à des criminels de rester impunis ? Que faire quand elle amène d’honnêtes policiers à vivre sous la menace des mafias ? Le crime, de plus, s’internationalise, et, là où nos forces de police peinent à suivre ce rythme, la loi et la souveraineté sont des carcans. Je pense aujourd’hui que la police n’est plus en capacité d’assurer efficacement la protection de la société, oui. J’aimerais sincèrement qu’elle le soit. J’ai été éduquée par un commissaire de police, et je savais que nous voyons désormais les justiciers comme des auxiliaires de police. Ils sont la réponse de la société civile face à l’inefficacité du système légal... Ils sont l’ultime frein avant le délitement de la société, de la justice, et le retour à la justice privée. Ils sont un mal nécessaire qui permet de redonner espoir et confiance aux personnes qui ne peuvent plus bénéficier de l’aide que l’État est censé leur fournir. »
Pour elle, c’était aussi simple que ça.