Tester sa machine oui, mais pas quand je suis dans le coin... [Aya Chitsuki]

"Tiens, il pleut. Ça faisait longtemps."

En effet, ça faisait longtemps. Longtemps qu’il n’avait pas vu de la pluie. Le jeune homme, assis sur un banc dans le parc de Seikusu, ferma les yeux. Il profitait de la sensation de la pluie tombant sur son visage. C’était agréable, d’autant plus qu’il n’avait pas eu l’occasion de faire ça depuis au moins un mois.

Il n’y avait personne dans le parc. La pluie venait de faire fuir tous les gens qui étaient là. Sauf lui, bien sûr. Il aimait la pluie. Il était probablement le seul, mais au moins ça lui permettait d’être au calme de temps en temps.

Sauf que cette fois-ci, le calme s’arrêta bien avant la pluie. Un vacarme étourdissant se fit entendre un peu plus loin, comme un bruit de pas lourds, si lourds que le sol en tremblait. Thibault sursauta et se leva d’un bond.

"C’est quoi ça… Qu’est-ce qui peut bien faire tout ce boucan ?!"

Sa curiosité prit rapidement le dessus : il voulait savoir. Il ne tarda d’ailleurs pas à voir le responsable du bruit. Il s’agissait d’une énorme créature se déplaçant lourdement sur quatre pattes. La bête se rapprocha de Thibault. Celui-ci, un peu inquiet, l’examina avec la plus grande attention. Elle semblait recouverte de métal, comme une gigantesque armure. Mais le plus étrange, et surtout le plus inquiétant, c’était cette personne qui était à l’intérieur de la chose !

"Nom d’un zéphyr, mais c’est quoi ça ?!"

Aya n'était pas peu fière d'elle. Depuis le temps qu'elle buchait sur ce projet (des mois en fait), la mécano avait enfin terminé son prototype de véhicule marcheur. Pour ceux qui se demandent où et comment Aya en est venue à vouloir concévoir une telle chose, la réponse est simple : la brunette a des dizaines de projets couchés sur papier, petits comme grands, et n'attend qu'une occasion pour les réaliser. En l'occurence, après avoir mit la main sur une vieille nacelle de catapulte de fête forraine (vous savez, la shpère qu'on propulse en l'air pour ensuite vous laisser tomber en chute libre) et réussi à négocier un lot de bras-robots dans une usine de montage (en gros, "je vous monte les nouveaux modèles et vous me refilez les anciens"), la mécano s'était attelée à la réalisation de son projet.

Maintenant, le grand moment des phases de test était arrivé. Aya monta dans le cockpit, actionna le démarreur, et écouta le ronronnement montant du moteur. La machine s'éveilla, se dressa sur ses pattes, et la brunette enclencha la marche avant.
Les premiers mètres furent très scabreux, faute à la synchronisation des jambes. Aya avait du donc s'arrêter pour retravailler le programme, puis relança une nouvelle fois la machine. Et cette fois, ça marchait à merveille. Rendue euphorique par ses résultats, Aya dépassa le périmètre qu'elle s'était délimitée pour ses tests, allant jusqu'à s'engager dans le parc de la ville. La brunette profitait que la pluie ai chassé les promeneurs pour s'en donner à coeur-joie, jusqu'à voir un jeune homme qui la regardait d'un air ébahi. Aya stoppa sa machine et sortit du cockpit.

" Hem.... Bonjour. Désolée du rafut, je testais une invention... Et sinon, ça va vous ? "

La bête était gigantesque. Thibault, entre inquiétude et fascination, restait bouche bée devant cette apparition surréaliste. Il peinait à croire ce que ses yeux lui montraient. Il se demandait…plein de choses, en fait. Il avait tout un tas de questions qui se bousculaient dans sa tête. Il ne s’était pas senti comme ça depuis si longtemps que la tête lui tournait un peu.

La tête de la chose s’ouvrit et la personne qui était à l’intérieur sortit. Le bruit s’était arrêté, tout était silencieux. La personne, une jeune femme, présenta des excuses au sujet d’une « invention ». Le jeune Esprit tenta de comprendre et fit assez vite le rapprochement, concluant que la bête n’en était pas une, ou du moins qu’elle n’était pas vivante.

"Euh… Oui, ça va. C’est vous qui avez créé cette chose ? Qu’est-ce que c’est ?"

Les questions commençaient, pour l’instant doucement, à franchir ses lèvres. Il savait que bientôt il ne pourrait plus les arrêter.

"C’est une bête mécanique, c’est ça ? Je n’en ai jamais vue de telle."

Thibault avait quelques notions de mécanique, de par ses errances, mais il était bien loin d’en comprendre toute la subtilité.

Oui, étant donné la machine que pilotait Aya, il était évident qu'elle aurait à subir un questionnaire en règle. Au moins elle n'était pas tombée sur un flic un peu zélé qui l'aurait collée en garde à vue pour le principe, juste un jeune homme brun à l'air un peu androgyne... Mais passons, la mécano n'allait pas se priver de satisfaire sa curiosité, elle qui aimait que les gens s'intéressent à ce qu'elle faisait.

" Oui, c'est bien moi qui ai créé cette machine. Je m'appelle Chitsuki Aya, mécanicienne, et ma seule et unique passion est la mécanique sous toutes ses formes. "

La brunette sortit de son robot. Mine de rien, la température dans le cockpit était assez élevée, Aya avait donc ouvert sa combinaison, et maintenant profitait de la pluie pour se rafraichir un peu, sans prendre garde à son débareur qui se mouillait.

" Cette "chose" est un robot de ma conception. J'invente et fabrique beaucoup de machines pendant mon temps libre, en voici un des résultats. C'est un prototype de robot marcheur, un genre de véhicule. J'en suis encore dans les phases de tests, j'essayais de voir si il pouvait se déplacer. Le fait que je sois arrivée jusqu'au parc prouve que oui, il fonctionne très bien !" "

Au moins, la jeune femme n’était pas trop réticente, pas du tout même, à discuter un peu avec un parfait inconnu. Thibault s’était souvent heurté à des réactions de ce genre, aussi il avait anticipé et était prêt à insister. Mais ce ne fut pas nécessaire. Elle se présenta même, et il fallut un petit temps à son interlocuteur pour comprendre que son prénom n’était pas Chitsuki mais bien Aya. Quand elle sortit, l’Esprit put constater qu’elle était vraiment très jeune. Plus que lui, ce qui faisait qu’en âge humain elle devait être adulte depuis peu de temps. Il n’avait pas encore tout à fait saisi le système enfant/adulte, mais son estimation était que si Aya tait adulte, elle ne l’était pas depuis longtemps.

L’explication sur le « robot marcheur » intéressa encore plus le jeune homme. Il savait qu’un prototype était une première version imparfaite, mais si celui-là était imparfait, alors la version finale serait certainement géniale !

"Eh bien… C’est vraiment impressionnant. J’aimerais beaucoup en apprendre plus sur cette machine, si vous voulez bien m’en parler."

Il se rendit alors compte qu’il avait oublié un petit détail.

"Oh, pardon ! Vous vous êtes présentée et je ne l’ai pas fait !"

Il s’inclina poliment, un peu honteux.

"Toutes mes excuses. Mon nom usuel est Thibault Melinka."

Thibault... Melinka ? Il faut un petit temps à Aya pour comprendre que Thibault est le prénom du jeune homme, et non son nom de famille. Ah, le choc des cultures occidentale et orientale... En tout cas, Thibault semble complétement enthousiaste à l'idée de la mécano lui faisant un topo complet sur sa machine. De son coté, Aya était complétement enthousiaste à l'idée de pouvoir partager sa passion avec quelqu'un. Enfin, elle n'était pas sure que ce soit la passion de la mécanique qui animait Thibault, plutôt une grande curiosité qu'il fallait satisfaire. La mécano allait s'en occuper.

" Sans me vanter je pense pouvoir dire que je suis la plus passionnée de mécanique de toute la ville. Tu ne trouveras pas mieux calée que moi.
Cette machine, c'est un de mes nombreux projets. L'idée était celle d'un véhicule pouvant se déplacer en terrain très accidenté, ce qui est actuellement impossible pour les véhicules 4 roues qu'on utilise. J'ai donc créé ce joujou.
Quatre pattes solides aux pieds griffus, de quoi traverser une montagne... Du moins sur le papier, là je n'en suis qu'à tester sa capacité à avancer. C'est que pour éviter de se casser la figure, le rythme des pattes doit être très précis, sinon c'est la gamelle assurée. "

Certains des mots employés par Aya étaient totalement inconnus à l’Esprit, mais à vrai dire il s’en moquait. Il pourrait très bien poser ses questions plus tard. Chaque chose en son temps, pour l’instant il écoutait et assimilait un maximum d’informations intéressantes, la flamme de la curiosité faisant briller ses yeux gris.

Une machine qui se déplace sur tous les terrains, qui peut traverser les montagnes… Il y avait là de quoi passionner n’importe quel curieux. Et de fait, ce curieux-là était pendu aux lèvres de la jeune fille, écoutant avec la plus grande attention le moindre de ses mots.

"Je vois… C’est vraiment impressionnant, vous êtes très douée ! Depuis combien de temps travaillez-vous dessus ? Vous avez l’air vraiment jeune pour une mécanicienne aussi douée, c’est assez inédit."

Il parvint de justesse à stopper le flot de ses paroles avant qu’elles n’occupent toute la discussion. Mais les questions lui brûlaient les lèvres, il mourait d’envie de toutes les poser d’un coup, et dans le même temps il savait que ça perdrait son interlocutrice.

Étant donné qu'Aya avait 8 ans la première fois qu'elle avait réparé quelque-chose, elle oubliait souvent que les gens pensaient instinctivement qu'elle s'etait passionée pour la mécanique que depuis quelques années, alors que ça remonte à son enfance. Enfin, d'une manière générale les gens n'imaginaient pas trop une femme se passioner pour la mécanique, alors une fillette...

" Héhé, je suis un peu spéciale aussi... Je n'avait même pas 10 ans la première fois que j'ai touché à une machine, et à 14 ans j'aidais mon père, qui était garagiste, à son atelier. Avec mon âge actuel, on peut dire que j'ai passé plus de la moitié de ma vie dans des machines en tout genre. "

Dit comme ça, ça sonnait un peu comme de l'esbroufe. Cela étant Aya avait remarqué que Thibault se montrait très curieux, mais aussi très émerveillé par ce qu'il entendait. Alors pourquoi ne pas l'émerveiller d'avantage ?

" Cette machine, je l'avais en projet depuis un long moment. Ce n'est que récemment que j'ai pu mettre la main sur les pièces qui me manquaient - une sphère pour le cockpit et des bras robot pour les pattes. Enfin, même avec ça il m'a fallu plusieurs mois pour parvenir à ce resultat. "

Même pas dix ans ? Elle avait passé la moitié de sa vie dans la mécanique ? Thibault était sidéré. Il n’avait jamais vu une personne aussi passionnée que cette Aya. C’était vraiment admirable, et de fait il admirait cette jeune fille.

Elle continua de parler, d’expliquer comment sa machine était faite. Thibault en profitait pour élargir son vocabulaire, ainsi il faisait d’une pierre deux coups. La seule pièce sphérique qu’il voyait était la « tête » de la machine, et devait donc correspondre à ce qu’Aya appelait le cockpit. Les pattes étaient des bras dits robots, ça il ne comprenait pas encore ce que ça voulait dire mais ça viendrait.

"Eh bien ! Et elle ne craint pas l’eau ? Avec toute cette pluie, ce serait dommage. Oh, et puis, comment est-ce que ça fonctionne exactement ? Est-ce qu’il y a un système de rouages, ou de la magie, ou…ou n’importe quoi d’autre, en fait je ne m’y connais pas assez."

L’espace d’un instant, il avait oublié que la magie n’était pas censée exister sur Terre. Quand il se rendit compte de ce qu’il venait de dire, il se mordit les lèvres, embêté d’en avoir trop dit.

Décidément Aya appréciait de plus en plus le jeune Thibault. Sa curiosité et sa bonne humeur étaient plaisantes à voir, et par conséquent sa compagnie l'était tout autant. De fait la mécano ne perçut pas le sérieux avec lequel le jeune homme avait abordé la question de la magie, croyant à une petite plaisanterie.

" Hihi, non, rien de magique, juste technique. Une batterie alimente le tout, puis c'est principalement des pistons qui font tout le boulot. Tout ça fonctionne à l'électricité, et c'est parfaitement imperméable, ça ne craint pas du tout la pluie ! "

Parlant de pluie... En sortant de sa machine Aya avait apprécié le contact de l'eau sur son corps rendu brulant par le dégagement de chaleur de son engin, mais maintenant elle commençait à avoir froid. Sans compter qu'elle n'avait qu'un court débardeur, et que l'humidité le faisait coller à sa peau, révélant un peu trop ses formes...

" Bon, par contre il va falloir que je rentre avant de finir intégralement trempée. Tu voudras venir ? Si cette machine te passionne tant j'ai plein d'appareils dans mon atelier si tu veux. "

Une « batterie », des « pistons » et de l’électricité… Là, il était perdu. Mais ça ne faisait rien. Il lui demanderait plus tard à quoi correspondaient les mots qu’il n’avait pas compris. Pour le moment, il l’écoutait et la regardait. La pluie faisait se coller les vêtements d’Aya à sa peau. Il fronça les sourcils. Elle devait mourir de froid comme ça… Et d’ailleurs elle fit la remarque, lui proposant de la suivre jusqu’à son atelier. Les yeux de Thibault s’illuminèrent.

"Je peux vraiment venir ? Merci beaucoup !"

Il s’inclina. Puis, se relevant rapidement, il détacha sa cape et la posa sur les épaules de la jeune fille.

"Tenez. Vous allez attraper la mort si vous restez comme ça."

Il se concentra pour que la cape soit bien chaude, suffisamment pour réchauffer Aya. C’était facile en soi, mais ça impliquait un risque de devenir lui-même un peu transparent…

Aya appréciat quand Thibault défit sa cape pour la mettre sur ses épaules. La cape était chaude, que c'était bon sur sa peau gelée par la pluie ! Par contre la mécano tiqua, le jeune homme semblait un peu... transparent ? Comme si on pouvait voir à travers... Aya secoua la tête, surement une impression due à la pluie. Encore que, comment la pluie pouvait ce genre d'illusions ?

" L'embarquement est immédiat, les passagers sont priés de monter à bord ! Par contre, à la base c'est un véhicule une place, on risque d'être un peu serrés, ça ira ? "

Aya monta dans le cockpit, attendit que Thibault s'installe à son tour, et enclencha le démarreur. Le ronronnement de la batterie se fit entendre, les pistons sifflèrent et s'activèrent. La machine se réveilla et se dressa sur ses pattes.

" C'est quand même autre-chose vu de l’intérieur, pas vrai ? Et maintenant... En avant toute ! "

Aya actionna la marche avant, et les pattes du robot s'animèrent. La machine s'élança sous la pluie, direction la maison.

Aya invita Thibault à monter avec elle dans le cockpit de la machine, précisant qu’ils y seraient un peu à l’étroit. Ce qui ne fut pas le cas, puisque l’Esprit modifia sa consistance pour qu’elle puisse passer au travers de lui sans souci. Et avec un peu de chance, elle ne s’en rendrait même pas compte.

L’engin, au démarrage, recommença à faire du bruit, ce même vacarme que Thibault avait entendu plus tôt, mais en beaucoup plus fort. Une légère grimace se dessina sur ses lèvres. Malheureusement pour lui, ses oreilles fonctionnaient aussi bien que celles d’un humain…

Il profita de ce qu’il était à l’intérieur pour regarder comment la machine était dirigée. Et quand il eut sa réponse, c’est-à-dire après trois petites minutes, il voulut regarder autre chose. C’est le moment de préciser qu’il avait totalement oublié le problème de la magie « inexistante ».

"Je me demande comment c’est à l’intérieur… Je reviens."

Prenant tout de même soin de laisser sa cape sur les épaules de la mécanicienne, il se dématérialisa complètement et alla explorer les parties de la machine qui lui étaient inaccessibles sous forme humaine.

Aya pilotait sa machine, trop concentrée sur la manipulation des commandes pour remarquer ce que Thibault faisait. Ce n'est que quand il parla d'aller voir le fonctionnement interne qu'elle se retourna.

" Haha, pour ça il faudra attendre d'être... "

Thibault n'était nul part. Pas de traces, il avait tout bonnement disparu. Etait-il descendu ? Non, impossible. Aya s'était certes concentrée sur le pilotage, mais elle aurait entendu le sas s'ouvrir, sentit le vent et la pluie rentrer dans le cockpit. Alors qu'est-ce qui avait bien pu se passer ?

" Thibault ?? "

Sa voix tremblait un peu. Ben voyons. Un garçon qui il y a 30 secondes était bien physique, venait de se volatiliser dans son dos, dans un espace fermé encore plus petit qu'un toilette. Hercule Poirot, Sherlock Holmes, venez, il y a urgence !
Ou alors Aya venait de récupérer un fantôme, auquel cas elle devrait plutôt appeler un exorciste...

Passionnant. C’était le premier mot qui venait à l’esprit du jeune homme. Ce qu’il voyait dans la machine était passionnant. Et très instructif. Il mémorisait méthodiquement tout ce qu’il ne comprenait pas pour plus tard.

Il revint finalement dans le cockpit…et se rendit compte de son erreur.

"Ah zut, j’avais oublié… Qu’est-ce que je vais lui dire ?"

Il arriva à la conclusion que la sincérité valait mieux qu’un mensonge éhonté, aussi il se rematérialisa à côté d’elle, avec une expression gênée sur le visage.

"Désolé, je… J’aurais dû vous prévenir…"

Il se sentait vraiment bête. Il s’était trahi lui-même. Encore une fois, sa curiosité l’avait mis en position délicate.