« Et c'est ainsi qu'ils vécurent heureux, et eurent beaucoup d'enfants. La fin.
- Eeeeh ? Quoi, déjà ?!
- J'ai écouté une histoire de fille et tout ça pour qu'ils finissent comme ça ? Tu nous aurais montrer Papa et Maman, c'était pareil, hein ! »
La maid ignora les protestations des deux petits bambins sur ces genoux – à cette heure-ci, la potion n'ayant pas fini de faire son effet, elle avait encore des genoux. Elle se contenta de leur ébouriffer la tête du bout des doigts, et de les chatouiller au passage, ce qui les fit rire et vite oublier la déception qui avait suivi la fin de l'histoire de ce conte nexusien qu'elle avait achevé de leur lire. L'horloge de grand-mère sonna comme dans une parfaite synchronisation ; neuf coups sombre s'échappant de son cœur de bois.
« C'est l'heure d'aller au dodo~
- Oh nooooon...
- Nan, Ermy, allez, y a pas école demain !
- Pas d'histoires... la dernière fois, nous nous sommes tous fait grondé, moi en première. »
La terranide s'était promise de ne pas céder, cette fois-ci. Mais les bouilles des deux enfants Carrisford, leur tête de chien battue, leur petits gémissements et les larmes de crocodiles qui naissaient entre leurs cils... elle soupira. Il n'y avait rien à faire.
« … Bon, je suppose qu'on peut tous boire un petit verre de lait avant de fermer nos yeux... mais vous me promettez de dormir, après ?
- On essaiera, répondirent les enfants d'une même voix.
- … C'est déjà ça... »
La porte du salon fut fermée, et la nourrice descendit les marches en direction de la cuisine, où elle saisit le pot de lait et trois verres en cristal. Elle ressortit de la pièce avec un plateau entre les mains et un chandelier de l'autre, mais dés que la lumière toucha la tapisserie précieuse, les yeux de la servante notèrent un élément nouveau.
Toutes les lampes s'éteignirent, la sienne comptée, et elle n'eut même pas le temps de réfléchir à une théorie concrète, que quelqu'un la saisissait par derrière, lui plaquant une lame froide contre la peau blanche de son cou. Sous l'effet de surprise, le plateau tomba, répandant son contenu sur le sol. Lorsqu'elle sentit le souffle chaud dans son oreille et les paroles qu'il portait, Ermengarde hoqueta de peur, n'essayant même pas de bouger.
Puis, il lui fit part d'une question qui la fit réfléchir, jusqu'à ce qu'un souvenir récent revienne dans sa mémoire.
Le noble l'avait accosté en pleine matinée, un jour où elle avait été chargée de ramener les enfants de l'école. Son discours ne l'avait pas séduite ; elle avait pensé en priorité aux enfants qui étaient présents, voulant les conserver de ces pratiques malsaines qui consistaient à épouser n'importe quelle servante du moment qu'elle était jeune et belle. Elle ne voulait pas qu'ils prennent modèle sur cet homme, dont elle ne voulait de toutes façons pas lui donner sa main. Entamer une première rencontre avec si peu de pudeur, ça n'avait rien de séduisant. Et de toutes façons, sa nature ne lui permettait pas de laisser penser qu'elle serait la femme parfaite.
Elle avait donc continué son chemin... en ignorant une chose : les mains chapardeuses des enfants Carrisford, qui en avaient profité pour voler en douce le contenu des bourses du noble. Des rubis, des diamants, qu'ils prenaient plus pour des jouets qu'autre chose.
La brune agrippa les mains de l'intrus avec douceur, pour lui indiquer de la laisser parler. Elle tourna ensuite légèrement la tête, essayant de retenir ses hoquets, qui indiquaient son inconfort et sa terreur. Il pouvait très bien ne pas la croire et lui trancher la gorge tout de suite aprés, mais mieux valait oublier cette option pour le moment.
« Messire, je vous certifie que je n'ai aucune responsabilité dans cette histoire, commença la maid d'une voix tremblante. J'ai effectivement refusé les avances de Sire Guironne parce que j'estimais n'avoir pas assez de valeur pour accepter ses faveurs, mais c'est la seule part de vérité dans ce qu'il vous a dit. Notre conversation a coupé court l'instant d'après mon refus. »
Elle hésita un petit moment, avant d'ajouter :
« Vous pouvez demander aux enfants ; ils étaient là, ils peuvent en témoigner. Si vous me promettez de ne leur faire aucun mal, ils peuvent vous livrer un témoignage oral dés à présent. Si vous vous en allez juste après, je vous garantis que votre histoire sera occultée et qu'il n'y aura aucune poursuite. Je n'appellerais même pas les gardes. »
Cet homme était visiblement dans l'erreur, et ce malentendu ne méritait pas d'en faire toute une histoire. Elle espérait juste que le noble n'irait pas contredire sa version une fois de plus et causer des soucis à la famille Carrisford, ce serait regrettable.
Il n'y avait aucune lumière, mais Ermengarde connaissait le chemin jusqu'au salon par cœur. L'inconnu, lui, par contre, n'en avait ben sûr aucune idée. Elle lui prit donc la main pour le guider, sans se rendre compte qu'une personne extérieure pourrait prendre la situation à l'envers et imaginer des choses.
Ermengarde ouvrit la porte, et entra de nouveau dans la pièce bien éclairée et chauffée par la cheminée. Elle se retourna pour voir les enfants, mais un nouveau hoquet d'horreur la prit à la gorge.
Les bambins avaient éparpillés leurs jouets un peu partout sur le tapis. Des poupées en bois, des soldats de plomb. Mais également des rubis, des saphirs, des diamants, qui brillaient à la lumière des flammes.
« Q- Francine ? Elis ? D'où est-ce que vous sortez ces... »
Sans tenir compte de l'intrus, elle courut vers le tapis et s'agenouilla pour ramasser un rubis, scintillant, lumineux. Les enfants, eux, s'étaient écartés, visiblement mal à l'aise.
« ...Où est-ce que vous avez trouvé ça ?.. »