Comme elle l’escomptait, le démon la suivit, restant à bonne distance. Mélinda aurait pu lui dire de lui foutre la paix, mais, avant de le faire, elle comptait laisser un peu de temps s’écouler. Elle reprit sa marche, avançant dans une ruelle, ayant pour le coup éteint sa musique. Elle voulait être entièrement attentive à ce qui se passait. Sa petite proie était là, mais, malheureusement, des problèmes ne tardèrent pas à venir. Une bande se tenait dans une cour de basket, près d’une voiture dont de la musique s’échappait en sourdine. Ce n’était pas du rock, plutôt une espèce de rap infâme.
*Sur Ashnard, les rappeurs auraient tous été pendus pour hérésie, ou presque...*
La musique vantait les exploits des gangstas, vomissant la haine de la police, et l’amour de la drogue. Les gens fumaient, buvaient, et s’arrêtèrent en voyant Mélinda s’avancer vers eux. Il y eut des sifflements admiratifs et quelques rires.
« Visez-moi ça !
- Sa mère, l’morceau que c’est !
- Tu t’es perdue, poulette ? »
Mélinda dut respirer fort pour ne pas se retenir de les massacrer. Elle avait déjà sa proie, elle n’avait rien à faire de ces types. Cependant, elle était embarrassée. Si elle laissait parler ses pouvoirs, la proie saurait qu’elle n’était pas une simple humaine, et elle devrait sûrement se battre... Ce dont Mélinda n’avait pas vraiment envie. Du moins, pas avant de savoir si les pouvoirs de ce démon surclassaient les siens. La femme avait beau être une vampire pure souche, elle n’était pas une guerrière, et, si elle avait des réflexes hallucinants, un démon pouvait venir à bout de cette dernière.
« Je... Je recherche Kweni ! » lâcha-t-elle.
D’après ce qu’elle savait, grâce à ses esclaves, Kweni était un dealer local, qui avait pour clients des lycéens. Il leur donnait souvent rendez-vous dans les quartiers de la Toussaint, afin d’éviter de tomber sur la police, mais les lycéens s’y rendaient rarement seuls. La bande se mit à glousser, et tous se rapprochaient lentement, mais sûrement, de la vampire, qui avait ses sens en alerte.
« Qu’est-ce que tu peux en avoir à foutre, de ce gros pédé, ma chérie, hein ?!
- On est pas assez élégants pour toi ? »
Mélinda se mordilla les lèvres, et commença à battre en arrière, essayant de rester dans son rôle. Jouer la petite fille effrayée, quand on ne désirait qu’une chose, les égorger, c’était difficile !
« Écoutez, je... »
La situation commençait à se compliquer, et les hommes la suivaient... Lorsque le démon apparut devant elle, dans une posture protectrice, avant de lâcher :
« Reste derrière moi, si tu veux pas te retrouver blessée par ces types. »
Fronçant les sourcils, elle le vit alors s’entailler le poignet avec un couteau, faisant couler son sang, et sentit immédiatement une vibration lui traverser le corps. Du sang ! Elle secoua la tête, et resta prudemment en retrait, loin de son champ de vision, paniquée. Voir ce mets si précieux... C’était tellement bon qu’elle en sentit son estomac gargouiller. Son trouble se poursuivit alors qu’elle sentait le sang du démon exploser dans son corps. Elle avait compris qu’elle avait affaire à un démon utilisant la magie sanguine. Les plus terribles, pour un vampire. L’attachement si particulier des vampires au sang faisait que quelqu’un qui utilisait son sang comme arme déclenchait les passions des vampires, réveillant leur soif... Et Dieu sait que celle de Mélinda était grande !
Baissant la tête, elle essaya de se calmer, glissant ses mains dans son dos. Ses canines pointaient, ses griffes aiguisées se formaient. Elle avait du mal à se contrôler, mais les voyous ne notaient pas ça. Deux se rapprochaient du démon, et l’un le poussa en plaquant une main sur son torse :
« Tu te prends pour qui, toi, face de con ?!
- Je crois que la dame préfère être avec nous qu’avec une tête de gland comme toi. »
Cette phrase déclencha quelques rires de la part des autres bandits. Comme quoi, il suffisait de peu pour les amuser. Se sentant absente, Mélinda essayait de ne pas perdre son calme, de rester stoïque, même si c’était difficile.
« Allez, face de cul, tire-toi de là avant que je... »
L’homme, tout comme son acolyte, n’acheva pas sa phrase. Le sang du démon avait pris la forme d’une tranchante lame. Il était capable de durcir l’épaisseur de son sang, ce qui confirmait qu’il était un démon talentueux. Il excitait encore plus Mélinda, qui tremblait, comme si elle avait peur. Elle serra les poings, parvenant à rétracter ses griffes, tout en essayant de se calmer, de réfréner les battements furieux de son sang. Pendant ce temps, le démon s’attaquait à un troisième ennemi, continuant à faire couler le sang, mettant Mélinda au supplice. La situation se compliqua encore plus. Des couteaux jaillirent, et Mélinda se recula légèrement.
*Bordel, calme-toi, ma vieille !*
Le démon se laissa planter, montrant sa résistance, mais pouvant ainsi, grâce au sang coulé, augmente la taille de sa lame. Un style de combat assez masochiste.
« Son couteau... Putain, bordel, c’est du sang, son couteau !
- Faites saigner ce trou du cul ! S’il aime pisser du sang, on va lui faire plaisir, à cet enculé ! »
Il avait encore tué deux autres gangsters, et les autres avaient sorti leurs armes. Essentiellement des armes de poings. Mélinda reconnut des Glock, ce qui était sans doute le signe que ces types devaient avoir des contacts chez les flics, probablement des ripoux, des Beretta, et des Ingram. Un véritable attirail. Même pour un démon, s’exposer à une fusillade n’était pas très recommandée, à moins d’être un puissant démon. Utilisant son sang, le démon de sang créa un bouclier qui absorbait la plupart des coups.
« Crève, saloperie ! »
Les balles rebondissaient néanmoins sur la paroi. Les calibres n’étaient pas assez élevés, et l’homme, le démon, lança alors à l’attention de Mélinda, sans se donner la peine de la regarder :
« Comme tu peux le constater, ton frère me fait pas très peur, à l'heure actuelle. »
Elle eut un léger sourire. Son frère, Bran, était quelqu’un de très dangereux, mais elle ne le craignait pas non plus. En revanche, si elle lui ordonnait de tuer ce démon, elle était convaincue que Bran y arriverait. Quoique... Les pouvoirs du démon étaient impressionnants, mais, s’il n’était capable que de manipuler son sang, il suffisait juste de faire durer le combat, et de lui faire couler son sang jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus assez dans son corps pour irriguer les muscles.
Mélinda soupira lentement, et décida de retourner dans son rôle.
« Putain... gémit-elle faiblement. Au secours ! Au secours ! »
Elle se mit alors à détaler, poussant des cris hystériques.
« Un monstre ! Un monstre ! Au secours !! »
Pendant ce temps, l’un des voyous avait filé dans la voiture, et enclenchait le moteur. Faisant une marche arrière, il s’arrêta, passa en première, et démarra. Il donna un coup de volant, passa la seconde, et fonça tout droit vers le bouclier sanguin, bien décidé à aplatir leur enquiquineur comme une crêpe. Des démons auraient fait fuir n’importe quel voyou d’une autre ville, mais, à Seikusu, les criminels étaient habitués à tomber sur des gens paranormaux.
« Prends-toi ça, fils de pute ! »
L’homme klaxonna furieusement. De son côté, Mélinda s’était enfuie vers un bâtiment délabré et abandonné dans une ancienne rue. Elle entra dans une ancienne épicerie dont les fenêtres avaient, il y a des années, été clouées par des planches en bois, qu’on avait défoncé. La retrouver ne serait normalement pas difficile pour le démon, mais elle ne tenait pas à lui simplifier la tâche. Cet éloignement lui permettrait également de recouvrer ses esprits. Essayant de rester crédible dans son personnage, Mélinda courait de manière précipitée, haletante et tremblante.