Encore en proie à cette souffrance, devenue plus intense après avoir ravivé des souvenirs qui auraient du rester enfouis au plus profond de ma mémoire, mon corps entier se crispait pour lutter. Pour penser à autre chose. Pour m'éviter de pleurer. Surtout pas devant cette femme, dont je ne connaissais rien, ni même devant quiconque d'ailleurs. J'étais Wendy, bon sang ! Une vampire ! A la tête de l'un des plus grands réseaux criminels de cette ville ! Ma cruauté était réputée dans tous les quartiers douteux de Seikusu ! Alors pourquoi... pourquoi étais-je si sensible... si faible, si fragile, quand on parlait de mon passée ?... Ce n'était rien d'autre que des évènements passés, des faits que je devrais oublier, ne même plus avoir à y songer !
Les poings serrés jusqu'au sang, je fis demi-tour et tournai le dos à ma congénère. Je perdais le contrôle de mes émotions, et ne tenais pas à me donner en spectacle devant cette faux-cul de vampire. Je me refusais à pleurer, mais ce que je ressentais étais trop fort pour que mon corps obéisse à un tel ordre. Des larmes perlèrent sur ma joue, une première, que j'essuyais avec rage, suivi d'une deuxième, puis une troisième, auxquelles vinrent s'ajouter de nombreuses autres, formant un ruisseau qui coulait sur mes joues. Cela m'a prise soudainement, sans que je ne puisse rien y faire. Je pleurais. Wendy, la criminelle sanguinaire qui était parvenue à dompter les gangsters les plus cruels, pleurait. Comme une vulgaire gamine, à qui l'on avait brisé son jouet.
- Rhaaa putain !
Je laisser échapper un juron, avant de me parvenir à me ressaisir, essuyant mes larmes, furieuse. Cela n'avait duré que quelques secondes, empêchant à cette fouineuse moralisatrice de vouloir tenter de me réconforter, si elle en avait eu l'idée. Attirer sa pitié était bien la dernière chose que je voulais pour l'instant. J'avais une haine intense qui bouillonnait en moi, hargneuse, qui était prête à exploser à tout moment. Elle était en partie dirigée contre moi, contre ma faiblesse. Je me devais de tirer une croix sur mon passé, il me rendait beaucoup trop émotive. Et éprouver des émotions, c'était se montrer faible. Ce que je ne pouvais pas me permettre !
- Tu n’as donc pas conscience de ce qui nous sépare ?
Ses paroles me rappelèrent sa présence, que je n'étais en effet pas seule, et je me retournais alors, faisant face à celle qui venait de m'interpeller. Je l'observais longuement, étudiant la question. Où voulait-elle en venir ? Elle ne me laissa pas le temps d'y réfléchir davantage, et poursuivit.
- Dis-moi, crois-tu que j’aurais pris le risque de t’interrompre, en plein repas si j’avais pensé que tu étais totalement vampire ? Pour être franche, j’ai été attiré par ton odeur, tu sens un peu trop … l’humaine !!
Je sentirais l'humaine... ? Oh, elle faisait sans doute allusion à mon "métissage". Il est vrai que je n'étais pas vraiment humaine, ni vraiment vampire, et il semblerait qu'elle l'ai remarqué. Sans doute était-elle une pure vampire, elle ? Dans le fond, je m'en moquais bien. L'idée qu'elle ai la possibilité de me renseigner sur mon père ne m'avait pas encore effleurée... C'est alors que je me souvins plus clairement de chacun de ses mots. "Ce qui nous sépare". "Risque". "Un peu trop l'humaine". Des propos qui puaient la condescendance à plein nez. Elle se pensait plus forte que moi ? Valoir mieux que moi ? Elle était venue me déranger pendant mon repas parce qu'elle me pensait... faible ? Mon sang ne fit qu'un tour, et mon regard s'illumina, luisant d'une inquiétante lueur rouge. La haine qui couvait en moi était sur le point d'exploser. Cette pouffiasse pensait qu'elle m'était supérieure ? Mais pour qui elle se prenait !?
- Qu'est ce que ça peut te faire !? Sais-tu au moins à qui tu t'adresse, pétasse !? Non seulement tu te permet de critiquer ma manière de manger, mais en plus tu OSE me regarder de haut, sous prétexte que je ne suis pas vampire à part entière !? C'est un putain de vampire qui a violé ma mère ! Il l'a baisée sans remords et s'est tiré, la laissant seule avec "ce cadeau" ! J'ai jamais été le fruit d'un quelconque amour, je suis juste...
Plus je m'emportais, et plus l'émotion m'étreignait, si bien qu'au final ma voix se brisa, laissant ma phrase inachevée. Je m'effondrais par terre, à genoux sur le sol bitumeux, sanglotante, les larmes aux yeux. Je devais avoir l'air si pathétique ! La vie ne m'avait pas laissé le choix, j'ai été conçue sans le moindre amour, par un père salopard, et une mère que j'adorais, partie trop tôt... Bon sang, j'étais incapable de me contrôler, j'étais en train de chialer à chaude larme comme une gosse !
- W-Wendy ?
Une troisième voix s'éleva, étrangère à notre discussion mais qui me semblait familière. Je me retournais vivement, et remarqua qu'un intrus nous épiait dans la rue. Boris, l'un de mes hommes de main. Je le connaissais pour l'avoir déjà croisé plusieurs fois, mais je ne savais pas ce qu'il faisait exactement, ni ce qui l'amenait là, je savais juste qu'il travaillait pour moi, dans le secteur de la drogue. Mais ces considérations passèrent bien vite au second plan. Il m'avait vu pleurer. Moi, l'impitoyable Sinful Sea. Il m'avait vu alors que j'étais faible. Il était absolument hors de question que je lui laisse la vie sauve.
Je me relevais d'un bond, vive comme l'éclair, et me précipita sur lui, tout crocs dehors. La vampire allait-elle m'arrêter ? Peut-être, ou pas. J'en savais rien. Ce qui était sûr, c'était qu'il se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment. Et que toutes ces émotions m'avaient donner une furieuse envie de me défouler !