Alice aurait bien du se douter que voyager avec un dragon risquait de poser quelques difficultés administratives. Il était assez difficile pour elle de se mettre à la place des autres contrées, car, à Sylvandell, la présence de dragons était tout à fait normale. De plus, quand elle voyageait, c’était souvent à l’intérieur de l’Empire, et on ne l’avait jamais embêté avec des dragons. Pour elle, c’était presque comme si elle venait avec une espèce de gros chat affectueux. Glaedr était joueur, mais, s’il avait choisi Sakura comme dragonnière, c’était parce qu’il n’était pas dangereux, et que la douceur innée de sa femme lui avait convenu.
« Et puis... vous pensez sérieusement que si nous étions venus vous attaquer, nous aurions amenée une gamine de dix ans avec nous ? » lâcha Sakura, une remarque pleine de bon sens.
Ceci conduisit immédiatement Ayano à protester :
« Hééé !!! J'suis plus une gamine ! »
Alice ne dit rien, ne voulant pas embêter les deux sœurs entre elles. Elle ne l’avait clairement dit à Sakura, mais elle voyait un peu Ayano comme la petite sœur qu’elle n’avait jamais eu. Elle était du genre à mettre son nez partout, et ne retenait généralement pas ses mots. Elle était maligne, cassait parfois les pieds de son père, mais elle avait, comme Sakura, bon fond. Chaque fois qu’elles les voyaient, Alice ne pouvait s’empêcher de ressentir un élan de fierté et d’amour à l’idée d’avoir contribué à les sortir de l’esclavage, et à leur avoir offert une vie de rêve. Sakura l’ignorait sans doute, mais elle était très convoitée. Bien des nobles avaient voulu épouser la Princesse depuis son plus tendre âge, faisant des propositions d’alléchantes on ne peut plus alléchantes à l’inflexible Roi de Sylvandell, qui s’était, à chaque fois, contenté de dire que sa fille ne se marierait « jamais ». Jamais... Ou presque... Le mariage entre Alice et Sakura, très rapide, avait provoqué la stupeur au sein des Ashnardiens, qui y avaient vu là une espèce d’extravagance princière. Se marier avec une roturière ! Alice se moquait de ces rumeurs ; elles étaient la preuve que les Ashnardiens ne connaissaient rien aux coutumes sylvandines.
Entre-temps, la cheftaine Miyu avait envoyé la petite Terranide, Rin, avertir Kaguya. Alice savait qu’il s’agissait de la Princesse, et Miyu en avait profité pour cracher à Oberyn sa haine des hommes. Ce dernier resta inflexible, mis Alice savait ce que le Commandeur pensait ; elle le connaissait très bien. Un mélange d’amusement circonspect et d’irritation devant ce féminisme exacerbé. Lorsque Miyu vit un garçon s’approcher de Glaedr, elle en profita pour faire profiter le groupe d’une petite réflexion tekhane sur l’importance des hommes.
« Rassurez-vous, Madame, je ne suis pas venu jusqu’ici avec des intentions belliqueuses » l’assura Oberyn en ayant un très léger sourire.
La Princesse, de son côté, préférait ne rien dire, ne voulant pas compliquer la situation plus qu’elle ne l’était déjà. Elle pouvait comprendre les raisons ayant poussé à un tel contrôle de force, mais, en revanche, elle ne comprit pas trop pourquoi Miyu voulait les conduire au palais. Elles étaient juste venues faire du tourisme ! Alice se retint de soupirer, et, quand Miyu s’éloigna, elle se retourna vers Sakura et Ayano. La cheftaine leur avait dit que la Princesse aimait bien les jeunes enfants, et un tel aveu prêtait naturellement à confusion.
« Il vaudrait mieux que Glaedr reste près de nous » expliqua Alice.
Une demande pleine de bon sens, selon la Princesse, car elle se méfiait de ses hôtes, dont l’accueil était assez frileux. Alice en tête, le groupe se mit à avancer, Glaedr en arrière. Le dragon avançait sur ses quatre pattes, repliant parfois ses ailes. On s’écartait prudemment devant son passage, et les ailes, parfois, raclaient les murs. Miyu choisit de ne prendre que des rues assez larges, où il n’y avait aucun obstacle susceptible de déranger l’impressionnante créature. Alors qu’ils approchaient du palais, Miyu expliqua aux femmes que le Commandeur ferait l’objet d’une fouille complète dans un coin discret. Fronçant les sourcils, Alice attendit un peu, regardant Oberyn, puis dit :
« Je veux bien me plier à ce contrôle, mais il ne doit rien arriver de mal à Oberyn ! Je vous conseille vivement de ne pas le molester, et de faire preuve avec lui de respect ! »
C’était, à vrai dire, dans leur intérêt. Oberyn était un Commandeur. En temps normal, un Commandeur n’aurait jamais accepté qu’on touche à son équipement, et le regard d’Oberyn témoignait actuellement de cet état de choses. Les Commandeurs étaient ainsi, mais il se plia, car Alice le lui avait demandé. Néanmoins, si les gardes faisaient preuve d’un excès de zèle, elles risquaient de le regretter, et Alice tenait à éviter un incident diplomatique regrettable. C’était aussi pour ça qu’elle avait tenu à ce que Glaedr reste près d’elles. En cas de traquenard, situation toujours envisageable, le dragon doré offrirait une excellente protection.
Le groupe amputé provisoirement d’Oberyn entra donc dans une grande cour cerclée d’archers et de gardes. Il n’y avait que des femmes, ce qui était assez curieux pour Alice. En soi, elle ne devait pas être surprise, mais, malgré tout, c’était un spectacle pour le moins fascinant. Elle s’avança lentement vers Kaguya. La belle princesse était accompagnée d’une femme ayant de longs cheveux blancs, et se pencha vers elles en leur souhaitant la bienvenue à Edoras, et en les invitant à s’asseoir sur des coussins. Alice baissa respectueusement la tête.
« Je vous remercie de nous accueillir, Princesse Kaguya. »
Elle n’eut pas le temps d’en dire plus que le regard de la Princesse se porta sur Ayano. Semblant un peu moins intrépide, Ayano restait à moitié dissimulée derrière la Princesse et sa sœur. Alice regarda brièvement Sakura, puis Ayano, et hocha lentement latête, parlant à voix basse :
« Ne t’en fais pas, Glaedr veille sur nous... Et il ne vaut mieux pas éprouver leur susceptibilité. »
Hochant la tête, Ayano s’avança alors entre les deux groupes de femmes, rejoignant Hinata et Nora. La Princesse d’Edoras se révéla assez affectueuse, étonnant un peu la Princesse. Miyu ne lui avait au moins pas menti en disant qu’elle adorait les enfants... Tant qu’ils étaient de sexe féminin. Alice trouvait ce sexisme ridicule et dangereux. Difficile d’envisager de bonnes relations diplomatiques avec des États autres que ceux relevant de la sphère tekhane. Il était fascinant de voir à quel point ce sexisme était anachronique. Tekhos, Edoras, Caelestis, étaient tous des États avec une technologie de pointe, des États qui n’aimaient pas trop la magie, qui se fiaient avant tout à la raison et à la logique. Difficile de concevoir que de tels États puissent faire preuve d’un tel sentiment primaire à l’égard du sexe masculin. Aucune étude scientifique sérieuse n’avait jamais démontré en quoi un mâle était inférieur à une femelle. Les deux étaient plutôt complémentaires, et Tekhos, en oubliant cela, se heurtait à des problèmes eugéniques graves. Certes, les femmes pouvaient se féconder entre elles, mais ce n’était pas naturel, et ça n’était pas sans poser problème. L’infertilité était élevée, ainsi que les risques d’avoir des enfants attardés. Il ne fallait pas jouer avec la nature, et encore moins se prendre pour Dieu.
Ayano retourna près de sa sœur. La nervosité était palpable chez la Princesse, qui commençait à regretter ce simple voyage touristique. Oberyn n’était toujours pas revenu, et elle craignait que les femmes n’y aillent trop loin avec lui. De tous les Commandeurs, Oberyn était l’un des plus sociables, un séducteur qui n’était pas vraiment machiste, et qui savait se retenir, mais il ne fallait pas remettre son honneur en doute. Si les soldates remettaient en cause ses capacités, ses talents, Alice craignait le pire. Hinata souhaita la bienvenue aux femmes, mais en leur disant que, si elles voulaient rester au palais, elles devraient se séparer d’Oberyn. La Princesse se racla la gorge, et répondit posémnt, suite à l’invitation de la princesse de ne pas hésiter à lui poser n’importe quelle question :
« Pour commencer, Princesse d’Edoras, je vous remercie de votre hospitalité. Je conçois tout à fait vos inquiétudes à l’idée de voir un dragon débarquer chez vous, mais, chez moi, les dragons sont des êtres tout à fait normaux. »
C’était une manière de dire qu’elle ne venait pas avec de mauvaises intentions, mais qu’il était normal, pour elle, de venir avec un dragon à proximité.
« Glaedr s’est lié avec Sakura, ma femme, et ne fera aucun mal à vos habitants, sauf si ces derniers en viennent à le menacer. Pour éviter ce genre de désagréments, je pense que Glaedr restera la plupart du temps en l’air, ou hors de la ville. »
Ce serait mieux pour tout le monde, car les dragons, de manière générale, n’aimaient pas trop la ville. Trop d’humains, et pas assez de place. Glaedr ne verrait aucune objection à se reposer à proximité. Ce point éclairci, Alice enchaîna :
« Quant à votre hospitalité, bien que l’offre soit généreuse et m’honore, je suis au regret de la décliner. Je ne suis pas venue en mission diplomatique, mais simplement pour me détendre, avec ma femme, et sa famille. Oberyn, mon garde du corps, est un Commandeur, un prestigieux soldat de mon royaume, et je ne peux décemment pas m’en séparer trop longtemps. »
En somme, Alice resterait en ville, avec Oberyn.
« Néanmoins, ce serait pour moi avec plaisir que de pouvoir visiter votre palais. »
Il ne fallait pas froisser la susceptibilité des locaux. Tant qu’Alice pouvait aller se reposer dans une auberge, sous la surveillance du Commandeur, tout irait pour le mieux. Tywill était toujours très réticent à l’idée de laisser Alice sortir. Elle avait réussi à éviter de venir avec Hodor, car elle s’était dit que le demi-géant n’aurait jamais réussi à franchir les frontières tekhanes, mais, si Tywill apprenait qu’elle avait faussé compagnie à un Commandeur, elle ne pourrait plus jamais sortir faire de tels voyages.
« Je comprends votre inquiétude au sujet d’Oberyn, mais il est un Commandeur, quelqu’un qui a prêté serment devant les dragons, et qui est à mon service depuis ma plus tendre enfance. Je vous recommanderai en revanche d’éviter de le placer dans une situation humiliante ou dégradante ; un Commandeur est très attaché à son honneur. »
Alice se tut alors, n’ajoutant rien, se forçant à se taire, sachant qu’elle avait franchi les limites de ce que la diplomatie permettait... Mais, comme elle n’était justement pas là en tant que diplomate, elle pouvait plus librement s’exprimer.