Tant d’années passées à ne croire en rien, et pourtant aujourd’hui l’ancien humain avait la preuve d’une existence supérieure. Lui qui avait vécu sur terre dans l’insouciance la plus totale, alors que le monde s’élançait bien au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer. Lui qui avait grandi dans une famille chrétienne dure et très croyante, se retrouvait suppôt du diable, l’ironie était plaisante.
Peu de temps après sa conversion, il avait quitté son pays natal pour trouver refuge dans un autre plan, une autre dimension qu’il découvrait à présent. Le nom de ce lieu était Terra, sûrement un des endroits les plus étranges qu’il avait été donné de voir à Stephen, ce dernier ayant encore du mal à assimiler son ascension au rang de démon.
Partagé entre divers royaumes, tous plus invraisemblables les uns que les autres, il avait finalement trouvé refuge dans le royaume de Nexus. S’il était clair que le beau boxer ne s’était certes pas transformé en une créature ignoble, son statut de démon ne semblait pas passer inaperçu. Sur ce plan, les gens étaient bien plus au courant de toutes les atrocités, de toutes les abominations créées par le vice, et il semblait que l’aura seule de l’américain inspirait la panique.
Rejeté dans la ville, plusieurs mois durant, il avait fini par trouver refuge dans les bas-fonds de la ville. Une puanteur rance et un bruit de fond assourdissant, qui mêlait cris de foules et claquement de pas. La zone était mouvementée la journée, pleine de prostituées, de badauds, de marchands et de brigands. Seulement, la nuit emportait la majeure partie des gens recommandables vers leurs foyers, ne laissant que bandits et catins pour mener la valse.
Même si l’idée d’agir dans l’ombre, de vivre comme un monstre, ne dégoutait absolument pas notre homme, la saleté infâme des lieux, quant à elle, avait ce fameux effet répulsif. Il n’était pas né dans la crasse, et les dernières années de sa vie humaine avaient été vécues dans un luxe fastidieux qui commençait à lui manquer. Cette dernière année, le démon l’avait passée ici, dans les zones les plus pauvres de Terra, afin de se faire oublier sur sa planète natale, tant l’histoire avait fait de remous.
Mais l’attente devenait insupportable. Le détraqué sexuel qu’il était ne pouvait plus se permettre de lancer quelques pièces volées à des putes de bas étage pour quelques plaisirs honteux. Peut-être sa reconversion vers les voies obscures avait-elle exacerbé ses pulsions malsaines, peut-être pas, mais il lui fallait une proie. Oui, il lui fallait désormais posséder une femme, sans son accord, sans pitié.
Les instincts qui autrefois le hantaient, maintenant le torturaient. Il se sentait presque mal, comme si l’envi de violer sauvagement devenait un besoin. Ainsi achevait-il de passer la barrière. D’admettre que le monde simpliste auquel il s’était habitué n’était qu’une illusion, qu’il devait maintenant rejeter pour devenir un monstre sans âme.
Sans doute était-ce là le but de ces insinuations qui ravageaient le cerveau de l’ancien humain. Mais à vrai dire ce n’était pas nécessaire, ce genre de rite de passage qu’il subissait ne faisait pas d’effet. Il avait toujours été violent et sexuellement abusif, et devenir un puissant démon ne pouvait maintenant que servir un peu plus ce but malsain.
Assi dans cette auberge mal famée, sur une chaise en bois, les coudes contre une table branlante, il buvait. Un breuvage étrange au goût infect, mais auquel il avait fini par s’habituer. Ses cheveux rabattus sur le devant de son visage, cachant légèrement ses yeux, ses vêtements simples et sa posture courbée donnaient au colosse l’air d’un homme banal, ruminant ses pensées innocentes et sans intérêt.
Les deux mains imposantes de l’homme tenaient sa grande tasse en céramique beige, dans laquelle il buvait sans retenue cet alcool si particulier. Achevant son breuvage, Stephen reposa lourdement le verre sur la table, se relevant lentement pour épousseter son blouson de cuir marron. Le pantalon était de la même matière, ainsi que les bottes. Un style toutefois banal chez les mercenaires du coin, ce qui évitait à l’homme de sortir trop de l’ordinaire.
Sans dire un mot, il paya son dû au comptoir. Il ne lui fallut pas plus de dix secondes pour partir. Ses affaires étaient encore stockées au premier étage de ce trou à rat, mais il passerait, de toute façon, bientôt le portail pour retourner sur terre.
La nuit était en train de tomber, donnant au ciel cette teinte bleue foncée, mais pas encore obscure. Son regard se reporta alors sur une jeune femme qui passait par là. Et sa marche ralentit peu à peu… Le cœur du monstre se mit à palpiter terriblement, à battre avec une telle force que son sang lui semblait bouillonner. Un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres, tandis qu’il s’approchait de la jeune femme.
Les rues commençaient à se déserter lentement, et d’ici quinze minutes, l’impasse à coté de laquelle se trouvaient les deux personnes serait un lieu « sûr » pour ce qu’avait le violeur en tête. Par conséquent il lui faudrait retenir l’attention de sa victime assez longtemps pour lui permettre de mettre son plan en marche.
Son pas ralentissait à mesure qu’il pensait aux options qui s’offraient à lui. Sans doute pourrait-il trouver une excuse pour emmener directement la jeune femme dans cette fameuse ruelle ? D’une démarche devenue assurée, il s’approcha de l’heureuse élue, pour poser doucement sa main droite sur son épaule gauche.
« Ah… Bonjour madame ! Excusez moi je crois vous avoir reconnue, vous n’êtes pas du coin je me trompe ? » Dit-il, d’un grand sourire amical. « Faites attention, il y a un individu étrange qui vous suit depuis quelques temps, venez avec moi dans cette ruelle afin que nous lui faussions compagnie. » Murmura-t-il avec sérieux, ses sourcils se fronçant et son visage adoptant une expression grave, comme pour signifier à la jeune femme qu’il était absolument sérieux et que la situation était urgente.
Le cerveau de l’homme lui criait de la tirer de force, de la violer sur place. Mais il préférait la détruire en douceur, se faire d’abord passer pour un homme sympathique.
« Venez ! » Dit-il en affichant un grand sourire amical, tandis qu’il se demandait ce que penserait sa proie en voyant que son issue de secours était une longue impasse vide.