Tout le monde était, d’une manière ou d’une autre, drogué. En réalité, on aurait même pu dire que la drogue, au sens large du terme, était typiquement humaine. Au sens strict, on pouvait concevoir la drogue comme une sorte de stimulant, de produit, naturel ou synthétique, qui déclenchait une addiction chez une personne, la rendant accroc au dit produit, et altérant progressivement ses facultés mentales et physiques. Cela, White Rabbit l’admettait comme la drogue au sens dur. Mais, en élargissant un peu la notion, on se rendait compte que tout, potentiellement, pouvait être une drogue. Qui y avait-il, profondément, de différent entre le toxicomane réclamant sa dose et le fanatique religieux se scarifiant devant son rituel ? Entre le junkie qui se piquait et le fan hardcore qui ne vivait plus que pour être auprès de sa star, qui, au demeurant, se foutait probablement de lui comme d’une guigne ? La Lapine avait remarqué à quel point les hommes aimaient être addict’, comme si une addiction leur donnait une raison de vivre.
Fascinant, n’est-il pas ?
Depuis sa poutre, en mangeant une pomme d’amour, White Rabbit pensait à cela en voyant, en contrebas, une sorte de fou furieux démolir à coup de poings toute une installation de drogue. Elle le vit saisir une cuve, le broyant entre ses mains épaisses, et le balancer contre une grosse machine. C’était un laboratoire de drogue, ressemblant, à peu de choses près, à ces laboratoires servant à créer des drogues de synthèse, comme la méthamphétamine. Les trafiquants qui exploitaient ce laboratoire rajoutaient cependant, dans leur drogue, quelque chose de spécial, qui appartenait au gugus qui était en train de s’exciter comme un gorille furieux, au risque de déranger les voisins : le Venom. Ces types, toutefois, n’étaient que de simples revendeurs, appartenant à la Mafia russe. Ils n’avaient rien à fournir, et Bane n’avait rien à leur dire. Il voulait juste faire passer un message.
White Rabbit, en effet, connaissait cet individu, ce Bane. Quand White Rabbit était sortie de sa prison, elle avait voyagé dans les quatre coins du monde, et, quand elle en avait entendu parler de Batman, elle avait décidé de se rendre à Gotham City, où elle avait étudié un peu la ville. Elle y avait contacté Bane, et, malgré les réticences de l’homme à travailler avec une femme en tenue de bunny girl, elle avait pu le convaincre de participer à un jeu amusant. C’était White Rabbit qui avait aidé Bane à tenter de prendre sa revanche sur Batman, en organisant une émeute au sein d’Arkham. Bon nombre de détenus s’étaient évadés, et White Rabbit avait décidé de jouer avec Batman, jusqu’à l’amener sur une île. Pour elle, Batman était une sorte d’Alice, et elle, le Lapin blanc, guidant sa Alice dans une histoire dont on ne comprenait, ni les tenants, ni les aboutissants. Batman était tombé sur Bane, et, après un combat redoutable au bord de la falaise puis sur une plage, Batman avait triomphé de son ennemi.
Maintenant, bien des années après, White Rabbit retrouvait son premier allié, toujours aussi furieux. Cependant, elle se manifesta quand Bane balança une table, qui heurta sa poutre, la déstabilisant, amenant White Rabbit à lâcher sa confiserie... Qui alla tomber sur la tête de Bane, rebondissant dessus.
« Hey ! Sale brute ! » s’exclama-t-elle.
White Rabbit se redressa, et sauta en contrebas. Malgré la distance, qui était bien de six bons mètres, elle arriva sur le sol sans difficulté, en ployant les jambes. Elle connaissait les accès de rage de Bane. Le Venom était une drogue puissante, mais qui altérait les facultés mentales. Plus Bane en utilisait, et plus il pétait les plombs. Or, de base, l’homme était un véritable stratège militaire, car, pendant son enfance à Santa Prisca, il avait énormément étudié, et lu un grand nombre de livres, ce qui, à bien des égards, en faisait un homme très accompli.
« Il n’y a pas à dire, Bane, tu es aussi... Virulent... Que dans mes souvenirs. »
Bane n’était pas qu’un simple super-vilain, c’était aussi un meneur d’hommes. Et il avait un sens strict de la discipline. Quand il s’agissait de tuer des mercenaires indisciplinés, il le faisait à mains nues. White Rabbit l’avait vu fair,e fracassant le corps d’un homme, lui explosant les dents, broyant ses os, perforant ses muscles sous ses coups de poings et ses coups de pied. C’était une façon assez hideuse de mourir, en fait.
Restait une question à se poser : qu’est-ce que White Rabbit fichait ici ? Mais, avant de se la poser, elle lui posa une question, tout en marchant un peu, évidemment de manière sensuelle, et c’est ainsi que, dos face à lui, en bombant un peu ses fesses, elle lui posa, nonchalamment, cette question, en tournant la tête de côté :
« Est-ce que je t’ai manqué ? »