Vendredi
Los Angeles. Quelle ville incroyable. Je pense qu’elle porte très bien son nom. C’est le paradis, du moins, ça y ressemble après ce que j’ai vécu à Washington. J’ai eu envie de mettre plusieurs milliers de kilomètres entre moi et les putes de cette ville. Il le fallait. Il en allait de ma survie. Après une brève altercation sur les ports de Washington, j’ai fait une rencontre magique, mais je ne pouvais pas rester. Je n’allais pas faire de vieux os. La mort aux trousses, la vie en tête. Je ne veux pas crever bêtement parce que j’aurai mis les pieds au mauvais endroit. Ma rencontre avec Johnny a fini par se faire. Les putes me sont tombées dessus un soir et m’ont traînées auprès de leur mac. J’avais deux choix. Crever ou m’engager auprès de lui. Sauf que moi, je ne veux dépendre de personne, encore moins d’un type qui se prend plus de cinquante pour cent de marge sur les affaires de ses filles, sans parler de ses manières répugnantes. Après m’avoir prise de force, il m’a abandonnée dans une ruelle crasseuse et m’a prévenu. J’avais vingt-quatre heures pour revenir lui donner une réponse favorable. Alors j’ai pris mes clic, mes claques et sans un regard en arrière, suis partie sur les routes. Ce n’était pas la première fois et ce ne sera malheureusement peut-être pas la dernière.
Évidemment, on m’a déconseillé Los Angeles. Une vie de pute seule dans une ville comme celle-ci n’est pas enviable, mais je n’ai jamais vraiment écouté les conseils des autres. Sinon je serais devenue bonne sœur pour plus de tranquillité. Alors me voila. Mes quelques cinquante kilos tout mouillé, un simple sac à dos peu rempli et mon éternel sac à main que je porte en bandoulière par crainte des pickpocket. J’ai quelques économies, rien de suffisant pour payer un taxi, ce qui me reste de monnaie sur ce que j’ai du dépenser pour prendre l’avion. Classe économique, évidemment. J’ai dormi tout le vol, seul moment depuis des semaines où je me sentais en sécurité. En arrivant à LA, j’ai erré quelques heures dans l’aéroport avant de voler une carte de la ville dans un kiosque. Ce n’est pas difficile. Les aéroports sont bondés et les vendeurs font rarement attention à ce qui se trame lorsqu’il y a du peuple. Assise sur le trottoir, sous une chaleur harassante, le plan étalé sur les genoux, j’essaie de me repérer, sans savoir où je vais aller. Passer la nuit dans la rue ne me tente pas, pas après tout ce qui m’est arrivé dernièrement.
- Excusez-moi, est-ce que je peux vous emprunter votre journal ? Juste...pour les petites annonces. Je cherche un logement...ou un hôtel...pas...pas trop cher.
L’homme en costume me regarde de la tête aux pieds, puis me sourit pour me tendre la page des petites annonces. Il me dit, grand seigneur dans la voix «De le garder» «C’est avec plaisir.» Comme s’il venait de me donner un billet de mille dollars. Je le remercie quand même et pars avant qu’il ne commence à me faire des avances, comme j’ai souvent l’habitude. On a beau être une prostituée, on n’a pas toujours envie de se faire draguer lourdement. C’est sur un banc, non loin d’un arrêt de bus que je lis les annonces, sans trouver quoi que ce soit. C’est déprimant. Heureusement, la journée ne fait que commencer. Je monte dans le bus, lance quelques pièces pour le billet et me glisse sur les sièges à l’arrière. J’irai jusqu’au terminus, le temps de réfléchir à la suite. Cela ne me fait pas peur, j’ai l’habitude à force…
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C’est bêtement que je me suis donc retrouvée devant ce bar, avec une pancarte à la fenêtre du premier. «A louer». Ce n’est pas le quartier le plus chic, mais ça vaut largement ce que j’ai connu jusque là. Je décide d’entrer pour demander à combien se monte le loyer et si c’est toujours à louer. Je suis reçue par un type à la mine impressionnante de l’ex-taulard, mais qui n’a pas l’air bien méchant. Harassée par mon voyage en avion, celui en bus et ma petite marche jusqu’ici. J’ai déambulé plus que je ne me suis promenée, errant sans trop savoir ce que j’allais faire de mon sac et de mon corps. Il n’a pas fallut longtemps pour que je me retrouve à visiter l’appartement et accepte avec presque empressement de prendre les lieux. Le loyer n’est pas exorbitant et on est d’accord de me laisser payer dans le courant du mois le loyer en avance. C’est que je n’aurais pas pu sortir la somme d’un seul coup. Peut-être que j’ai fait bonne impression. Il faut dire que pour le voyage, je n’ai pas revêtue mes éternelles tenues de putes, mais un simple t-shirt blanc avec un short en jeans et des chaussures plates. Peut-être que ma tête de petite asiatique sérieuse à laisser entendre que j’étais une personne de confiance. Les apparences comptent, même dans un quartier comme celui-ci. Bémol ? «L’appartement est bruyant à cause du bar en-dessous. Je comprendrais que vous ne vouliez pas...» «Le bruit ne me dérange pas.» Je ne dis pas que je suis un oiseau de nuit et que je ne suis pas souvent à la maison. Je préfère taire mes activités et dire un pieu mensonge. Je suis étudiante, j’ai fui ma famille, père alcoolique, mère violente...frère et sœur...drogué...blablabla. Ce n’est pas cool, mais je préfère ça à «J’ai fui un mac et ses putes violentes. J’allais crever dans un caniveau alors j’ai préféré venir ici.» Non. Parfois, les pieux mensonges aident.
L’appartement est vide. Pas de lit, tout juste un matelas sale sur le sol. L’ancien locataire est parti plutôt rapidement, sans aucunes explications et il n’a pas laissé grand-chose, si ce n’est quelques fringues, des bouteilles de bière dans le frigo, des rideaux déchirés et ce vieux matelas troué. Ma première nuit se fera dans la simplicité morne d’un appartement vidé. Je suis de toute manière trop fatiguée pour chercher dans les annonces ou parcourir les rues. Je n’irai même pas bosser ce soir.
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C’est samedi et lorsque je me réveil, il fait déjà chaud malgré qu’il soit encore tôt. Le bar est fermé à cette heure et il n’y a pas de bruit dans l’immeuble. Je décide de m’habiller, enfilant une chemise à carreau laissée par l’ancien propriétaire et mon petit short de jeans. Tennis aux pieds, je prends quelques pièces que je fourre dans ma poche arrière et vais me promener. J’ai besoin de repérer un peu le quartier. Les cheveux attachés, j’erre, repérant les endroits qui pourraient s’avérer intéressant pour mon métier, repérant s’il y a des coins «à putes», lorsque je tombe sur une petite pépite. Là, sur le trottoir, abandonné comme s’il m’attendait, un lit. Il n’est pas en trop mauvais état. En métal, je le soulève et il ne pèse pas trop lourd. Il n’y a pas de sommier, mais je finirai bien par en trouver un. Les gens jettent facilement des choses mêmes quasiment neuves. Je n’attends pas longtemps avant de me décider à le saisir et traîner l’objet derrière moi, dans un boucan d’enfer. Heureusement que ce n’est pas très loin de l’appartement…
C’est en sueur cependant, que j’arrive finalement devant le bar, les pieds de métal ayant raclé le bitume jusque là. Je me rends compte que je ne vais pas parvenir à le monter seule sans risque de me faire trucider par les locataires. Idiote. J’aurais dû y penser en prenant ce truc avec moi...j’ai l’air fine comme ça. Devant le bar, assise au milieu du cadre de lit métallique comme un capitaine dans son navire. C’est en levant la tête que j’aperçois un visage à la fenêtre de l’appartement voisin du mien. D’un bond, je suis sur mes jambes, allant me planter sous la fenêtre.
- Bonjour ? Je m’excuse mais...seriez-vous d’accord de m’aider ? Je suis votre nouvelle voisine et...heum...j’ai été un peu trop ambitieuse je crois avec ce...lit.
Je pointe du doigt le monstre de métal, noir avec la peinture qui s’écaille par endroit pour dévoiler le métal de l’armature.
- Je n’ai pas grand-chose à offrir en échange, mais...il y a des bières fraîches dans mon frigo...sinon...heum...s’il-vous-plaît ?
Je lui offre mon plus beau sourire, la main au-dessus des yeux pour me protéger du Soleil. Je sais bien jouer les demoiselles en détresse quand j’en ai besoin.