Pour une fois, l’invocation ne me mène pas à la chambre d’un puceau. Le pseudo-invocateur en a pourtant tous les attributs, s’extasiant avec excès sur ma nature démoniaque. Blablabla, on a compris. Les réactions mitigées parmi les autres hommes de main offrent un panel représentatif des différentes personnes auxquelles je fais face. Je suis étonnée d’en voir autant demeurer sur leur garde. Ils se distinguent des autres, en chien et à la bave coulante au bord des lèvres. Les premiers m’intéressent et attisent ma curiosité. Je suis sûre qu’ils peuvent faire des mets appétissants, s’ils résistent un peu. Je lance un discret clin d'œil à l’un deux.
Leur chef s’approche. Il est de loin le plus appétissant du groupe. « Oui. » Je n’ai pas spécialement envie de m’attarder sur les détails de mon rendez-vous ni le dépit qui m’a poussé à le programmer. « Il existe d’autres endroits discrets moins lugubres. Vous avez besoin d’une liste pour vos prochaines tentatives ? » Je lui réponds sur ce même ton léger mais le regard de ses subordonnés finit par provoquer mon hilarité. « Vos hommes sont trop tendus. Je ne vais pas vous manger ni vous faire de mal. Je n’apprécie la violence qu’au lit. » Je ne suis pas une brute. Je n’utilise mes pouvoirs que pour me sortir de situation périlleuse ou ennuyeuse. Ils n’ont rien à craindre pour le moment.
« A quelques détails près, oui. Il m’arrive de me nourrir seulement de l’énergie de mes victimes. Surtout quand elles ont un délicieux goût… Je préfère faire durer le plaisir. » Puis lors des derniers ébats, c’est leur vie que je prends avant que l’ennui ne s’est totalement installé. Mon fonctionnement diffère de celui des autres succubes car j’ai un caractère prononcé. Le sexe ne suffit pas à me divertir. Il m’en faut plus comme des partenaires capable de résister à mes charmes et qui ne tombent pas à mes pieds, à en devenir de dociles chiens de compagnie. Une grimace se marque sur mon visage à la mention d’un contrat… Je dois être le seul démon qui n’aime pas s’engager dans une telle formalité.
Mais je me décide à lui laisser une chance. Ma faim parle à ma place. Elle me laisse plus ouverte à des possibilités que j’aurais rejeté en temps normal. Il faudra au minimum plusieurs jours avant de trouver d’autres potentielles victimes à la hauteur de ce que dégage leur chef… Mais sa proposition ne trouve guère d’écho. « Je possède déjà tout ça. » Mon activité de camgirl a vite rencontré du succès depuis mon arrivée sur Terre et j’ai pu m’établir une sacrée fortune de côté. Elle est inutile mais existante. Quant aux hommes, il me suffit d’un mot pour qu’une flopée tombe à mes pieds. Il est loin de comprendre ce que je désire.
Mais l’appétit me pousse à me diriger vers lui. C’est stupide mais quand aucun met appétissant ne s’est présenté à moi depuis plusieurs mois, le simple fait d’en avoir potentiellement un sous le nez me condamne à passer ma propre laisse autour du cou. « Je suis à la recherche de quelque chose de différent. Voyez-vous l’immortalité est synonyme d’ennui. Les hommes médiocres, ça finit par devenir répugnant. Je veux quelqu’un capable de me divertir et de me contenter dès que je le demande. » Un contrat apparaît dans ma main. Les conditions commencent à s’inscrire. « Pensez-vous que l’un de vos hommes ou vous-même puissiez être à la hauteur ? Je suis difficile à contenter. »
J’assure mes arrières en plaçant quelques conditions à mes services. « En échange, je m’engage à vous offrir mes services et obéir à vos ordres. Si vous ne remplissez plus les conditions, je récupérerais immédiatement ma liberté. Si je manque à mon devoir… Que désirez-vous ? Un contrat se doit toujours d’être équitable. » Je lui laisse tout le temps de la réflexion en lui tendant le papier et une plume. « Signez si vous vous sentez à la hauteur de combler mon appétit. Sinon, il serait peut-être temps de me laisser partir. »