Evidemment que les satanistes se terraient dans l’ombre, s’allumant comme aux bons vieux siècles médiévaux à la lueur de bougies cramoisies, revêtant des robes aussi sombres que leurs âmes. Enfin, c’est sûrement ce qu’ils devaient penser, jouant sur les plus gros clichés imaginés par l’être humain. En soi, pour une première impression, il s’agissait d’un rituel des plus banals comme la demoiselle pouvait se l’imaginer, à l’instar des bouquins et séries qu’elle avait vus. En revanche, pour prendre des photos, la faible luminosité et l’obscurité écrasante de la pièce, ne lui permettait pas de capturer l’essence de l’instant. Leurs visages étaient à peine visibles et seules leurs chandelles dansantes ressortaient de l’image. Si au moins un démon pouvait se dévoiler, là ça deviendrait croustillant. Pensait en son for intérieur Aeliana, non sans esquisser un petit sourire moqueur, incapable de croire en ses propres paroles. Une touche d'humour pour adoucir ses angoisses.
Le braillement d’un membre du culte attira son attention, entendant quelques bribes. Sacrifier un humain ? Sérieusement ? Un frémissement d’horreur réveilla de plus belle sa peau laiteuse. L’intonation ressemblait à de la démence, noyée dans une tentation de désespoir, qui fit régner un silence des plus perturbants. La tension était au paroxysme, la jeune détective retenait son souffle et la moindre déglutition se trouvait contenue aux portes de sa gorge, comme figée sur place, les mains moites. Le temps s’écoula à une lenteur insoutenable, sentant son cœur battre à tout rompre dans ses tempes. Il continua son discours aux propos incohérents. Sans prévenir, les flammes dévorèrent la pièce, Liana se reculant légèrement par réflexe en sentant l’effervescence du feu se rapprocher d’elle dangereusement, une odeur de brûlé embaumant ses narines. Cette histoire de rituel commençait à sentir le roussi… Sans mauvais jeu de mots. Lorsque le brasier mourra lentement, elle profita de l’instant pour se saisir de son téléphone et poursuivre les photos, tel un paparazzi à l’affut du prochain scoop qui vaudrait de l’or. Jusqu’à ce que certains mots atteignent ses oreilles, le malaise la saisissant encore une fois et profitant de l’instant pour faire demi-tour. Pas question de finir sur un autel en sacrifice pour un soi-disant démon.
Normalement, dans les films d’horreur, la dernière fille s’en sort toujours, pas vrai ? C’est dans cet optimisme, imposé par son instinct de survie, que le petit bout de femme, aussi courageuse soit-elle mais pas téméraire, remontait les escaliers le plus rapidement possible. Elle avait cru comprendre qu’ils étaient neuf… Combien étaient-ils dans cette pièce déjà ? Lentement, elle commençait à perdre les pédales et composait avec sa respiration de nouveau pour retrouver aussitôt de la clarté dans ses idées. Peut-être d’autres se situaient déjà dans le bâtiment. Quelle était la meilleure solution ? Elle pourrait retourner chez elle avec les clichés, ça suffirait pour un petit journal amateur, non ? Mais le pouvait-elle seulement ? Peut-être tomberait-elle nez à nez face à l’un de ces malades mentaux. Ou bien, elle pourrait se rapprocher de cette pièce vide pour prendre les dernières photos avant de prévenir les flics. Pas le temps de réfléchir et rester statique, elle s’empressa d’ouvrir une porte et de se glisser dans la minuscule pièce. Un placard où nichait la poussière acre et d’innombrables toiles d’araignées, mordant fortement la base de son index pour s’empêcher d’hurler d’effroi, laissant une empreinte de sa dentition. Elle qui détestait les endroits miteux, elle était servie.
Lia maintenait l’air de ses poumons bloqué, ses sens exacerbés et en alerte. Elle écoutait les grommellements des adeptes et le bruit de leurs pas qui s’éloignaient. Elle attendit d’être certaine qu’ils soient suffisamment loin pour empoigner la poignée et délicatement ouvrir l’entrée, se faufilant hors de sa cachette. L’avidité prenait le pas sur la raison et la jeune femme échafaudait un plan, qui lui paraissait prendre en considération à la fois ses ambitions et son envie de vivre. Elle rentrerait dans la pièce, prendrait les photos des cadavres d’animaux, des symboles et du mystérieux livre, avant de se planquer de nouveau et d’appeler la police. Elle les aurait bien laissés tranquille s’ils n’avaient pas prévu de meurtre. Simple et efficace comme idée, non ? C’est ainsi qu’Aeliana redescendit les marches qu’elle commençait à connaître par cœur, les foulant avec moins de prudence que la première fois, et de s’immiscer dans la pièce à l’odeur répugnante de sang et de cendres.
Eh merde…
Il restait quelqu’un à l’intérieur, le plus fou d’entre eux qui plus est. Elle n’allait tout de même pas faire marche arrière, elle ne pouvait peut-être pas gérer un troupeau mais un mouton perdu, oui. Juste après avoir pris une dernière preuve bien plus nette de l’endroit, la détective glissa ses lunettes sur le bout de son nez, enclenchant son pouvoir pour voir avec plus de discernement les liens qui l’avaient mené jusqu’ici. Le plus proche d’elle se situait tout de même à cinq mètres et par chance pour l’instant le leader du culte semblait plongé dans son livre. Elle saisit l’opportunité pour se rapprocher discrètement et attraper un de ces fils, se cachant derrière une étagère en piteux état, couverte d’une épaisse couche de poussière et de livres qui tombaient en ruines. Ne pas respirer, ne pas éternuer. Elle s’accroupit en laissant son dos glisser contre le mur froid et rugueux, s’affairant avec ce petit fil. De la rage qui grandissait au ventre, un sentiment d’injustice profonde qui nouait sa gorge et une frustration qui l’empêchait de respirer. Voilà ce qu’elle ressentait en entrant en contact avec ce lien. Mauvaise pioche pour la femme avide qui aurait préféré manipuler un évènement et non pas ses émotions. Tant pis, il fallait qu’elle l’apaise maintenant pour qu’il renonce à ce futile projet. Concentrée sur sa tâche, elle s’affairait à retisser les fils, les tressant et y insufflant ce qu’elle souhait qu’il ressente : de l’apaisement, comme une mère qui rassure son enfant, et de la reconnaissance en tant qu’être humain. Elle n’avait nullement le temps d’en rajouter plus, peut-être n’aurait-elle même pas le temps de finir. Mais il fallait essayer et submergée par les émotions qui se battaient en elle, elle se construisit sa propre petite bulle en se concentrant sur sa mission, occultant le danger qui l’entourait.