Épuisant ses dernières forces pour demander une énième impulsion à ses jambes de plomb, Andy s'arracha pour franchir les cinq mètres qui le séparaient de la troisième base du terrain, avant de trottiner pour s'arrêter quelques mètres plus loin, plié en deux, les tripes nouées.
« Trop lent, Andy. Recommence ! »
Andy secoue silencieusement la tête en signe de dénégation, s'efforçant de reprendre son souffle en avalant de grosses goulées d'air. C'était le treizième sprint d'affilé que lui imposait le coach et ses poumons étaient littéralement en feu. D'un pas mal assuré, il se dirigea vers le colosse qui le regardait d'un air faussement affecté. Le Coach Mike avait été joueur pro pendant plus de dix ans, et autant dire qu'il ne prenait pas l'entraînement de ses poulains à la légère.
« J'en peux plus Coach, un run de plus et je vomis mon déjeuner », souffla le blondinet, lorsqu'il arriva à sa hauteur.
« C'est un projet intéressant. Tu continues, tant que t'as pas gerbé gamin. Allez du nerf ! » Voyant que son poulain se dirigeait en chancelant vers la première base, l'athlète soupira, puis le rappela. « C'est bon Andy, on arrête là. T'es à deux dixièmes de ton meilleur temps. »
Cachant son sourire sous sa casquette, Andy rebroussa chemin. S'il était réellement sur les rotules, il avait quand même largement exagéré le chancellement de ses dernières foulées. Lorsqu'il releva les yeux, le coach l'observait d'un air mi-figue, mi-raisin ; il n'était pas dupe... Mais comme la plupart des joueurs de l'équipe le savaient, il avait bon cœur, malgré ses dehors d'ours mal léché.
« Écoute Andy... Tu joues mieux que ces dernières semaines et ta vitesse de pointe est redevenue excellente mais... Tu pourrais être bien meilleure aujourd'hui, si tu n'avais pas séché tous ces entraînements. »
Andy grimaça. Il était en faute et il le savait. Depuis qu'il avait découvert les plaisirs de la chair avec sa mère, il s'était littéralement vautré dans le stupre, sans en mesurer les conséquences. Il avait commencé par arriver en retard à l'entraînement, puis à contre-performer... Jusqu'à ne plus venir du tout, alors qu'en tant que première base, il était un élément indispensable à l'équipe. Sa mère, qui n'en savait rien, avait rencontré au supermarché l'un de ses coéquipiers, Jonas qui s'était enquis de la santé de son fils. En colère comme jamais, elle avait passé un mémorable savon au jeune homme et refusé qu'il la touche tant qu'il ne se serait pas repris en main. Andy était en effet un élève moyen – voire médiocre – et la draft était en réalité sa seule chance d'obtenir une bourse pour une université prestigieuse.
« Je sais bien Coach j'ai... J'ai merdé. J'avais des problèmes avec une fille... C'était compliqué... »
« Un grand joueur ne se laisse pas déconcentrer par une gonzesse. T'en verras d'autres, champion. Allez, tire-toi avant que l'envie me reprenne de te faire galoper ! »
Andy ne se fit pas prier pour s'éloigner d'un pas rapide – ce qui ne manqua pas d'agacer Mike, qui haussa les épaules – et rejoignit son vieux pote Mashall, qui l'applaudit avec une moue appréciatrice volontairement exagérée.
« Andy, t'es un monstre mon cochon ! J'ai jamais vu quelqu'un courir aussi vite ! »
« Ta gueule, Marsh', je fais de mon mieux », lui rétorqua le blondinet en souriant. Marshall, long et fin était un spécialiste du cent-mètre, déjà capable à dix-sept ans, de passer sous la barre des onze secondes. La vitesse de pointe d'Andy était l'équivalent pour lui d'un footing soutenu. « Qu'est-ce que tu fous là d'abord ? Tu devais pas sortir avec ta copine ? » Son ami secoua la tête, levant les yeux au ciel. « Nan, elle m'a planté. Une histoire de contrôle terminal à réviser... Quelle idée ! Enfin je venais surtout pour te rappeler que demain y'a le concert d'Ike St. Cloud et que t'es obligé de venir. »
Le blondinet épongea la sueur qui collait ses cheveux sur son front avec sa serviette, avec d'arquer un sourcil étonné. En vérité, le concert lui était complètement sorti de la tête. D'une part parce qu'Andy n'aimait pas particulièrement la musique pop - il était plutôt vieux jeu, d'autre part parce qu'il n'avait pas vraiment l'habitude de se rendre à ce type d’événement.
« Heu, ouais, ouais, je viendrai... » posant sa casquette sur son sac de sport, le jeune homme s'empara de sa bouteille d'eau pour boire à grosses gorgées, enfila un sweat à capuche zippé. « T'étais pas encore arrivé quand Ike était élève ici, mais tu sais, j'étais plutôt pote avec lui. On a même pris une cuite ensemble. "
« Ah ouais sérieux ? Putain énorme, tu pourrais pas me présenter ? Hannah est super fan de ce mec. Si je la fais rentrer en backstage, je suis sûr qu'elle acceptera de le faire par derrière ! »
Andy ne put s'empêcher de sourire.
« On s'est perdu de vue dès qu'il a quitté le lycée, je suis pas certain de pouvoir t'aider... Enfin on verra, peut-être qu'il me reconnaîtra. »
Après avoir quitté son ami, Andy traversa le terrain en sens inverse pour rejoindre les vestiaires. Pour ce faire, il lui fallait passer par le préau, dans lequel on avait installé une gigantesque estrade destinée à accueillir le jeune chanteur. La plupart du matériel – excepté les instruments – avait déjà été installé par les techniciens, et une quinzaine de rangées de chaises faisaient face à la scène. Le gymnase était désert et seules les ampoules des panneaux indiquant les sorties de secours étaient allumées, ce qui donnait une sorte de solennité incongrue aux lieux. Andy s'arrêta devant les marches de l'estrade, puis fit la moue, s'imaginant lui-même à la place d'Ike... Puis grimaça. Non vraiment, il ne se voyait pas faire un truc pareil... Rajustant la bretelle de son sac sur son épaule, il tourna les talons et s'apprêta à rejoindre le couloir, lorsqu'un pas léger sur sa droite attira son attention.