(1) Il chercha tout d'abord à repérer la quantité de serviteurs sur les lieux, et si l'un d'eux semblait jouer un rôle de contremaître et surveiller le personnel, mais aussi (2) s'il pouvait repérer sans mal la présence du propriétaire ou d'un gardien. (3) Venaient ensuite les accès : combien de chemins vers l'extérieur, et pouvait-il deviner si une cave avec portes extérieures était présente ; (4) combien d'étages aussi, et si une mezzanine ou un traversant permettait à des yeux indiscrets de surveiller la salle sans être vus. Enfin, (5) combien de clients, dans quel état, quelle menace potentielle, et quelle distraction ils pouvaient causer.
Avec un simple regard circulaire sur la salle, le marin put remarquer la présence d'au moins cinq serviteurs, ce nombre comprenant la serveuse fille de l'étranger encapuchonné venu la récupérer, mais de contremaître, il ne semble y avoir que l'aubergiste, et encore semble-t-il n'y prêter que quelques coups d’œils inattentifs. L'aubergiste semble vouloir rester derrière son bar, discutant et jouant aux dés avec quelques habitués. Il y a cependant un gardien qui semble être une robuste créature à l'entrée de l'établissement, servant sans doute de videur et probablement aussi de brute à tout faire.
Le gardien est une montagne de muscle qui a l'air de cogner aussi fort qu'il semble stupide, ses petits yeux profondément enfoncés sous arcades sourcilières respirent une satisfaction cruelle et servile, les gens l'évitent car il a la réputation de briser des mâchoire parfois trop facilement. Il porte à la ceinture de son pagne une grosse hache à double tranchants maniable à une seule main, le manche étant trop court pour être pratique à deux, mais ormis cela et ses bottes, il semble ne porter aucun autre vêtement, sauf si l'on compte le collier de dents autour de son cou.
Le videur se tient à côté de la porte principale, entrée par excellence du débit de boisson. Une porte se trouve derrière le bar, juste à la droite du patron de l'endroit et les serviteurs y plongent souvent craintivement pour en ressortir avec de nouvelles bouteilles, de nouveau tonnelets ou autres chopines auparavant vides et ressorties remplies. Une cave a vin est bien plus facile à alimenter au moyen d'une porte extérieur, mais rien ne permet de prouver l'existence d'un tel accès sans au préalable la chercher de l'extérieur ou de l'intérieur.
La salle principale dispose d'un escalier menant à une mezzanine qui laisse voir trois portes. Un observateur attentifs aura déjà remarqué que plusieurs fois des hommes se sont entretenus avec le patron et, qu'après avoir échangé quelques monnaies trébuchante, l'un ou l'autre des serviteurs a accompagné l'homme en question vers l'une des chambre pour y disparaître vingt bonnes minutes et redescendre en se rhabillant tous deux, le serviteur désigné ayant souvent le regard encore plus éteint qu'avant après un passage par les chambres en question. Mais ormis cet étage, aucun autre ne semble disponible depuis la salle principale.
Le nombre de clients est bien plus difficile à estimer, la salle est bien plus bondée qu'elle ne le devrait et le fait est que plusieurs des clients sont de petite taille et ne se voient guère au milieu de la foule. À vue de nez, la salle doit être prévue pour accueillir une quarantaine de personnes, mais le nombre actuel d'occupants doit être bien plus proche des soixante, peut-être même plus. Cependant, ormis une douzaine d'habitués, probablement des locaux à leur dégaine, le reste de la clientèle semble loin d'être fort avinée, ce qui vu la qualité des boissons servies se comprends aisément. Une bonne moité de la clientèle semble avoir à peine touché à sa commande malgré les heures que dure la pluie, l'ayant probablement prise parce que c'est le strict minimum pour être autorisé à entrer.
En-dehors des habitués, l’essentiel sont comme le marin, des voyageurs de passage surpris par la pluie, ayant cherché refuge au dernier moment dans le premier estaminet proche. Une grosse majorité sont armés, et sur cette majorité, un bon tiers a l'air passablement dangereux avec ses armes. Mais aucun ne semble disposé à rentrer dans le tas de son voisin à l'heure actuelle. Il règne un fond de frustration dans l'air d'être ainsi forcés à l'immobilisme, mais pour le moment la clientèle le prend plutôt sportivement, sans faire trop de vagues. Les plus aptes à apporter quelque distraction pour le moment dans l'auberge sont sans doute les natifs qui ont déjà bien entamé leurs chopines, pour les rares qui en sont encore à la première, mais il ne s'agit là que de pêcheurs et de dockers qui tous se tairons probablement au premier grondement du videur.
Mais il y a plus d'un moyen de soustraire quelqu'un à l'attention du reste de la clientèle, et cela le marin le sait bien.