Prologue
Un village dans les colonies d’Ashnard«
Fuyez ! Fuyez, pauvres fous ! -
Pitié, aidez-moi !! -
Aidez-moi ! »
Le village était en feu, chose d’autant plus invraisemblable qu’un hiver polaire s’était abattu sur ce dernier... Ce qui était encore plus invraisemblable, en sachant qu’on était sur la fin de l’été. Mais cette tempête n’était pas normale. Les chiens avaient été les premières à les sentir. Les bêtes étaient inhabituellement nerveuses cette nuit, mais rien, rien n’aurait pu les préparer à ça. Partout, c’était le chaos, la mort, des corps qui volaient dans les airs pour se fracasser sur le sol, des maisons qui s’enflammaient instantanément. Jonas Dorbruik n’avait tout simplement jamais vu ça. Il courait à toute allure, sans tenir compte des appels à l’aide. Ce soir-ci, il n’allait pas faire le mur, et, s’il avait été tenté d’aller voir comment Kate Mishang, la belle fille du meunier dont les gros seins le faisaient rêver, s’en sortait, voir les ailes du moulin tournoyer en flammes l’avait convaincu de fuir vers la forêt, de s’élancer vers les écuries.
De fait, Jonas n’avait jamais couru aussi vite de sa vie. Simple écuyer, il était un homme sans histoire, et clairement pas préparé pour ça. Il dévalait une ruelle, avançant vers une rue, et s’arrêta brusquement en voyant un groupe fuir. Il reconnut notamment Tom Brandebourg, solide maçon, qui avait réussi à retaper la porte principale du village ce printemps, après qu’elle se soit effondrée pendant l’hiver. Tom et sa glorieuse famille, comprenant cinq mouflards et sa femme. Ils se retournèrent brusquement en entendant un hurlement... Puis Jonas vit un vent glacial les frapper de plein fouet, les transformant instantanément en glaçons. Il s’arrêta sur place, se mettant à déglutir, et trébucha alors sur une flaque. Il tomba les fesses sur le sol, sans réaliser qu’il s’agissait de sa propre urine. Ses dents claquaient nerveusement entre elles, et il se retourna en entendant un grondement.
Du haut de cette ruelle descendante, une paire d’yeux rouges l’observaient, rouges comme le sang, une rangée de dents pointues apparaissant alors. Dieu seul sait ce qui a incité Jonas à filer sur la gauche, un ultime réflexe de survie. En tout cas, il fila dans une maison, dont la porte était entrouverte, et courut vers la fenêtre. Celle-ci donnait sur la grand-place du village, et son intention première était de filer par la fenêtre... Mais il s’arrêta en voyant les monceaux de cadavres au sol. Les gardes du village, principalement. Un lancier, notamment, se tenait encore debout, mais un vent de froid fusa vers lui, et le souleva, l’envoyant voltiger comme un mannequin de chiffon sur plusieurs mètres.
«
Bordel, bordel, bordel, bordel... !! »
Comme beaucoup de gens, Jonas avait toujours écouté d’une oreille distraite les sermons de Père Callahan. Il disposait bien d’une petite chapelle, mais l’Ordre Immaculé n’avait jamais vraiment été très influent ici, à Ashnard. Pourtant, il leur avait dit que ce jour arriverait, que le courroux du Ciel s’abattrait sur les incroyants. Des propos qui, chaque jour, amenaient le Père Callahan à s’exposer à des poursuites de la part du gouverneur, mais... En ce moment, Jonas ne pouvait que songer à ça. Étaient-ils en train de payer le fruit de leurs péchés ? D’un bout à l’autre de Terra, tous les paysans connaissaient cette menace, ce souffle froid et mortel, et tous l’associaient à une punition divine... Mais qu’avaient-ils bien pu faire de si horrible pour que la
Chasse Sauvage vienne s’abattre sur eux ?
Jonas, en tout cas, ne pouvait pas s’enfuir par la grand-place, mais il savait que cette maison disposait d’une cave. Il se retourna alors... Mais vit soudain le décor changer autour de lui. Une chaleur infernale se mit à grimper, et les rideaux s’enflammèrent brusquement, le bois venant également s’enflammer.
«
Oh non, non, non, non ! »
Il déglutit sur place, et se mit à courir, tandis que des craquements sinistres se faisaient entendre, depuis la charpente. L’escalier était là, juste dans la pièce attenante, et il s’y précipita, mais une poutre tomba alors du plafond, et il se mit à dégringoler le long des marches... Et, tout en tombant au sol, Jonas en vint à se demander si la cause du courroux divin n’était pas lié à cette jeune fille aux cheveux argentés qu’il avait recueillis il y a quelques jours, en allant abreuver à la rivière le cheval de son seigneur...
...Car, somme toute, il ne voyait aucune autre raison justifiant leur présence.
Velen
Province impériale ashnardienne limitrophe«
Faisons une halte ici, Geralt. »
C’était une petite colline, avec une vue dégagée. L’endroit idéal pour permettre aux chevaux de se reposer.
Vesemir s’y posa donc, et sauta à terre, avant de laisser son cheval brouter. Inutile de l’attacher à l’un des arbres surplombant cette colline, Cornouailles ne s’enfuirait pas. Après tout, Vesemir le chevauchait depuis maintenant une dizaine d’années, soit un laps de temps suffisamment long pour pouvoir lui faire confiance. Ouvrant l’une des sacoches du cheval, Vesemir en sortit une gourde, et en prit une bonne rasade, avant d’observer le panorama qui se dégageait depuis la colline.
«
Velen, donc... On ne m’en disait pas du bien, je constate que la région n’a pas changé depuis la dernière fois... »
Velen, une région sauvage, reculée, peuplée de petits villages moribonds, entourée par des forêts, des lacs sinistres et puants. Vesemir s’y était déjà rendu, il y a des années, pour mener à bien un contrat impliquant des invasions de kikimorrhes dans une carrière. Il avait déjà rencontré des régions dures et reculées, mais Velen tenait clairement la dragée haute. Seulement, la ville la plus proche de Velen était
Novigrad, une cité-État libre qui attirait les convoitises de son grand voisin du Nord, l’Empire d’Ashnard. Et Novigrad, par ses liens étroits avec Nexus, était devenu un enjeu majeur. Les Nexusiens ne comptaient pas laisser tomber si facilement leur allié, et toute une flotte nexusienne était venue, libérant des nuées de troupes. Velen était devenu le terrain de jeu idéal entre les Ashnardiens et les Nexusiens.
En clair, Velen, qui était déjà, il y a quelques années, une région délicate, et peu recommandée, était maintenant devenue une région où plus personne n’allait, si ce n’est les compagnies de soldats que les deux sorceleurs avaient croisé en chemin. Ils avaient vu énormément de réfugiés sur les routes, mais Velen comprenait beaucoup de petits villages avec des gens ne pouvant pas partir, car n’ayant nulle part où aller. L’Empire avait pris le contrôle de la plus grosse ville locale,
Perchefreux. Ce petit village bâti sur une colline, au milieu de la rivière de Velen, avait été la propriété du Comte Vserad depuis de nombreuses années, un bourgeois venant de Novigrad, et chargé d’aider le développement économique de la région. Autant dire que, quand les garnisons impériales avaient débarqué, Vserad avait laissé la gestion de la ville à son second, et avait fui quelque part sur Velen. Les Ashnardiens avaient pris la ville en une nuit, et avaient installé le drapeau impérial. Ils avaient ensuite marché à bride abattue vers Novigrad, mais, en chemin, s’étaient heurtés aux troupes nexusiennes.
La guerre de Novigrad avait ainsi commencé.
«
Tu es sûr qu’elle sera au rendez-vous, Geralt ? Non pas que je ne doute pas d’elle en particulier, mais je n’ai jamais eu une grande confiance chez les magiciennes... »
Elle... C’était la raison de leur présence ici, en vérité. Geralt était revenu il y a plusieurs semaines à Kaer Morhen, après un long périple qui l’avait emmené du côté du royaume de la Témérie, un allié ancestral de Nexus, où il s’était retrouvé garde du corps du Roi Foltest. Il recherchait quelqu’un, une jeune femme que les sorceleurs de la moribonde Kaer Morhen, dont Vesemir, ne connaissaient que trop bien... Quand ils avaient reçu un corbeau, un message parfumé de lilas et de groseille, si caractéristique... Et qui avait invité Geralt à venir ici, à Velen, et, plus précisément, de la retrouver à
Hautbreuil. C’était sa meilleure piste. Geralt était parti en Téméria, mais était revenu bredouille, et les investigations de Vesemir n’avaient pas abouti ici. Mais, dans ce courrier,
elle leur disait avoir une trace pour retrouver «
leur » fille.
Elle...
Yennefer de Vengerberg !