«
Tu n’as nullement à rougir de ta cicatrice, mon fils. -
Je sais, Père. »
Il avait beau le savoir, il était quand même toujours aussi frustrant de voir que, là où, jadis, les femmes se retournaient toujours vers lui avec le sourire, maintenant, leur sourire s’atténuait en voyant la cicatrice qui courait sur toute sa joue droite, pour filer partiellement sur son cou. Comme quoi, on avait beau avoir l’
Eisernes Kreuz placardée sur sa poitrine, les gens restaient encore astreints à de basses considérations physiques. Comment le leur reprocher ? Les docteurs et les chirurgiens avaient fait de leur mieux pour le soigner, mais il était trop risqué de lui faire des greffes de peau. Les brûlures avaient frôlé le nerf optique, et des greffes risquaient de lui faire perdre son œil droit. Alors, il aurait pu porter une prothèse, oui, quelque chose qui dissimulerait sa joue, ce qui se faisait beaucoup... Mais Père avait refusé.
C’est ainsi que
Friedrich von Kraspel, fils du
Commandant Ludwig von Kraspel, tourna sa tête vers la vitre de la voiture, observant les multiples maisons, filant le long, de l’un des boulevards menant à l’aéroport de Fahrenheitbourg. C’était un grand moment pour la Confédération, car un nouveau dirigeable était inauguré aujourd’hui, un dirigeable immense qui permettrait de relier la Confédération à son autre grand allié continental, le Bö-Tarium. Leur alliance s’était surtout structurée comme une alliance de fortune contre les forces grorikéennes, à savoir les Rougiens et le RREG. Cependant, Friedrich avait cru comprendre que les dirigeants de la Confédération essayaient de renforcer cette alliance, parce que le conflit contre le RREG s’enlisait, et qu’il fallait surtout éviter que le Bö-Tarium, par ses possessions situées chez le continent ennemi, ne finissent par les rejoindre, formant ainsi un énorme triumvirat qui se retournerait contre la Confédération.
La situation serait d’autant plus complexe que, pour l’heure, les forces alhesséennes utilisaient surtout les colonies tariennes situées dans la péninsule sud du Bö-Tarium, faisant de cette région l’un des endroits les plus dangereux au monde. Les Alhesséens avaient tenté à de multiples reprises d’attaquer par d’autres endroits, notamment grâce à leurs dirigeables, mais les forteresses ennemis, dressées le long de leurs côtés, avaient à chaque fois massacrer leur aviation, et leurs navires.
Ludwig von Kraspel était l’un des militaires les plus hauts placés au sein de la Confédération, quelqu’un qui, avec d’autres, réfléchissait à comment venir à bout des ennemis, et ainsi à répandre l’influence de la Confédération dans le monde entier.
Friedrich, lui, était donc le fils de ce riche homme, et sa mère,
Marla von Kraspel, provenait elle-même d’une riche famille, qui s’était spécialisée dans la manufacture et la fabrication d’armes. Ensemble, les Kraspel constituaient un couple particulièrement aisé, et c’était donc à ce titre que la famille avait été invitée à l’inauguration du T.A.I. VON FAHRENHEIT, l’une des nouvelles prouesses technologiques de la Confédération.
«
Sur le long terme, nous espérons déployer, parmi nos dirigeables, des Festung. »
La Confédération avait toujours une marine, une flotte maritime, mais, compte tenu de la distance séparant les deux continents, il avait été décidé de se lancer dans l’aviation.
Festung était un nom de code pour désigner la construction et la production de super-dirigeables, qui auraient pour fonction d’être insérés au cœur de formations de dirigeables, afin d’aller se battre contre les Rougiens et le REEG.
Koenisbourg était, pour l’heure, le nom attribué au premier
Festung à destination militaire.
Des projets comme ça, les scientifiques de la Confédération en avaient énormément. On parlait aussi d’installer sur la côte des canons géants, qui pourraient ainsi bombarder le continent adverse en lançant des obus à une vitesse telle qu’ils s’envoleraient dans la stratosphère pour redescendre ensuite. On parlait aussi d’inventer des fusées qui rempliraient cet office, ou de réutiliser la Marine pour construire d’immenses bateaux, et stocker dessus leurs gros canons. Avec un brin d’ironie, Mère disait souvent qu’il n’y avait rien de plus stimulant, pour l’imagination notrienne, que de massacrer son prochain.
Friedrich, lui, était un aviateur. Il avait subi sa balafre en tenant son avion. Il se battait dans le ciel, avec d’autres ennemis, quand un tir d’obus avait fait disparaître l’une des ailes de son avion, et transformé ce dernier en incendie. Il s’était extirpé de la carcasse de l’avion avec son parachute, mais avec le visage en feu. Ludwig avait usé de son influence pour dire que cet acte était un acte d’héroïsme, et ainsi à ce qu’il obtienne l’une des plus hautes distinctions de la Confédération, l’
Eisernes Kreuz. Cependant, et sans remettre en cause ses capacités, Friedrich n’était pas sûr de mériter un tel honneur. Certes, il se battait courageusement, et il était un aviateur plutôt talentueux, mais le fait est qu’il avait juste été abattu. S’il ne portait pas le nom de «
Kraspel », il était sûr qu’il n’aurait pas eu cette distinction.
Tout ceci ébranlait la fierté de Friedrich, qui voyait cet honneur comme une infamie, un lot de consolation.
Leur voiture arriva finalement près du dirigeable, et Friedrich enfila des lunettes noires, qui dissimulaient un peu ses cicatrices, puis sortit. Jadis, avant d’aller sur le front, il était un coureur de jupons, multipliant les conquêtes, avec un appétit immodéré pour les femmes, ce que Père avait toujours apprécié, y voyant là des preuves de vigueur et de puissance masculine. Maintenant ? Il voyait bien que ça effrayait les femmes.
Portant avec lui un uniforme militaire impeccablement nettoyé et repassé, il s’avança donc vers le dirigeable, prenant néanmoins, auparavant, une photographie officielle en compagnie de ses parents, puis fila ensuite à l’intérieur.
Il devait bien le reconnaître : ce truc était vraiment énorme, lui donnant le sentiment d’être un petit rat se faufilant par un trou dans un immense et gargantuesque manoir.
Rien ne semblait devoir arrêter le savoir-faire de la Confédération en la matière...