Dès qu'il passa la porte d'entrée du "vidéo-club", Hollywhore sut ce qu'il rejetait du plus profond de ses entrailles, ce qu'il convoitait de plus sombre mais n'osait se l'avouer. Un client des plus intéressants, en somme, une nourriture tout-à-fait valable. Ce qu'elle ne savait pas, en revanche, c'est s'il était là en connaissance de cause, cherchant un peu d'exotisme dans toute la débaucherie traditionelle (et beaucoup moins traditionelle) de Seikusu, ou s'il s'aventurait dans la boutique avec l'innocent désir de louer un film. Ou pas si innocent, vu leur large collection dédiée au X.
Mais au courant ou pas, le manager, Monsieur Sakurai, aura vite fait de lui expliquer quand il comprendra qu'il s'agit d'un client potentiel. De plus, c'était un long début d'après-midi, et la dernière fois que Hollywhore s'était faite défoncée remontait à... au moins un quart d'heure. De ce qu'elle se rappelait, il n'y avait pas de réservation pour cet horaire, et aucun client en attente. Le business venait de commencer, et malgré son succès, certains jours étaient encore lents.
Alors pas de raison que Monsieur Sakurai ne saisisse pas l'oppportunité de parler de leur service spécial à l'homme qu'Hollywhore avait sentit entrer, pendant qu'elle attendait dans la pièce d'arrière-boutique, comme à son habitude. Pratique qu'elle n'ait pas besoin de voir les clients pour deviner leurs désirs, ainsi elle pouvait toujours être prête lorsqu'ils arrivaient.
Aussi, rare étaient ceux qui refusaient. Honnêtement, pourquoi passer l'opportunité d'une vie entière de se défouler sur quelque chose qu'on détestait, tout en réalisant un fantasme plus ou moins enfoui ?
Hollywhore ne patienta pas plus, et ferma les yeux, s'imprégnant des passions cachées de sa cible. Elle sentait déjà tant d'effluves dont elle pourrait se nourrir avec délectation... Suivant le fil de ses pensées et de ses émotions les plus fortes, présentes et passées, elle arriva à la conclusion qui de l'apparence et la personnalité qui lui semblaient les meilleures pour le purger de ses passions destructrices. À ce moment, Hollywhore se laissa tomber au sol, disparaissant.
Et Marion se réveilla. Quand s'était-elle endormie, elle n'arriva pas à s'en souvenir. Sa mémoire était toute brouillée, confuse, comme plongée dans une fumée épaisse. Elle avait l'habitude de ce genre de sensation au sortir d'un trip, mais ici cela se trouvait être particulièrement accentué. Pourtant, ce n'était pas comme si elle avait pu mettre la main sur une dose avant de dormir. De quand datait-elle, sa dernière dose, justement ? Ça aussi, impossible de s'en rappeler.
Merde, elle détestait ça ! Ces moments où tout se délitait, mais au lieu de partir en douce euphorie, le monde entier sombrait dans des abysses de ténèbres.
Marion voulut se prendre la tête à deux mains, mais ses bras lui parurent lourds, si lourds qu'ils restaient cloués au sol. Tout était normal pourtant. Ses bras, fins, fragiles mêmes, prêts à se casser à la moindre brise, d'une peau étrange, blanche mais sombre, constamment portant les traces d'un été déjà loin, pendaient le long de son corps, de chaque côté. Le contact froid du sol n'était pas un stimulus assez fort pour la sortir de sa torpeur, malgré la désagréable sensation, mordante, qu'il infligeait à ses paumes ouvertes, douces étoiles hallucinées, certies d'ongles peint d'un noir d'abandon. Ils raclèrent vaguement contre le sol pendant un instant, mais ne se soulevèrent point. Elle était écrasée, impuissante, par son propre poids.
Vite, Harry. Il lui fallait Harry.
Pas tant pour ses maladroits murmures qui se voulaient protecteurs et réconfortants, pas tant pour la chaleur de son corps qui viendrait frotter contre le sien, glacé, non, pas tant pour ses baisers perdus sur ses membres disloqués par l'amour.
Pour une dose. La drogue. Il lui fallait sa dose.
Vite, Harry, vite.
Des heures qu'elle attendait. Où était-ce des mois, des années à patienter, cloitrée dans son appartement ?
Était-elle dans son appartement d'ailleurs ? Elle ne se rappelait pas d'un sol froid, de béton, le même qu'un entrepôt désafecté. Ni des murs gris, ternes, pathétiquement égayés par des affiches dont elle ne reconnaissait pas les films. Ni encore du canapé, éventré sur le côté, en partie similaire à celui sur lequel elle se reposait parfois, et pourtant si différent, étranger. Et jamais ils n'avaient pu se payer une télé aussi grande, si... futuristique, plate façon écran de cinéma.
Dans la pièce, deux portes. Elle savait que l'une menait à une salle de bain. L'autre... Par l'autre rentrerait Harry, avec la dose. N'est-ce pas Harry ?
Vite Harry vite vite.
Elle ne tenait plus.
Sa vision en était presque floue, le sang cognant contre ses tempes de manière irrégulière. Il lui fallait sa dose. Tout-de-suite.
Elle voulut hurler, elle gémit.
Marion avait froid, faim, envie. Ses jambes étaient toutes aussi nues que ses bras, repliées contre ce sol si agressif. Seule une culotte et un court haut protégeaient une nudité totale. Mais elle était certaine que son maquillage habituel était là, et l'habillait véritablement. Personne pour la voir, de toute façon. À part Harry.
Harry !
La porte s'ouvrit, et s'engouffra dans la pièce une autre source de lumière que le faible éclairage au néon du plafond.
"Harry ?"
Non, l'homme dans l'encadrement de la porte n'était pas Harry. Elle ne le connaissait pas.