Izuki palpitait d'excitation et d'appréhension à la fois. La jeune fille s'était préparée. Elle était fraîche, mignonne pour ses seize ans, avec son visage rond et ses grands yeux noirs un peu trop maquillés qui lui donnaient un air
kawaï. Elle avait lacé dans ses cheveux blonds, frange à l'avant, un large ruban bleu clair, et avait troqué son uniforme contre une robe noire, avec de discrètes dentelles azurées. La tenue n'était ni trop sage ni trop provocante. C'était parfait pour une première rencontre.
Et parfaite, elle se devait l'être, car ce soir était le grand soir. Un des garçons les plus populaires du lycée, Seigi, lui avait donné rendez-vous. Toutes ses amies étaient jalouses, surtout qu'aucune n'osait lui adresser la parole. Il était blagueur, sportif, cool – il fumait même avec sa bande devant le portail, avant les cours – bref, il les faisait toutes craquer. D'ailleurs, elle non-plus ne lui avait jamais vraiment parlé… et quand elle lui faisait des petits signes dans la cours du lycée, il semblait ne jamais y réagir. Elle comptait lui demander des explications à ce sujet, bien sûr. D'autant qu'elle était plutôt populaire elle aussi. Dans son groupe de filles, tout le monde la respectait. Elle estimait mériter un peu plus. Mais les SMS qu'ils échangeaient depuis deux semaines ne trompaient pas : il était fou amoureux d'elle.
Restait le lieu de rendez-vous « la salle d'anglais, après vingt-et-une heure », qui était un peu étrange. Ça non-plus, Izuki ne se l'expliquait pas. En même temps, elle n'avait pas beaucoup d'imagination. Elle avait juste dit à ses parents qu'elle passait la soirée chez une copine, pour se couvrir. Mais pour l'instant, la salle d'anglais était vide, et elle attendait, toute seule, comme une imbécile, assise sur un bureau.
Elle était en train de se demander si elle ne s'était pas faite avoir, quand elle entendit finalement des pas dans le couloir. Elle sentit alors son cœur s'accélérer. Elle se leva, travailla sur son sourire, rajusta son ruban… et se figea.
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Tu… vous… ce n'est pas Seigi… begaya-t-elle.
C'était en effet deux individus plutôt qu'un qui venaient d'entrer dans la salle, et aucun des deux n'était celui qu'elle attendait. L'un était un garçon de la même classe qu'elle, qui s'appelait Rei. L'autre était une fille plus âgée, qu'elle avait déjà vu mais qu'elle ne connaissait pas trop.
–
À l'évidence, lui répondit cette dernière, l'air amusé.
La mémoire lui fit défaut à ce moment là. Izuki devait se souvenir qu'après avoir dit cela, la jeune femme s'était approchée, et avait agité devant elle une grosse bague, forgée d'un scorpion, qu'elle portait au doigt. Elle avait vu une grande lumière, et puis plus rien.
* *
*
Izuki se réveilla… plus tard. Elle ne savait pas combien de temps avait passé. Il lui semblait qu'on était le matin, mais c'était par simple habitude. Elle n'avait mal nulle part, mais elle se sentait quelque-chose d'étrange avant même d'ouvrir les yeux. Quand elle le fit, elle réalisa qu'elle était dans une pièce plongée dans la semi-obscurité, seulement éclairée par la lumière orange et lanscinante de bougies disposées à même le sol, tout autour d'elle. Le plafond était bas, et dans un coin elle put voir un escalier qui montait. Ce devait être une cave. Dans le noir, il y avait des silhouettes dont elle ne distinguait pas les traits, la vision encore un peu brumeuse.
Elle ne commença à paniquer que lorsqu'elle identifia une pression sur ses chevilles et ses poignets : elle était attachée. Plus précisément, elle était attachée par de la paracorde, les bras et les jambes écartés, sur un plan incliné à 45°. Elle ne pouvait pas vraiment le voir, mais le dispositif était bricolé à partir d'un bureau, qui en constituait la pièce centrale. Par dessus, des pieds de chaises étaient cloués les uns aux autres et sur la surface du bois pour former un X. Bien qu'il semblait très artisanal, le dispositif était au moins inquiétant par les tâches sombres qui le maculaient comme elles maculaient le sol de béton gris tout autour.
Izuki voulut hurler, mais elle se rendit compte qu'une corde avait été également passée aussi tout autour de sa mâchoire, pressant sur ses lèvres, et lui empêchant d'émettre autre chose que des sons étouffés. Ses grands yeux effrayés cherchèrent alors une échappatoire. Ils n'en trouvèrent pas. À la place, ils se fixèrent sur les silhouettes devant elle.
Au nombre de six, elles étaient de tailles et de carrure différentes, mais toutes portaient des capuches – noires ou verdâtres, elle n'aurait su le dire. Elles étaient disposées en demi-cercle. Izuki crut reconnaître, au centre, la femme qui l'avait endormie. Face elle cette femme se trouvait un autre dispositif étrange : deux chaises portaient des grandes bougies, et au milieu, un autel avait été aménagé sur un bureau. Là, un livre à la couverture lourdes et aux pages de vélin reliées y était posé, fermé.
Enfin, devant le bureau-autel, environ un mètre de hauteur, un morceau de métal circulaire, en forme de parabole, avec des pieds… qui avait en vérité tout l'air d'un barbecue. Elle pouvait sentir une légère odeur de charbon brûlant, laissant supposer qu'il était allumé.
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Nous t'attendions, Haru. Tu es le dernier. Je ne pense pas que Nori viendra. Il faudra nous en occuper plus tard... , fit la cultiste, avant de désigner Izuki d'un mouvement de sa manche ample.
Elle est réveillée. Nous allons pouvoir commencer.Lorsqu'ils furent prêts, la spirit ouvrit le livre, et commença à réciter une prière avec assurance et magnétisme. Les autres écoutaient, silencieux, têtes baissés, cette voix, presque mélodique, qui se joignaient aux crépitements.
–
Seigneur du rêve, concède nous, nous t'en prions, la grâce de ta présence. Ô puissant spectre, seul vrai dieu, toi qui vis et régneras pour toujours, nous te supplions de te manifester. Entends l'appel, à travers la nuit et les ténèbres, de tes humbles et dignes serviteurs, de Tes Enfants. Par la force de ces paroles et par Ton Nom, nous te demandons de quitter la demeure de Ton Sommeil éternel !
Si on y regardait de plus près, elle ne paraissait pas vraiment en lire le contenu du grimoire, elle n'y posait jamais les yeux – peut-être le connaissait-elle par cœur, ou peut-être improvisait-elle. Elle reprit à voix plus basse, alors que deux cultistes quittèrent le rang pour s'avancer vers l'adolescente attachée. Chacun saisit une des bougies qui trônaient de chaque côté de l'autel.
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En ce jour de solstice, ô Chimère, enveloppe nous de Ton Ombre. Protège-nous du jour qui révèle nos secrets, du soleil qui nous brûle. Épargne nos chairs contre celles de cette innocente. Accepte le sacrifice que nous t'offrons.