«
Je maintiens que rencontrer cet homme n’est pas prudent, Maîtresse ! »
Chargée de la protection physique de Samara, entre autre chose,
Kazuha, une esclave que Samara avait acheté auprès d’une guilde d’esclaves de luxe, était une femme aussi obéissante que scrupuleuse, surtout quand il était question de la sécurité de sa Maîtresse. Cependant, l’Archimage pouvait parfois se montrer intraitable, et, tandis que le duo se tenait dans sa salle des trophées, Kazuha en avait profité pour réitérer ses doutes à l’idée de faire venir ici le Mage Noir, Azadrel, celui qu’on surnommait, même s’il n’y avait aucune preuve, le «
Boucher Immaculé », en référence à sa haine légendaire contre l’Ordre Immaculé, et aux innombrables légendes circulant sur lui. Ce qui était sûr, c’est que Nexus avait mis la tête à prix d’un certain mage noir, connu pour incendier des églises, et qui, d’après les rumeurs, aimait attaquer aux messes, en fermant l’église de l’extérieur, et en l’incendiant, se délectant des hurlements des individus à l’intérieur. Un individu d’une cruauté sans fin, à tel point que le Grand Conseil Œcuménique, aussi appelé «
Saint-Siège », avait édicté une bulle papale ordonnant à tous les alliés et à tous les sujets de l’Ordre l’élimination de l’homme, qui avait été excommunié, et était traqué par l’Inquisition. Nexus, elle, avait déployé les redoutables Paladins d’Haven pour le retrouver, et on disait que, traqué de toute part, l’homme avait fui vers Ashnard.
Officiellement, l’Empereur avait annoncé tout son soutien au Grand Confesseur, la puissante Holy, mais, dans les faits, Mordret, et, de manière générale, les Impériaux, détestaient que l’Ordre Immaculé leur donne des ordres. Ainsi, si, officiellement, les autorités traquaient Azadrel, en réalité, les Ashnardiens le voyaient plus comme un allié... Un allié instable et dangereux, mais quelqu’un qui, par ses méthodes, avait contribué à désorganiser Nexus, et donc à aider l’effort de guerre, et ce à tel point que les Nexusiens accusaient les Ashnardiens d’avoir soutenu la «
Croisade Noire d’Azadrel »... Croisade qui, outre des incendies multiples, avait aussi réservé son lot de cruautés, quand il s’en prenait à des communautés reculées, les massacrant dans des rituels sataniques sinistres qui avaient permis d’améliorer ses pouvoirs.
Kazuha avait pu consulter tous les rapports, car Samara était haut-fonctionnaire impérial, et proche d’un Conseiller Impérial,
Emhyr var Emreis. La réalité était qu’Ashnard n’avait jamais soutenu Azadrel, mais, à sa manière, l’homme était devenu symptomatique des relations très conflictuelles entre les deux puissances, amenant Emhyr à souhaiter sa capture, et ce dans la mesure où, secrètement, le Conseiller rêvait de négocier la paix avec Nexus, à l’avantage d’Ashnard.
Ainsi, quand Samara avait reçu une demande d’entretien d’Azadrel, elle avait accepté, créant la colère de Kazuha. Bien sûr, Kazuha restait son esclave, mais elle disposait d’une grande liberté d’expression, car Samara lui avait toujours dit de lui dire la vérité. Alors, Kazuha ne comprenait pas pourquoi Samara jouait avec le feu. Certes, l’homme n’avait encore commis aucun crime sur le sol ashnardien, mais accepter sa présence, sans même en référer à Emhyr...
«
C’est dangereux ! -
Remettrais-tu en doute mes capacités, Kazuha ? -
Bien sûr que non, mais, si j’en crois ce que disent les rapports... -
Il est puissant, oui, mais il ne me fera rien. Et, même s’il essayait, mon pouvoir surclasse le sien. Je suis intriguée... Même si je pense savoir ce qu’il veut. »
Le Cœur Noir... Quoi d’autre ?
La salle des trophées de Samara était une pièce abritant de multiples armes et artefacts magiques, sa collection privée... Mais, au sein de ce trésor, qui aurait fait pâlir d’envie n’importe quel mage, il y en avait un autre, encore plus discret, qui se trouvait dans un coffre fermé, et verrouillé. Même Kazuha n’y avait pas accès, car il abritait le plus puissant artefact de Samara, celui dont elle tirait sa puissance, l’artefact qu’elle avait absorbé au mage qui l’avait torturé et brisé... Le
Cœur Noir.
Cet artefact s’était greffé à elle, et lui avait conféré la force d’absorber les pouvoirs magiques d’autres mages. Par la suite, elle avait réussi à extraire le Cœur, mais continuait à bénéficier de ses effets C’était un artefact qui, d’après Samara, venait des Enfers, ramenée par elle quand ce maudit mage l’avait capturé et torturé, humilié et brisé, au point de lui en faire perdre la mémoire. Samara l’avait extrait de son corps afin d’essayer d’en étudier la complexe magie, et, ainsi, pouvoir retrouver sa trace. En consultant les notes du mage qui l’avait torturé, elle n’avait rien trouvé d’utile, si ce n’est la liste de ses disciples, dont un certain Bodgard. Elle avait appris que ces mages avaient toujours traqué le Cœur Noir, et s’interrogeaient sur sa nature, à travers son origine. Certains disaient qu’il était un artefact démoniaque, utilisé par les démons lors du
Grand Conflit pour absorber les pouvoirs des Anges, mais d’autres soutenaient une origine plus lointaine encore, relevant du conflit contre les Grands Anciens, et aurait été dans la légendaire cité de R’lyeh, domaine du terrible Cthulhu.
Les recherches de Samara n’avaient pas permis d’avancer, mais, dans cette attente, elle avait utilisé toute sa magie pour sceller le Cœur, de telle sorte que sceller ce coffre sans avoir les bons mots-clefs était presque impossible... De plus, elle avait inclus une ultime sécurité, permettant, si jamais le coffre-fort était ouvert par une autre personne que les personnes autorisées (elle seule, pour le moment), de le détruire. Même Kazuha n’y avait pas accès, par peur que, en la kidnappant, elle ne soit utilisée contre son gré pour ouvrir le coffre-fort... Ceci étant dit, Samara réfléchissait à l’éventualité de lui donner accès au Cœur, car Samara avait compris qu’il y avait, entre elle et le Cœur Noir, un lien fort. Puissante, quand elle ingérait à nouveau le Cœur, sa puissance décuplait de manière exponentielle. En revanche, quand elle avait fait un test sur Kazuha, la jeune femme avait failli mourir au simple contact avec le Cœur, ce qui, selon Samara, confirmait que cet artefact était lié, soit à elle, soit à sa famille démoniaque., car des essais sur d’autres démons avaient conduit au même résultat.
Et elle savait qu’Azadrel recherchait le Cœur, car, récemment, Bodgard avait été tué, et, en se rendant sur place, Samara avait perçu la signature magique d’un mage noir extrêmement sombre, et, en consultant les rapports d’enquête, notamment les expertises magiques menées par les mages nexusiens sur les lieux de carnage du Boucher Immaculé, elle avait vu que les relevés magiques correspondaient à ses impressions.
«
Je sais que vous recherchez des informations sur votre famille, Maîtresse, mais il est dangereux de faire entrer un tel loup, qui... -
Assez, Kazuha ! Je ne veux plus en parler ! »
Le ton était autoritaire, et Kazuha rougit légèrement, en baissant les yeux.
«
Cesse de me prendre pour une faible. Tu seras punie ce soir pour ton insolence. »
Kazuha rougit encore, se sentant gênée. Quelle idiote ! Parler à Samara si ouvertement de sa famille natale était toujours difficile, et la punition était donc légitime. Elle ne dit donc rien de plus, et, quand Azadrel arriva, Kazuha se chargea de l’accueillir, non sans un froncement de sourcils.
«
Ma Maîtresse va vous recevoir. Suivez-moi, je vous prie. »
Habituellement, face à des invités qu’elle aimait bien, Kazuha adoptait une démarche sensuelle. Ici, son pas était raide, très militaire, même si elle ne portait que ses sous-vêtements noirs renforcés, ce qui faisait qu’elle était toujours aussi belle à regarder. Elle le conduisit à travers les riches et luxueux couloirs du grand appartement, jusqu’à un salon où l’attendait la mage, à côté d’un feu qui crépitait dans l’âtre d’une cheminée.
Samara était assise sur un grand fauteuil rembourré, et sourit à l’attention de son invité, en se relevant.
«
Vous voilà enfin, Mage Azadrel ! Je suis heureuse de vous rencontrer, cher confrère. »
Elle lui sourit respectueusement, tout en sentant la puissance du mage.
Une puissance qui la faisait frémir...
Qu’il aurait été plaisant de dévorer son âme pour aspirer toute cette puissance !