Il faisait froid, merde. Un putain de froid qui vous glaçait les sangs et semblait vous rétrécir les couilles si fort que vous en peiniez à pisser, pour peu que vous arriviez seulement à trouver le courage de sortir votre queue entre deux murs sensés vous protéger du vent mordant. L'hiver à Seikusu n'était pas spécialement méchant, mais celui qui s'était levé depuis deux semaines maintenant avait fait changer les statistiques. La ville était balayé par un froid cinglant qui figeait toute l'activité. On grattait durement les pare-brises le matin, on augmentait les chauffages la nuit et on espérait en se frottant les mains que le lendemain serait meilleur que la journée passée. Or, si les températures s'étaient maintenues à un petit 7°C pendant la première moitié de la quinzaine, cela avait dramatiquement chuté sur la seconde semaine. Le mercure ne dépassait plus les deux degrés au plus fort de la journée et les nuits... Les nuits, elles, étaient meurtrières. Comme toujours, c'étaient les déshérités qui trinquaient le plus : le taux de mortalité chez les clochards avait fait un bon dramatique en avant et personne ne daignait plus compter les décès. Les foyers sociaux tournaient à plein (c'était rare en temps normal) et tout les clodos ne pouvaient pas être hébergés. Alors, ceux qui restaient se trouvaient des coins plus paumés mais abrités au risque de payer des taxes à des petits voyous, d'autres se couvraient d'épaisseurs de vêtements supplémentaires et tournaient au mauvais vin pour se tenir chaud. Quand bien même, la Mort venait chaque nuit prélever son tribu.
Kaine n'avait pas été du lot jusque là, mais s'inquiétait un peu pour la suite. Il était plus couvert que d'habitude et s'était trouvé des coins presque chauds, jusqu'à ce que des embrouilles l'en délogent. Pour éviter de se faire bastonner, il avait dû courir un bon moment dans Seikusu et avait fini par se retrouver dans un quartier qu'il connaissait mal. Plutôt correct sans être luxueux, on pouvait soupçonner le coin d'être un peu surveillé. Un clodo comme lui n'y passerait pas inaperçu... Seulement, il était déjà 19h ce soir là et Kaine se voyait mal continuer à chercher une planque. Il se gelait déjà fortement, s'étant surpris plus d'une fois à grelotter et à claquer des dents.
Il avait beau être clochard, Kaine avait des principes. Et l'infraction allait contre ces mêmes principes. Seulement ce soir là, de peur d'avoir à affronter la nuit polaire qui se levait, il se faufila comme une ombre à travers les voitures d'un parking privé dont il avait sauté les grilles puis, arrivant au pied d'un immeuble mais du côté le moins exposé de ce dernier, en força l'une des portes. "C'est juste pour cette nuit, demain je me casse, demain je me casse...", voilà ce qu'il se répétait en boucle en arpentant les couloirs des caves.
La numéro 69 fit son bonheur. A l'écart, elle semblait ne pas avoir été ouverte depuis longtemps et faire sauter discrètement le verrou ne fut pas bien compliqué. Une fois dans le petit réduit, Kaine y fit son trou. Un ou deux cartons déchiré pour faire un matelas sur le sol, une vieille couette qui sentait la poussière sur le dos et la porte refermée sur lui l'air de rien, le clochard se retrouva confiné dans un espace qu'il avait certes violé mais qui, pour cette nuit, serait pour lui un havre de paix.
Du moins le croyait-il lorsqu'il commença à s'endormir, persuadé de passer une nuit en paix et au chaud.