Eden s'assit à l'invitation du jeune marchand. Ce dernier semblait déstabilisé, il n'avait pas le verbe fort et assuré qu'ont généralement les marchands. Au contraire, il s'adressa à lui d'un ton presque bégayant, se présentant comme le fils du "trop célèbre" Baritello, et lui demandant la raison de sa visite. Cette attitude dénotait tellement avec celle qu'Eden avait l'habitude d'observer chez les marchands en général, et les esclavagistes en particulier qu'il haussa le sourcil et estima qu'il avait besoin d'analyser la situation avant de s'engager franchement dans la conversation.
Histoire de gagner du temps, il héla d'un signe de main une serveuse qui se trouvait un peu plus loin.
En attendant qu'elle arrive, il observa d'un air songeur son vis à vis. D'ordinaire, les marchands s'adressaient à leurs clients d'une manière particulièrement assurée. Le but du jeu étant de convaincre le client qu'ils s'adressaient au meilleur endroit possible pour trouver ce qu'ils cherchaient. Baritello père aurait multiplié les effets de manche et se serait probablement fait accompagner par une ou deux esclaves de premier choix histoire d'exhiber la qualité de sa marchandise. Il l'aurait en premier lieu félicité d'avoir choisi son commerce pour la tractation, lui aurait immédiatement payé une tournée histoire de le ferrer totalement. Il se serait également installé au beau milieu de la salle pour que personne n'ignore que son commerce était florissant.
Baritello fils, de toute évidence, n'usait pas de la stratégie de son père. Mais pour quelle raison? Eden avait sa petite idée sur la question. Deux théories en réalité. Soit le fils essayait de se démarquer du père dans l'idée d'accéder plus rapidement à la succession, en se faisant sa clientèle propre, et pour cela il devait trouver son propre style et montrer à ses clients qu'il était bien différent du paternel. Cela collait avec l'expression "trop célèbre" qu'il avait employé pour qualifier le vieux Baritello. Mais son attitude peu engageante ne collait pas avec la situation. Même pour se démarquer, aucun marchand ne se comportait ainsi. S'il voulait être original, il n'aurait reçu dans un lieu particulier qui lui appartiendrait à lui, lui aurait montré de quoi il était capable. Là, son attitude trahissait plus aux yeux d'Eden une certaine défiance qu'une réelle volonté de tracter avec lui. Sinon, pourquoi lui aurait-il demandé ce qu'il pouvait faire pour lui? C'était évident, non?
En même temps, Eden n'avait jamais eu très bonne réputation sur Terra. De manière générale, on s'y méfiait des humains, et même si ni lui ni Edenna n'étaient plus vraiment humains depuis très longtemps, ils n'en étaient pas pour autant terranides. La haine viscérale que leur vouait Althéa, la succube qui avait brisé leur vie plus d'un siècle auparavant, ne facilitait pas les choses non plus. Marcus était-il l'un de ses amis? La fournissait-elle en esclaves? Cela expliquerait peut être son manque d'empressement à le servir maintenant. Quelle guigne!
Mais baste! Eden n'était pas homme à s'avouer vaincu d'avance. Avec un sourire un peu contraint, il demanda à Marcus :
"Vous boirez quelque chose?" Quel ironie, un client qui payait sa tournée à un marchand!
Enfin, alors que la serveuse s'approchait pour s'enquérir de leurs consommation, Eden répondit à la question du marchand :
"Qui je suis? Ma foi, un client qui cherche de la bonne marchandise. Je sais que votre père est à la tête de l'un des meilleurs cheptels de la région, et j'ai très envie d'acquérir une esclave de qualité pour mon usage personnel."
La serveuse s'immobilisa devant leur table. "Que désirent ces messieurs?" Demanda-t-elle en veillant à ne pas croiser leurs regards.
Eden l'évalua du regard puis la désigna d'un signe de tête à Marcus :
"Une bien dressée, comme celle-là. On dit que le dressage de la maison Baritello n'a pas son pareil dans tout Nexus." Puis, s'adressant à la serveuse : "Un scotch sec."