Le
Palais royal de Papua était une grande et impressionnante structure, séparée de la ville par un grand pont en pierre. Depuis les tours et les murs du Palais, on pouvait apercevoir plusieurs cours d’eau, avec des ruines ancestrales à proximité. D’après les vieilles légendes et les anciens manuels historiques, ces ruines étaient l’ancienne capitale de Papua, qui avait été submergée lors d’une violente crue il y a des siècles. Une crue qui s’était accompagnée d’une vaste tempête, et qui avait englouti la ville, créant un lac qui, depuis lors, était là. Cette ville abandonnée était un endroit assez apprécié des locaux et des touristes, car elle offrait un contraste assez saisissant avec la capitale, ainsi qu’une superbe vue sur le massif Palais.
Après sa visite au sein de la ville, Rhian rentra, ses tigres continuant à la suivre de près, se frottant parfois contre ses jambes. Le contrôle que Rhian avait sur cette portée était assez exceptionnelle. Elle était la seule à pouvoir contrôler les tigres avec tant d’aisance. Lors de sa disparition, les trois avaient été enfermées dans des cages, et avaient attaqué plusieurs servantes ayant tenté de se montrer trop proches d’eux. Ils s’étaient assagis quand Rhian était revenue, et, maintenant, Rhian dormait toujours avec eux... Il fallait le voir pour le croire, mais, parfois, les tigres dormaient même sur son lit, la tête de Rhian posée sur le ventre d’un d’entre eux. Pour beaucoup, ce lien était magique, et se justifiait par les gènes démoniaques de Rhian, un héritage de sa mère, Khaora.
«
Les gens ont peur, Rhian... Garde-toi de te montrer trop brutale avec eux. »
De tous les conseillers incompétents ou corrompus qui assistaient Rhian lors de ses séances, elle faisait surtout confiance à ceux de sa mère,
Khaora. Tous les soirs, Rhian marchait avec elle dans les couloirs et les jardins du Palais, pendant une bonne heure. Khaora faisait digne figure, mais l’état de santé de Tomeyrus l’affectait profondément. Elle ne pouvait pas se permettre de le pleurer, car Papua était en guerre civile, et la Reine savait très bien que les accusations infondées des adversaires politiques des Thoris n’avaient que pour but de fragiliser la Couronne, et d’amplifier la guerre qui faisait ravage.
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Je sais, Mère..., soupira Rhian.
C’est juste que... Je dois leur rappeler que la Couronne est détentrice de l’autorité, et est la seule à pouvoir sauver le royaume du Warlock et de ses horribles monstres. -
Tu détestes tes vassaux, et tu as raison. Combien de fois Tomeyrus m’a-t-il dit qu’il voudrait tous les tuer ? Ils ne pensent qu’à leurs propres domaines, sont incapables de songer au bonheur du royaume, et ne veulent y songer qu’à condition d’y siéger... Et, maintenant que ce sieur Galahad t’a secouru... -
Ils ont perdu tous leurs espoirs... »
Khaora lui sourit lentement. La Reine était curieuse. Ce Galahad était l’un des rares hommes à avoir fait bonne impression à Rhian. Les Pentaghast étaient une puissante famille ashnardienne, dirigeant un vaste duché, et Galahad avait traqué les Orcs ayant capturé Rhian, et l’avait sauvé. Il l’avait ramené jusqu’ici, et, quand Rhian avait parlé de Galahad, le dédain dont elle avait fait preuve n’avait pas échappé à Khaora, qui avait compris que Rhian avait enfin trouvé l’homme à qui offrir sa main. Tomeyrus serait fier d’elle, quand il irait mieux... Le Roi continuait à dormir et à végéter, dans sa chambre.
«
Tu as le soutien de l’armée, Rhian... Mais il nous faut aussi conserver la noblesse. Les marchands continueront à te soutenir tant que les voies maritimes sont encore ouvertes, et c’est pour ça que l’Empire a envoyé une flotte pour les protéger des raids de pirates. -
Maintenant que les routes terrestres sont moins sûres, la mer est la solution la plus fiable pour rejoindre Papua. »
Royaume marchand par excellence, Papua avait toujours été tournée vers l’extérieur, vendant des tonnes de fer, de pierre, et autres gisements de matière première, en échange de nourriture. C’était un grand royaume, très culturel, et très cosmopolite. Le soutien de la bourgeoisie était encore plus important que celui de la noblesse locale, et les marchands préféraient la stabilité politique. Les Thoris dirigeaient Papua depuis la fondation, et ils avaient donc été contents de voir que les Ashnardiens avaient ramené Rhian, et qu’elle pouvait continuer à diriger le royaume. Ainsi, il n’y aurait pas de guerre civile, et le trésor royal continuerait à être là.
On avait beau dire tout ce qu’on voulait sur les pratiques sexuelles de la Reine Khaora, elle était une femme avisée en politique. Khaora venait d’une grande famille ashnardienne, et, contrairement aux Nexusiens, elle n’avait pas appris la broderie. La politique, la guerre, l’art et la manière de diriger un royaume... Voilà ce qu’on lui avait enseigné. Dans un conflit, quand le mâle partait diriger les troupes, la femme restait pour gérer les affaires publiques et le domaine. En somme, dans une répartition ashnardienne type, l’homme se chargeait de la gestion de l’armée, et la femme de la gestion des affaires civiles. C’était ainsi la Reine qu’on trouvait lors des audiences de justice. Cette différence s’expliquait par le fait que, comprenant beaucoup de démons, Ashnard n’était pas aussi sexiste que pouvait l’être d’autres royaumes, comme Nexus.
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Nous allons avoir besoin d’or pour financer la réparation des villes... L’Empire acceptera de nous faire crédit, mais la noblesse protestera. -
Et, si j’augmente les impôts indirects, ce sont les guildes marchandes qui s’enflammeront... -
Pourtant, c’est le meilleur choix à faire. Si les voies maritimes sont sûres, les marchands pardonneront une hausse des impôts. Et puis, les guildes ont toujours plus d’argent. »
Rhian acquiesça. Il y avait plusieurs moyens d’obtenir de l’argent. Elle pouvait demander un prêt auprès du Conseil Impérial, et, comme Rhian était une province impériale en état de guerre, le Conseil Impérial avait l’obligation de consentir un prêt à des taux d’intérêts réduits... Mais, même réduits, il y avait des intérêts. Or, en vertu des lois papuannes, le remboursement de la dette royale se faisait à partir des impôts seigneuriaux, une taxe que chaque seigneur devait verser annuellement. Autrement dit, si Rhian empruntait auprès du Conseil Impérial, elle devrait augmenter le montant de cette taxe, ce qui ferait rager les nobles.
L’autre solution était d’augmenter les taxes foraines, c’est-à-dire la somme que chaque marchand devait payer pour poser sa caravane. Or, selon l’emplacement, la taxe était plus ou moins forte. Concrètement, la liberté de commerce était réduite par le fait qu’un commerçant devait nécessairement rejoindre une corporation commerciale, afin de garantir la qualité des produits auprès des clients, ainsi que la stabilité dans les prix. Ces guildes avaient une grande influence à Papua, et, en temps de guerre, c’était souvent eux qui devaient payer... Ce qu’ils acceptaient de faire, si l’argent était effectivement utilisé pour garantir leur sécurité et la protection de leurs marchandises.
La politique était un art complexe. Rhian y avait été partiellement formée, et, sans sa mère, elle serait perdue. Perdue entre les chartes commerciales de toutes les guildes, les accords entre les familles de nobles, les décisions de justice à respecter, la loi papuanne à appliquer... Et la guerre à diriger. Sa mère avait les reins et les épaules solides, et continuait régulièrement à la conseiller... Et à la réconforter. Car, comme si tout ça ne suffisait pas, Rhian avait été traumatisée par son rapt de plusieurs mois.
Comme si elle sentait le trouble de sa fille, Khaora se pencha vers elle, et déposa un baiser sur la commissure de ses lèvres.
«
Allez, viens... »
Après chaque promenade, les deux femmes avaient un rituel.
Entre la promenade et le dîner, elles se rendaient au harem du Palais.
Le lendemain, le soleil naissait à nouveau sur Papua. Dans l’auberge où Neith s’était posée, si cette dernière tendait l’oreille, elle pourrait surprendre plusieurs conversations intéressantes entre les marchands :
«
Oui, Khalifa a été retrouvée morte cette nuit par la Garde... Tuée par son petit ami, visiblement. Une crise de jalousie. -
Encore une servante... -
Et pas n’importe qui! Celle qui s’occupait de coiffer la Princesse et l’aidait à s’habiller ! On disait même que Khalifa nourrissait les trois putains de monstres de cette femme ! -
S’habiller ? Tu veux dire... Ces bijoux ? -
L’armature de la Princesse... Le trésor le plus précieux de Papua. Il y a des collectionneurs nexusiens qui seraient prêts à acheter cette panoplie pour plusieurs millions de pièces d’or. -
Si seulement j’étais une fille... »
Les deux négociants rigolèrent doucement entre eux.
«
Et au fait, pour Jasmine ? demanda soudain l’un des deux.
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Le harem continue à recruter des femmes, oui... Je crois que ça aide la Reine à se détendre... -
Et sûrement sa fille aussi. -
Ouais, ouais, tu vas encore regretter de pas être une nana, hein ? Remarque, je te comprends, vu la petite touffe que t’as entre les cuisses... »
Et nouveaux éclats de rire.