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Joyeux anniversaire !" gueula une voix, quand Shin passa le pas de la porte.
La jeune femme faisait partie de ces aristocrates fantasques, débauchés, qui fêtaient leurs vingt ans chaque année. Qui aurait pu la dater, cette jolie poupée blonde qui entrait d'un pas assuré, vêtue d'une robe noire très courte, de bas résilles vraiment vulgaires et de chaussures à talons hauts ? Personne. Elle avait la fraîcheur de la jeunesse, et son insouciance suicidaire. Mais dans son regard se lisaient des émotions bien plus franches, plus violentes. Le genre d'émotion qu'une jeunette ne supporterait pas. Elle tritura le collier qu'elle portait, un sautoir doré au bout duquel pendait une petite boule transparente remplie de cachets. Des xanax. Une valeur sûre, à ses yeux. La jeune femme garda son manteau de fourrure blanche quand elle entra dans la boîte de nuit 'spéciale' qu'on avait réservé pour elle. Ses nombreuses bagues tintèrent quand elle alluma sa cigarette, baissant ses lunettes de soleil effroyablement chères pour admirer les lieux.
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Vous m'avez payé un bordel ? Pour mon anniversaire ?Elle cessa de mâcher son chewing-gum, le crachant dans un cendrier. Ses amies - des nanas qui essayaient d'être aussi 'perchées' qu'elle, en vain - la regardèrent, inquiètes.
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Putain, c'est génial ! finit-elle par s'exclamer, tapant dans ses mains.
Shin se sentait comme une môme, à Noël. Elle voyait ici et là des gens vraiment
canons, sentait l'odeur de l'alcool et de l'herbe monter, et la musique qui enflait, en sourdine ... Titanesque. Elle était une petite princesse. Mais ses contes n'avaient pas la même gueule que ceux des autres. Dans les siens, la petite maison n'était pas en sucre mais en cocaïne et il y avait une infinité de princes charmants. Et de princesses. Y'a pas d'raison.
Une femme, très belle, passa à côté d'elle, caressant son bassin. Shin lui offrit un sourire. Avec son rouge à lèvres ardent, ce petit piercing sur la lèvre, sa tenue qui n'en était pas vraiment une, elle était l'archétype même de la vulgarité. Et elle s'en foutait royalement.
Les chambres, ici, étaient des lits enfermés dans des sortes de bulles de tissus. Il suffisait d'écarter les pans de tissus pour qu'un lit apparaisse, immense, au centre d'une sorte de bulbe. Beaucoup s'y réfugièrent. Noble dans la décadence, Shin traversa les différentes pièces, écartant parfois le tissu pour jeter un oeil. Deux filles ? Mh, pas tout de suite. Deux mecs ? Elle ne devait pas être trop gourmande, tout de suite. C'était sa nuit d'anniversaire, la nuit de ses vingt ans. Une nuit qu'elle avait inventée de toutes pièces, elle qui n'était pas née il y a vingt ans précisément. Mais la nostalgie, mh, elle était plus forte que tout. Là, au milieu de tous ces corps tièdes, elle n'avait plus d'âge, ni de maison. Rien ne comptait plus qu'elle.
Il n'y avait que dans les sensations impressionnantes et effrayantes qu'elle trouvait son compte.
Un verre, un rail. Shin se laissa tomber, quelques secondes, sur le canapé sur lequel elle siégeait. Elle se sentait divinement bien.
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Et vous avez un cadeau pour moi, mh ?Son ton était bel et bien celui de la sale gosse capricieuse. Elle se redressa, sur ses coudes. Sa façon de se tenir dévoilait presque entièrement son soutien-gorge, rouge électrique. Ses cheveux blonds tombaient sur ses épaules, délicatement, tranchant avec la violence du personnage.
- Un très très beau cadeau, jura le propriétaire des lieux.
Il lui fit de le suivre. Ce qu'elle fit, son verre à la main, frottant son nez à plusieurs reprises. Sur la route, elle s'alluma une cigarette, avant que le propriétaire ne s'arrête devant un autre bulbe de tissu, entourés de lanternes aussi belles que flippantes. Tout pouvait prendre feu, à tout instant. Les lumières jaunes, orangées, sanguines frappaient les murs et les tissus. C'était beau à crever. Elle se serait cru dans le plus beau des enfers.
L'homme la laissa là. Dans la pièce, il n'y avait que ce gros cocon. Curieuse, Shin écarta le tissu, prête à adorer son cadeau d'anniversaire. Mais en voyant ledit cadeau, elle resta interdite. Un type était là, allongé, visiblement sonné. Il reprenait petit à petit ses esprits. La jeune femme posa son verre, entra dans la "pièce" - il fallait un peu se pencher, le tissu se refermant au-dessus de leurs têtes - qui n'était en fait qu'un lit, et se rapprocha de lui. Elle s'allongea sur le ventre, à côté de lui, saisissant son visage pour le tourner vers elle. Et, délicate, raffinée, adorable, elle recracha sa fumée dans sa direction. Oh, pas pour l'étouffer ni l'humilier. Juste pour que ça enveloppe son visage d'un halo blanc, que ça le réveille. Elle, une clope, ça la réveillait toujours.
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Mh, j'aime pas beaucoup les cadeaux défectueux, mon ange ... soupira t'elle, son index glissant sur sa joue.
Réveille-toi, ce n'est pas le moment de dormir.