Commencer la journée avec un cours de mathématiques, mis à part pour quelques esprits chevronnés et passionnés par les nombres, ce n’était pas vraiment le pied. Profitant de ces jours libres, Alice poursuivait sa tâche principale dans sa vie de Princesse : s’éduquer, s’entraîner, s’instruire. Qu’elle soit à la fois Princesse d’un royaume comprenant des dragons et jeune lycéenne à Mishima, dans un autre monde, voilà qui était étonnant. Bien sûr, seuls quelques privilégiés savaient que la jolie tête blonde assise dans la salle, celle qui provoquait généralement au moins une érection par jour de la part d’élèves pavoisant sur sa longue chevelure blonde dorée, venait d’un autre monde. Ceux qui étaient dans la confidence. Pour les autres, elle était juste Alice, avec un nom imprononçable, une immigrée originaire d’un pays d’Eurasie dont on était bien incapable de divulguer le nom avec précision sans se tromper. Cette couverture, elle la devait grâce à celle qui s’était assurée de lui permettre de pouvoir explorer la Terre, ce monde d’où était originaire sa femme, sans avoir à craindre des questions, ou des problèmes avec la police : son amie Mélinda, esclavagiste sur Ashnard, utilisant son éternelle apparence de jeune femme pour rejoindre le lycée, et augmenter les effectifs de son harem. Ce matin, Mélinda n’était pas là, en train de dormir.
Pour autant, la plupart des filles étaient assez impatientes de commencer. Leur
senseï en mathématiques était un jeune homme originaire de Tokyo, qui venait en cours, certes en costume, mais avec une légère barbe, ce qui était suffisamment négligée pour constituer un lien de confiance. De plus, son costume était relativement branché, loin du classicisme des anciens.
Togiwara-senseï ne serait probablement pas l’homme qui changerait la réputation sexuelle que le lycée Mishima se targuait. En revanche, il semblait bien aimer les maths. Alice, elle, préférait l’Histoire ou la philosophie, mais elle savait aussi toute l’importance que les sciences avaient, particulièrement les mathématiques. À Sylvandell, elle avait suivi des instructions privées où elle avait appris l’algèbre, la géométrie, et toutes ces choses. Des données qu’on appliquait notamment sur les champs de batailles, afin de déterminer le point d’impact des projectiles lancés par les catapultes ou les trébuchets, ou qui servaient énormément dans la construction de bâtiments et d’armes de siège. Que de simples nombres, des constructions qui semblaient totalement scientifiques et théoriques, totalement distinctes de la réalité, puissent avoir un tel impact dans le monde réel, voilà qui était toujours étonnant. Et c’était encore plus vrai avec l’ère de la programmation et de l’informatique à outrance, même si, pour être honnête, Alice était encore un peu réfractaire avec les ordinateurs. Les écrans lui piquaient les yeux, et tout ça n’était pas intuitif pour elle. Or, peu de choses étaient aussi intuitifs que la prise en main d’un ordinateur, à tel point qu’il n’était pas étonnant de voir des bébés jouer avec les flèches d’un clavier pour faire descendre ou monter l’écran*.
Un autre élément qui rendait Togiwara-senseï était sa manie à manger des bonbons. Ceux qu’il appréciait particulièrement étaient des bonbons importés de France, les Arlequins, et Alice, pour l’avoir entendu, savait que plusieurs filles se ferraient bien suivre des cours
très privés dans son bureau. Alice était assise près de la porte, et avait sorti ses affaires. Son cahier était soigneusement entretenu, et, si on avait regardé les notes qu’elle prenait, on aurait été frappé par le soin qu’elle accordait à la propreté de ces dernières. Il n’y avait aucune rature, aucune fioriture, les mots étaient soigneusement écrits, avec des voyelles rondes, et des consonnes bien droites. Elle avait évidemment suivi des cours de calligraphie, et s’en rappelait encore. Ça avait été plutôt dur, car elle avait tendance à faire de gros pâtés, mais, maintenant, elle s’en sortait bien.
Les élèves parlaient entre eux, se racontant leur week-end. Les uns avaient passé la nuit à être en ligne sur différents jeux vidéos, les autres étaient sortis dans les rues de la ville, avaient fait des soirées avec des étudiants. Certains la saluaient poliment, et, alors que l’heure s’approchait, les différents élèves, studieusement, entreprirent de s’asseoir. Quand Togiwara-senseï entra, comme un seul homme, les élèves se levèrent tous.
«
Jeunes gens, bonjour ! -
BOOOONNNJOOOOUUUURRRR, SEEEEENSEEEEÏÏÏÏÏ !! répondit la classe en chœur.
-
Cet entrain pour les maths est quelque chose que je qualifierais de... De magnifique. Bien, bien, vous pouvez vous asseoir ! »
L’homme leur sourit lentement, tout en retirant son manteau, et le mit derrière son fauteuil. Il se rappela alors que la porte coulissante, un
shōji, était toujours ouverte, et s’avança rapidement. Il allait la refermer, quand, filant sous son bras, une jeune femme à la chevelure rousse débarqua.
«
Réveil difficile, Otu-san ? Dépêchez-vous de vous asseoir, ne faisons pas traîner notre décollage dans le pays merveilleux des mathématiques et dans l’arbre infini des possibles. »
* : Authentique ; ma nièce.