« Je sais pas si c'était une bonne id...
– QUOI ? PARLE PLUS FORT, ON S'ENTEND PAS.
– JE SAIS PAS SI C'ÉTAIT UNE BONNE IDÉE DE VENIR ICI.
– TU DECONNES ? C'EST LA CHOUILLE LA PLUS COOL DU MONDE ! PUTAIN KÅRE, JE CROYAIS QUE TU VOULAIS T'AMUSER ?!
– Je... oui. T'AS RAISON. »
Il voulait s'amuser, c'était une volonté que l’adolescent avait encore affirmée moins de dix minutes auparavant. Une occasion comme celle-là, à à peine dix-sept ans, ne se présentait pas tout les jours, il fallait lui concéder. Aussi, dès lorsque Chikashi lui avait proposé de le faire entrer dans la Villa noire, il avait sauté sur l'occasion, sans même réfléchir.
Chikashi, c'était un garçon qu'il avait rencontré au football : un japonais grand, plutôt musclé, et hétérosexuel. Heureusement, il possédait tout-de-même des qualités. La plus important était que son cousin, encore plus japonais, grand, musclé et hétérosexuel que lui, travaillait pour la boîte, en tant que portier. Magouiller avec le gorille pour qu'il les laisse entrer n'avait pas été difficile.
Pourtant, en plein milieu de cette foule, le suédois ne se sentait pas aussi bien qu'il l'aurait voulu. Cela ne faisait pas une heure qu'il était là, et pourtant, la multitude de personnes dansantes lui donnaient un peu le vertige. La musique résonnait à ses oreilles, rythmée, forte, menaçant à chaque coup de le rendre un peu plus sourd encore. Comme tout le monde ici, sans doute.
Je devrais être content d'être ici. Chikashi a raison, c'est l'une des fêtes les plus violentes de la ville.
Mais il y avait pire. Kåre, jusqu'ici enthousiaste, avait été jusqu'à oublier pourquoi, jusqu'ici, il avait toujours évité les boîtes de nuit. Ce n'était pas seulement une histoire d'âge et de sécurité... on pouvait toujours s'arranger, certains établissements étant relativement peu regardants.
« Je me sens pas super b...
– QUOI ? »
Non, si l'adolescent avait été jusqu'ici réticent, c'est parce qu'il savait que dans un tel environnement, son pouvoir ne le laisserait pas tranquille. Ses prédictions, hélas, s'étaient avérées très vite exactes. Il pouvait sentir, tout autour de lui, l'encerclant impitoyablement, la masse immatérielle de toutes les émotions dégagées. Il y avait des sentiments qu'il était presque persuadé de ne jamais avoir perçu avant. Les signaux étaient désorganisés, étranges, parfois incompréhensibles. Est-ce que c'est la drogue ? Je pense que c'est la drogue, mais je ne peux pas en être sûr. Ils sont saouls et drogués. Leur cerveau est comme une machine déréglée.
Pourtant, les jeunes gens étaient trop nombreux pour que Kåre soit en possibilité de détailler une seule émotion. Il les recevait juste par paquets compacts et lourds, de façon plus incessante et plus puissante encore que le fond sonore ne frappait ses tympans. En temps normal, il était influencé, à un degré plus ou moins important, par les émotions capturées. Ici, pourtant, elles étaient si nombreuses et diverses que son encéphale surchauffait. Il avait une vague envie de vomir, et de plus, sa vessie commençait à le tirailler.
« OÙ SONT LES TOILETTES ?
– J'EN SAIS RIEN !
– OK, JE REVIENS. »
Bon sang, elles doivent être de l'autre côté de la foule... se dit-il, dans un état où sa lucidité, alors qu'il n'avait pourtant pris aucune substance, lui faisait déjà à moitié défaut. L'adolescent entreprit alors de fendre la cohue qui se trémoussait à l'unisson. Il était un peu gauche, et l'ambiance ne l'aidait pas à se repérer. Un coup de coude importun vint le cueillir à la mâchoire, ajoutant la douleur à la désorientation. C'est tout juste s'il entendit un discret « désolé » se glisser joyeusement entre les lèvres du fautif.
Bien vite, Kåre put se considérer comme perdu dans la marée humaine. Un liquide qu'il identifia comme étant –sans doute– du whisky mélangé à un soda fut projeté sur sa jolie chemise rouge... avant de couler encore jusqu'à son jean noir, la froideur léthargique de l'alcool imprégnant sa peau sous le tissu imbibé. Cette fois, il n'entendit aucune excuse, et cela l'étourdit encore davantage.
Je ne vais jamais m'en sortir, oh fan'... songea-t-il, alors qu'un gros homme, avec une envie peut-être plus pressante que la sienne, le bousculait à son tour. Incapable de faire le poids face à l'obèse, l'adolescent botta en touche, et valsa assez violemment sur le côté. Sa tête heurta la poitrine d'un autre individu. Aussitôt, il prit à cœur de s'excuser, se retournant, chancelant :
« Förlåt... je, he. »
Soudainement, son regard vert fut captivé par celui azur de l'homme avec lequel il venait de s'entrechoquer. Il était plus grand que lui, mais tout aussi blond et d'une carrure plus impressionnante. Le danseur n'avait pas un air méchant cependant, et Kåre n'eut pas peur d'éventuelles représailles. Il était impossible qu'il n'ait rien senti, toutefois, s'il était aussi ivre que les autres, cela ne le dérangerait probablement pas plus que ça.
Gentiment, le suédois tenta de lui adresser un sourire, ignorant totalement les filles, presque collées à son corps, qui s'agitaient toujours.