Quelle élégance jusque dans une révérence. Touriste peut-être, femme du monde assurément. Autant être aussi courtois, pour ne pas faire fuir cette grâce.
« Je suis heureux de vous accueillir, Dame Ahri. Permettez-moi, par respect, de vous appeler ainsi, même si cela peut paraître désuet à certains. »
Voilà une phrase que je n’aurais certainement pas dite aux lycéennes de Mishima, elles n’y auraient d’ailleurs compris fifre, plus intéressées à relever leurs jupettes d’écolières qu’à avoir un dialogue de haut rang, quitte à finalement arriver au même résultat. Mais une femme de cette classe, c’est autre chose, ça ne se trousse pas comme une lycéenne sur un coin de bureau, ni à la hussarde dans la sacristie.
Quoique des cris de plaisir dans ce qu’elle dit comme « grand, beau et calme », ça pourrait être inconvenant.
« Cette beauté et ce calme incitent à la méditation et à la prière bien sûr, mais cela apporte aussi une forme de paix à l’esprit, qui lui permet de s’envoler plus librement vers d’autres cieux, de se laisser aller à toutes sortes de pensées. »
Je lui dirais bien volontiers que, la prochaine fois que je m’assiérai seul dans l’église, mes pensées s’envoleront avec elle. Mais ce n’est pas, ou pas encore, le moment.
« Et je ne sais si vous connaissez, mais, quand je mets une musique encore plus apaisante, chacun fait un tel vide en soi et ne penser qu’à… »
Yves, tu t’égares ! Elle vient de te tendre une perche, saisis-la…
« Qu'à... la parole de Dieu, justement. Mais il en a tellement, qu’on peut en lire une chaque matin, et veiller à s’y conforter chaque jour. Comme je le dis à mes paroissiens, lors de chaque sermon, Dieu est amour, et il ne faut pas l’oublier. »
Bon, je ne leur précise pas que je mets de l’amour avec les lycéennes de Mishima ou certaines paroissiennes régulières, sans omettre d’autres qui ne se rangent dans aucune de ces catégories.
J’aurais aimé que ses yeux pétillent à ces mots, teintés de sous-entendus ; mais il semble que l’élégance ne soit pas forcément associée à la coquinerie. Tant pis !
« Voyez, lorsque je parle à celles et ceux qui se réunissent ici, je parle de tous les amours qui existent, entre parents et enfants, entre mari et femme, entre… »
Je marque un temps d’arrêt, car je sens que je m’engage sur un terrain délicat, qui plus est avec une inconnue.
« Entre un homme et une femme, quels qu’ils soient », je ne vais pas lui dire que j’ai déjà cocufié certains maris de mes paroissiennes.
« Et parfois, mais… Euh… Enfin, comment dire… Deux hommes ou deux femmes aussi… Mais… Bon, vous voyez… », terrain glissant face à une inconnue, et pas question de lui dire que j’adore voir deux lycéennes, ou deux autres femmes d’ailleurs, se caresser en ma présence.
Eh bien, je n’ai jamais autant parlé d’amour charnel, ignorant l’amour spirituel pourtant source de ma vocation.
« Voyez-vous, Dieu n’aime ni la guerre ni la violence. Certes, il s’est parfois fâché, et a détruit des villes aux moeurs disons peu communes. Mais il a aussi dit : « l'amour ne fait rien d'inconvenant ». Et c’est une phrase que j’ai faite mienne. »
Extirpant de ma poche l’une de ces pseudo-Bibles de propagande, contenant juste les mots clés, je l’ouvre à la page de ma citation préférée, déjà surlignée en jaune.
« Regardez, c’est dans la lettre aux Corinthiens. Et, depuis que j’ai décidé d’en faire ma ligne de vie, je suis ouvert à tout, et bien plus heureux. »