La tempête qu'avait essuyé le Boléro Bleu avait bien faillis nous faire chavirer. C'était bien là le plus grand danger des océans, après le kraken et le scorbute : les tempêtes déchaînés par tous les diables. Elle avait surgit comme une catin attiré par l'argent : sournoisement, sans qu'on le voit arriver, surgissant soudainement lorsque tout était en place pour nous déposseder de nos biens. Nous étions en train de fêter une belle prise en pleine mer : un navire marchand, plusieurs trésors, bijoux et de quoi nous rassasier dans un banquet. Mais à cause de la tempête, une grande partie de la cargaison était passée par dessus bord. Les hommes étaient encore sous l'effet de l'alcool, bien qu'après les remous, certains se soient allongés dans la cale pour extirper les dernières goutes de rhum qu'ils avaient ingurgité. Nous avions établis un plan de route avec notre cartographe, avant de prendre le cap vers une île abandonnée, où on pouvait trouver fruits et de l'eau douce. Je mettais réfugier dans mes quartiers afin de décuver, j'avais un peu abusé de l'hydromel pour être en forme et commander les hommes correctement. Le maître d'équipage était mieux placé que moi.
Finalement, après quelques heures, nous avions rejoins la plage de l'île. Elle n'était pas très grand, même loin d'être une véritable île, comme on l'entendait : c'était une petite coque de noix posée en pleine mern, avec juste de quoi survivre. Bref, lorsque la plage fut à l'horizon, je donnai mes dernières instructions à l'équipage et retournai dans mes quartiers. Je pris le temps d'étudier seul un nouvel itinéraire pour débarquer sur l'île sans aucune juridiction la plus proche et permettre ainsi aux hommes d'aller se détendre. Après quelques minutes de réflexion, je pris le temps de remplir tranquillement ma gourde d'hydromel, avant d'entendre de l'agitation sur le pont. Curieux, je remontais après avoir finis.
Je retrouvai sur le pont les hommes attroupés autour d'une demoiselle habillée comme une bohémienne. Ils ricanaient et semblaient se délécter de la vue de cette femme qui semblait être pour eux un cadeau du ciel, pour les reconforter d'avoir essuyé la tempête la plus vigoureuse qu'on ait vu alors. Je voyais certains mettre les mains où ils ne devaient pas, mais la tigresse se défendait à coup de claque dans la figure. Je retenai un rire, jusqu'à ce que je vois l'un des hommes d'équipage tenir la demoiselle par les joues. Aussitôt, je hurlai à celui qui la tenait encore :
« Je ne croyais pas avoir parler de prendre des captives, monsieur Rokta ! J'avais parlé d'eau douce et de noix de coco ! »
Les hommes s'arrêtèrent aussitôt de rire, se tournant vers moi comme si j'allais leur trancher la tête à tout instant. Les bras croisés, je les observai avec attention, avant d'avancer vers eux. Le forband auquel je m'étais adressé relâcha la demoiselle en bredouillant :
« C'est... c'est une indigène, capitaine... Elle a exprimé l'envie de faire plasair à l'équipage, éreinté par la tempête, après que je lui ai conté notre histoire. »
Je regardai attentivement l'homme en question : ce n'était pas la première fois qu'il racontait ce genre d'histoire pour se protéger. Cela me déplaisait, surtout qu'il allait clairement à l'encontre de mes ordres en agissant ainsi avec une captive. Je lui souriais et dis doucement :
« Messieurs, quel est la règle numéro un de tout bon équipage ?
- L'honnêteté entre chacun des membres du bâtiment, capitaine ! »
Ils avaient dis cela tous en coeur. Pour des pirates, ils étaient disciplinés, car ils avaient vite compris que c'était indispensable à la survie en pleine mer que d'obéir à son supérieur. Je repris ensuite :
« Est-ce que le mensonge est un signe d'honnêteté, messieurs ?
- Non, capitaine ! »
Je passai entre les différents membres d'équipage, jusqu'à atteindre la demoiselle ainsi que son kidnappeur. L'ensemble de l'équipage s'écartait sur mon passage, sachant ce qui allait arriver dans quelques minutes.
« Alors, dîtes-moi, monsieur Rokta : quel est la punition pour les menteurs à bord d'un navire ? Hein ?
- M... mais, capitaine Baltazar... je ne voulais pas... »
Je sortis une de mes dagues cachées dans ma chemise et l'enfonçait dans la hanche du membre d'équipage. Il grogna de douleur, les autres membres reculant, sentant la moutarde me monter au nez. Cela n'était arrivé que deux fois, depuis que j'étais le capitaine. Et cela avait tellement marqué les esprits que chacun, en me voyant sortir cette dague, tremblait de frayeur. Je retirai la lame de son ventre, il s'écroula à terre, à genou, tandis que je répétais :
« Quel est la punition pour les menteurs à bord d'un navire de pirate, Rokta ? Vous avez encore deux chances...
- On... le largue par dessus bord... en pleine mer.
- Et si on a accosté sur une île ?
- On le lâche sur l'île avec un pistolet et une seul balle. »
Je claquai des doigts : l'ensemble de l'équipage attrapa le blessé, lui retira son épée, ses dagues et tout autre objet utile à la survie. Un autre arriva et me donna le pistolet, chargé d'une seule balle. Pas de poudre, pas de munitions, rien d'autre.
« Dans votre prochaine vie, Rokta, j'aimerai que vous soyez plus honnête avec vos semblabez. Je vous ai laissé trois chances, vous m'avez mentis par trois fois. A présent, il est temps de vous faire comprendre le sens du mot "honnêteté". Pour faire simple, vous allez mourrir à petit feu sur cette île infesté de bestioles qui se feront un plaisir de décortiquer votre vil carcasse une fois que vous vous serez tiré une balle en pleine tête avec ce pistolet. Vous voyez, ça ne coûte rien de plus, d'être honnête. »
L'équipage, loin d'être gêné par l'idée de se débarasser de lui, jeta l'homme par dessus bord, sur le plage. Nous avions eu le temps de faire le plein, nous laissions donc le navire prendre le large. Au loin, le mécréant nous regardait partir, à genou. Il ne valait guère qu'on ne s'attarde sur son cas, il ferait son propre examen de confiance. Je me tournai les autres membres d'équipage et hurlai, férocement :
« Et le prochain que je surprends encore à obliger une ou un captif se verra recevoir une balle entre les deux yeux, ou si je suis généreux, perdre juste un de ses yeux, est-ce que c'est clair, bande de molusque !
- Très clair, capitaine !
- Retournez à vos poste, cap nord/nord-ouest ! On rentre à la maison les gars ! »
L'équipage hurla son contentement et se mit à nouveau au travail : ranger les provisions, délaisser la grand voile et nettoyer les traces de notre fête improvisée qui aurait échappées à la tempête. Pour ma part, je détachais mon atout large pour lui poser sur les épaules et la couvrir. Je lui sourais doucement :
« Venez, je vais vous conduire dans mes quartiers, mademoiselle : vous y serez à l'abri jusqu'à ce qu'on arrive au prochain port. »
Je la guidai, les mains sur les épaules, à l'intérieur du pont. Mes quartiers étaient spacieux, en comparaison de la cale des équipages : la salle contenait un grand lit suffisant pour deux personnes, une table pour les repas, une autre pour la carte maritime, une bibliothèque avec quelques livres volés à certains marchands, une lampe à huile au plafond et pleins d'objets de décoration, comme des peau de bête ou des bijoux accrochés aux murs. Je l'invitai à s'installer sur le lit, puis je pris la peine de me débarasser de quelques objets : ma dague, mon pistolet entre autre, afin qu'elle se rassure. Finalement, je m'installais sur une chaise devant elle. Continuant à lui sourire, je lui dis :
« Excusez mes hommes : ceux sont des brutes, mais ils ne sont pas mauvais garçons, au fond. A passez du temps sur un tel bâtiment sans avoir une femme à caresser, un homme peu vite devenir fou. Mais rassurez-vous : ils ne viendront jamais ici. Maintenant, dîtes-moi ce que vous faisiez sur cette île abandonnée au milieu de l'océan. Je me doute que l'histoire de mon ancien camarade soit loin d'être la vérité, mh ? »
Je me penchai vers elle, l'écoutant attentivement. Il fallait déjà qu'elle se détende, après autant d'émotion, autrement, elle causerait un zizanie en pleine mer, je voulais éviter cela.